Jazz en VF, Acte 1: à la conquête de la Grande Salle
Même assis parmi le public, à regarder les hauts plafonds de ce lieu prestigieux, on ne peut s’empêcher de penser, un petit peu, à David contre Goliath.
Premiers sur scène, Théo et Valentin Ceccaldi et Guillaume Aknine présentent ce soir-là une version spécialement remaniée de leur projet Django pour ce format court (chaque set dure moins d’une heure). La taille de cette colo-salle et le matériel déjà installé du plateau suivant semble tout d’abord éclipser le trio. Pourtant, comme s’ils avaient su pousser les murs de ce lieu dont l’immensité avait parfois l’air de se refermer sur nous, leur présence sur les planches a semblé enfler avec chaque morceau, jusqu’à faire oublier tout le reste et ne plus voir qu’eux, qu’ils nous fassent malgré nous retenir notre souffle, suspendus aux notes infiniment étirées et poétiques des passages les plus contemplatifs de ce set, où nous accrocher à nos sièges comme à celui d’un manège supersonique dans sa dernière descente lors d’un crescendo de violon matraqué de riff de guitare saturée. Lorsqu’ils quittent la scène, rien n’est plus tout à fait comme avant. Ça commence très bien.
La salle aura a peine le temps de reprendre ses esprits que le deuxième groupe, celui d’Anne Paceo, fait son entrée sur scène. Autre dimension et autre musique : si le trio de Théo Ceccaldi jonglait à 6 mains et un clin d’œil avec leurs multiples influences, tout dans le quartette d’Anne Paceo, des unissons instrument-voix aux harmonies vocales, fait entendre le groupe comme un tout qui, dans le halo bleuté qui illumine la scène, nous transporte ailleurs. L’un des moments les plus forts du set est sans doute l’intervention des deux danseurs conviés sur scène, Sahné Rasoanaivo et Smail Kanouté, pour pour traduire en mouvements le morceau titre du dernier disque d’Anne Paceo, Bright Shadows, propulsant la musique à un tout autre niveau d’expressivité, et donnant aux soli de Pierre Perchaud et à la rythmique une profondeur nouvelle. Pas moins de frissons sur le titre Contemplation, pour lequel Anne Paceo délaisse les fûts et rejoint Florent Mateo et Anne Shirley au micro, accompagnés du Rhodes rêveur de Tony Paeleman.
On n’a pas le temps de se remettre de ses émotions ce soir : Vicent Peirani entre déjà sur scène, devant un public chauffé à blanc. Et il faut avouer que dès le deuxième morceau, on avait assez envie d’arracher les chaises du parterre pour y creuser une fosse et se précipiter au devant de la scène s’ye déchaîner comme il se doit. Peirani trône au centre d’une scène et devant une salle qui faisaient décidément de moins en moins les malignes, tandis que d’une même bouche, Emile Parisien distribue des claques sonores et du long de son sax soprano souffle sur les braises accumulées tout au long de cette soirée par tout ce beau monde. Coup de grâce : le triptyque Kashmir to Heaven, dont le riff nous fait trembler pendant que le combo Yoann Serra-Julien Herné combine si bien ses forces qu’on aperçoit la lumière à travers le trou qu’il creuse dans le sol. Au Rhodes, on retrouve Tony Paeleman, qui reprend du service sans ciller et complimente parfaitement l’iconique air de l’escalier vers le paradis, au sommet duquel le public semble déjà bien installé. Le reste sera au diapason des concerts précédents : trésors de nuances, en solo comme à plusieurs, à l’image de ce What Power Art Thou de Purcell.
En sortie de scène, Vincent Peirani rappelle ce que cette soirée avait de spécial pour ces jeunes musiciens qui se connaissent tous déjà bien : “Plus qu’un concert, c’est une soirée très spéciale, avec ce lieu incroyable, surtout pour nous musiciens de jazz. Et puis se retrouver avec ces trois groupes, avec les copains… c’est un tout ! Et ces programme courts nous ont fait changer nos habitudes, restructurer notre set, et au final on ne joue pas de la même manière”.
Anne Paceo, qui même pendant son set n’avait pas caché l’émotion de jouer dans ce lieu, ne disait pas autre chose : “C’est une salle incroyable, comme un ciel étoilé, je cois qu’on rêve tous de jouer ici. J’ai eu le trac comme jamais, je m’en souviendrai ! Mais c’est un rêve qui se réalise, j’ai même du mal à réaliser pour l’instant…C’est passé trop vite ! J’espère que je pourrais y rejouer”. Nous aussi. Mais la salle ne fut pas la star ce soir-là, et après la dernière note de cette superbe soirée, il est évident que ces trois groupes ont trouvé en la Philharmonie de Paris un lieu à la juste mesure de leur immense talent.
Yazid Kouloughli