Jazz et Garonne (2): des échos Brésil en arrière plan…
Le jazz jamais ne fait fi de son histoire, de ses racines. Mais à l’occasion cette musique nourrie dans son essence de violences, de luttes politiques et sociales, de besoin de liberté, revendications identitaires, et de nécessité de droits civiques, cette musique d’improvisations peut à tout moment accrocher l’air de rien les faits, les news noires et blanches du moment. Témoin le temps de deux concerts du festival lot et garonnais l’imprégnation singulière des musiques du Brésil chez Baptiste Herbin comme chez Christophe Wallemme Au moment même où un scrutin, dans ce pays continent risque de remettre en cause la liberté d’être, de dire, de faire…
Baptiste Herbin (as, ss), Pierre de Bethman (p, elp), Benjamin Henocq (dm)
Christophe Wallemme (elb), Amlfio Origlio (p, elp), Cynthia Abraham (voc, perc), Manu Codjia (elg), Adriano Tenorio (perc), Pierra-Alain Tocanier (dm)
Festival Jazz et Garonne, Théâtre Comédia, Marmande (47200), 13 octobre
Baptiste Herbin pratique, parle couramment l’idiome jazz. Y compris lorsqu’il greffe à ces mesures avalées sans coup férir un accent brésilien, terre qu’il chérit au point d’en avoir appris la langue -on l’a vérifié dans ses échanges en coulisse avec Adriano Tenorio, percussionniste du groupe de Christophe Wallemme. Ces couleurs de notes, ces lignes de rythmes étirés comme sans effort apparent (Mia sorella) le saxophoniste les porte nanti d’une fluidité dans le jeu instrumental (soprano, alto) comme dans le propos musical. Chaque note est audible, chaque accord trouve sa place naturellement. On pourrait même se dire que cela coule trop cool, sonne décidément trop facile…Sans doute est-ce parce que dans ce discours qui s’écrit dans l’instant qui passe Pierre de Bethman ajoute photos et légendes inspirées, évocatrices immédiatement. Au point de retenir seul l’attention dans une longue introduction à une douce ballade. « Drems and connections », matériau issu du dernier album, du saxophoniste livre un jazz sans fard, direct à l’oreille. Et qui expose, sax en mains, des reliefs naturels. De quoi délivrer une bonne dose d’expressivité. Y compris au travers de composition inspirées du frevo ou du chorro, musiques de contrastes, la première échappée des rues ou chemins du Nordeste, la seconde plus savante, plus académique car enseignée dans les écoles du pays. Ces épisodes là, sans doute sont ceux que l’on retient le mieux.
Sur son exposition de « Om Peoject » Christophe Wallemme (complice de longue date d’Eric Seva) procède lui par tableaux (vivants) dans lesquels les couleurs, les formes changent en instantané sous les coups de pinceaux musicaux. Guitare (Manu Codjia, à l’aise bien sur dans les traits acérés d’une guitare très chargée électriquement) Fender Rhodes, percussions: le son du groupe sort plutôt fort question niveau, dense, épais également. Les frappes comme les caresses imprimées sur les percussions d’Adriano Tenorio viennent comme autant de pincées d’épices gouteuses jetées dans la marmite chaude. La voix de miel ou d’acide de Cynthia Abraham mêle les saveurs. Alfio Origlio aux claviers enfin, procède lui par traits fins histoire de surligner ou souligner les phrases, les mélodies, Le plat de musiques aux formes généreuses se nourrit lui même de sons originaux. Ainsi faut-il entendre « Flash Black, tel un thème symbole composé en forme de souvenir jouissif par le bassiste leader » en hommage à Weather Report. Il n’est que de regarder la scène d’ailleurs, la gestuelle, les attitudes. On perçoit tout de suite le plaisir, la réalité exprimée de l’échange entre les musiciens. Rien ne sert dès lors de vouloir plaquer une étiquette sur la nature de la musique jouée. Il paraît juste aisé de rentrer dans la danse. Et s’il fallait dénicher un signe, le décor multicolore du set de percussion reflétant le drapeau brésilien parle de lui même.
Le public justement, sa nature, sa croissance demeure le préoccupation majeure de l’équipe d’un festival créé ex nihilo dans la petite ville connue pour Garorock, très grand rassemblement rock au début de l’été. Question de reconnaissance comme de retour financier nécessaire. Au bout de huit années de travail, de trouvailles, l’idée directrice reste de promouvoir « un paysage musical autour du jazz et des musiques cousines permettant d’accueillir des groupes, des musiques, des compositeurs originaux » Cette édition 2018 pour l’équipe des bénévoles rassemblée autour d’Eric Seva, responsable de la programmation artistique et de Myriam Esparcia chargée de la coordination générale, marque une étape : « Nous avons senti une participation, une adhésion croissante cette année de la part du public comme des partenaires » confie Marc Souibès, trésorier de l’association Jazz & Garonne « Mais comme toujours, l’essai, pour une suite favorable encore faut-iil le transformer dès l’an prochain… » Jazz & Garonne, festival ancré dans une terre rugbystique, demeure saison après saison un lot de matchs à gagner…à domicile.
Robert Latxague