Jazz in Ajacciu: L’empire des sens
Elle a bénéficié dans la capitale britannique du programme Tomorrow’s Warriors sensé appuyer la diversité dans la création artistique et la promotion des femmes dans ce domaine en particulier. La jeune saxophoniste anglaise d’origine africaine affiche une sonorité claire sur son alto, pimentée de pointes sèches un peu acide.
Jazz in Ajacciu, Théâtre de Verdure du Casone , Ajaccio (20000)
Camilla Georges (as, voc), Ronaldo París (p, clav), Daniel Casimi (b), Red Youngs (dm)
26 juin
Elle s’appuie sur une rythmique très présente, très fournie comme l’on peut l’entendre déjà au long de son dernier album Ibibio le. On sent l’influence de l’afro beat et les séquences parlées chantées puisent dans l’esthétique hip hop. Le clavier fournit les couleurs harmonniques et Ronaldo Paris pratique le scatt au besoin tel un prolongement du thème façon solo improbable.
Pourtant, sur un morceau à tonalité générale trè funky, basse et piano très électriques plus une batterie ancrée dans un rythme binaire appuyé, Camilla Georges, ingénue, s’evertue à garder un flux de discours plutôt cool, ponctué d’enchaînements toujours marqués d’une certaine douceur, d’un sens de la nuance malgré tout. À noter également dans la fraîcheur de cette première soirée ajaccienne du festival, et pour revenir sur la démonstration de l’autre soliste un solo de piano bien venu, original, porteur de passages d’accords ttrès construits.
Léon Phal (ts), Zacharie Ksyk (tp)⎮ Gauthier Toux (elp,clav) | Arthur Alard (dm), Rémi Bouyssière (b)
26 juin
Le contenu musical ne s’avère pas commun. Un jazz travaillé jusque dans les angles des structures de. composition et surtout du son global. Tout de suite, dès l’exposé les unissons ténor sax/trompette fort réverbérés portent loin. Puis surgissent les échos qui, des compositions et du travail collectif engagé marquent un territoire. Sur son instrument unique Léon Phal place des formules qui renvoient à Rollins, des notes en quasi onomatopées qui ainsi conjuguées se métamorphosent en souffles de vie ( Sur son dernier album. Stress Killer dont il jouera en ce soir ajaccien le titre éponyme, à propos de Naima il conjugue aussi Coltrane…) Le Fender Rhodes, piano électrique lui aussi unique donne à Gauthier Toux l’occasion d’imprimer un paysage chargé de notes aux couleurs électriques, éclairantes en autant de flashs. Il s’agit d’une constante, une manière de signature du groupe qui sait: Le cuivre de la trompette et du sax évoluent souvent en interaction par séquences successives. S’il fallait lui accoler une étiquette la musique de Phal via des mélodies plus ou moins tamisées donne référence à des « airs de chansons » comme l’on dit dans le monde de la variété.
Stress Killer, on y revient, titre et morceau du 3e album. La composition sonne très actuelle, valorisée par un gros travail de son façon effets studio. Le corpus musical se trouve du coup articulé sur un squelette de basse très actif et un piano très électrique vibribrionnant. Deux autres thèmes, de sa voix sont sujets à explication « Vibing in Ay» fait référence á mon village en Champagne où se trouve ma maison natale» Et Canto Bello, tire d’un disque précédent « plonge directement dans mon univers peuplé d’esthétiques différentes» De quoi pour le public présent offrir en live des sonorités plus ronde basées sur des motifs circulaires puis, avec forces effets électroniques sur des montées d’octave, muscler le propos général. On pénètre alors dans un climat de musique électronique, dans une architecture de sonorités numériques éclatées mises en orbite par les machines, les effets de Gauthier Toux. Imprimées en couleurs et volumes forts sur un fond de batterie très dense, forte d’une basse jouée direct sur les cordes ou à l’archet en autant de schémas complexes. Ou quand ce jazz mode XXIe siècle ,paradoxalement, ramène esprit et corps surtout à la danse.
Leila Olivesi (p, voc, direction), Baptiste Herbin (as), Adrien Sanchez (ts), Jean-Charles Richard (bas, ss), Quentin Ghomari ( tp, bug), Manu Codjia (g), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou (dm)
27 juin
La pianiste qui retrouvait ici des racines familiales corses se meut comme pianiste et compositrice dans une veine jazz teintée de tradition autant que de modernité. Dans ses enregistrements comme sur scène sa musique originale traduit un travail de beaucoup d’écriture doublé d’une recherche permanente entre les parties instrumentales. Ici dans cette formule de mini Big Band au sein de la section cuivres en particulier. En ce sens, elle tient à l’expliciter avec clarté, elle ne rechigne pas à s’inscrire dans des hommages à certains grands noms de l’histoire du jazz. Wayne Shorter déjà, avec un challenge de représentation du ténor relevé avec sa personnalité propre par Adrien Sanchez. Le reste est affaire d’une solide construction avec le piano bien présent, mais plutôt en incises, le cœur du développement venant sous les assauts conjugués des quatre cuivres en action collective ou en solos successifs. Hommage toujours, à Duke Ellington cette fois mais indirectement via la figure de Claud Carrière animateur et producteur de programmes jazz sur les antennes de Radio France. Bien sûr afin de célébrer le Duke, le boulot des sections s’impose de lui même. Baptiste Herbin, très violubile, incisif à l’alto puis Jean Charles Richard, baryton très solide œuvrent à une démonstration d’expresivité orchestrale certaine. Dans ce rôle de composition et d’arrangement pour un orchestre de bonne dimension on serait tenté de convoquer Maria Schneider en terme d’exemplarité. Et pour revenir à l’orchestre présent sur scène, il bénéficie d’une rythmique très fine, Yoni Zelnik plus Donald Kontomanou habituels comparses et complices. Ce dernier notamment se retrouve dans un rôle de marqueur sur la formule du trio en introduction de ce thème «ellingtonien», cymbales sollicitées toutes en caresses. Des mots récités par Leila Olivesi tel un poème ensuite -«Soustraire à la lumière »- débouchent sur une séquence de Quentin Ghomari, bugle lancé dans un survol, délicat, aérien de la mélodie. Mary Lou Williams enfin en matière de célébration plus bluesy, piano et guitare jointes, celle ci à la sonorité plutôt plus fluide que d’habitude de la part de Manu Codjia.
Leila Olivesi se plaît à écrire, à jouer mais aussi à conduire physiquement son orchestre, quittant son piano, debout en avant scène. Fruit d’une continuité, d’un travail de suivi depuis plusieurs années.
El Comité : Carlos Sarduy (tp, bug) Rafael Aguilar Paco (ts), Rolando Luna (p, clav), Gaston Joya (b, elb), Rodney Baretto (dm), Yaroldi Abreu (percu).
27 juin
Il fallait bien qu’il soit là. Car en cette enceinte il est ici chez lui même si les jeunes cubains plus ou moins fils prodigues de Chucho Valdes ne saisissent pas tout à fait le référentiel à Napoléon au soir de leur concert. Sans doute à l’image du quotidien de Joachim Phienix avant d‘être soliicité par Ridley Scott pour le rôle,phare du film sorti l’an dernier… Ceci dit au dessus d’eux, trônant quasiment à l’aplomb du fond de scène à hauteur d’une petite pyramide, dans son jardin du Cason droit en sa statue, Bonaparte, c’est bien de lui qu’il s’agit, veille chaque nuit sur le Festival.
El Comité, quelle que soit la,composition du groupe Cubain – ils vivent au quotidien de fait en des lieux fort dispersés, Toulouse, Paris, Barcelone, Baléares et La Havane bien sûr.‘- est une histoire toujours recommencée de musiques afro-cubaines aux essences d’un jazz tropicalisé. Le fait est que cela,marche. Ainsi sous le regard épaté, avec mimique de lèvres approbatrices et sourires de contentement chez. les tenants de la rythmique du groupe précédent, Zelnik-Kontomanou le Casone un peu froid dans son appréhension des contenus proposés a succombé sous le,charme d’un cannevas de musiques joyeuses. Epanouissantes question résultat dans les oreilles.
Cela, commence d’ailleurs avec le mot jazz inscrit dans le premier titre proposé (Jazz Plaza), motif en swing rutilant sous le travail d’écrétage de notes aigues jaillissant en alternances des deux cuivres. Ils peuvent également verser dans des versions plus musclées façon -cela veut dire ce que cela veut dire – Toca el Cielo – suite à un départ funky sous les slaps de basse. Rafael Ortega qui remplace Irving Acao pour l’occasion chauffe à point la colonne d’air du ténor. Puis vient un long solo brillant, éclaté comme sait le faire, souvent imprévisible, Rolando Luna. Histoire de relancer la machine ( ce terme convient parfaitement au combo cubain en un profil de contours humains, bien entendu) Yaroldi Abreu prend le relai par des attaques contrôlèes à mains nues sur les peaux de ses congas et tambours divers. Le concert évolue en de longues suites, phases de tensions et détentes entrelardées au cours desquelles la dite machine musicale s’emballe puis s’appaise. Le tout en total,contrôle même si les improvisations croisées écartent la partition (Son à Emiliano). Une constante à ce propos : la ligne rythmique garde toujours un tracé perceptible – Gaston Joya qui fut un pilier des orchestres de Chucho régale aussi le temps d’un solo de contrebasse, phrasé fluide, toucher de corde tout en précision. En chaque intervention Rolando Luna, lui, pianiste difficilement classable, paraît flotter au gré d’inspirations imprévisibles. (Brainstorm Groove) Piano électrique ou acoustique, peu importe, foutuement hétérodoxe. Ambitieux. Et au final, le savoir faire de Carlito Sarduy, trompette virtuose sans avoir l’air d’en faire trop. Plus une sonorité de haute qualité au bugle, apte à caresser l’ouïe la,plus rétive.
El,Comite a fait sortir le public ajaccien de sa réserve naturelle. Difficile pour tant de dététeminer si Napoléon, petché ferme sur son socle de pierre en est ressorti sensibilisé au jazz.
Robert Latxague