JAZZ in ARLES 2019, Acte 1 : KEVIN NORWOOD Quartet
Comme toujours l’aventure commence Gare de Lyon, à Paris. Le ‘Montreux Jazz Café’ est désormais rebaptisé ‘Le Grand Comptoir’ : le jazz fout le camp ? Qu’à cela ne tienne, je cours vers ‘Jazz in Arles’.
Au portillon du quai le lecteur refuse de lire le code de ma carte voyageur. Une dame en uniforme SNCF, installée près d’un autre portillon déjà défectueux, me dit «posez bien votre carte !». Ce que je (re)fais. «Bien à plat !». Je m’exécute à nouveau. Rien n’y fait. Elle appelle une autre dame (tout aussi uniformée), plus jeune et (légèrement) plus aimable, laquelle se saisit de ma coupable carte, la pose bien sur le scanneur : aucun résultat. C’est tout simplement le portillon qui est hors d’usage. J’ai la pénible sensation que mon âge relativement avancé me désigne prioritairement comme précocement sénile : l’hypothèse du système défectueux n’est envisagée qu’en dernier recours…. Après un TGV puis deux TER, Arles enfin, le douillet Hôtel de l’Amphithéâtre pour poser les impedimenta, avant de filer dare-dare vers la Chapelle du Méjan pour la balance, aux environs de 15h30.
KEVIN NORWOOD QUARTET
Kevin Norwood (voix), Rémi Ploton (piano, synthétiseurs), Sam Favreau (contrebasse), Cédrick Bec (batterie, percussions, percussions électroniques)
Arles, Chapelle du Méjan, 9 mai 2019, 18h30
Premier concert des deux jours qui font prélude à la programmation de soirée la semaine suivante. Et un public qui mêle curieux, oisifs de fin d’après midi et vrais aficionados (du jazz, car nous sommes ici aussi en terre taurine ! ). Depuis le très remarqué (et remarquable) «Reborn» (Ajmisérie 2015), le chanteur-compositeur-auteur a développé un nouveau répertoire, qu’il vient de peaufiner lors d’une résidence au Petit Duc d’Aix-en-Provence. Le quartette présente un programme nouveau où subsistent encore quelques souvenirs des compositions données au festival de Radio France Occitanie Montpellier en 2017 (compte rendu du concert ici).
Commencent seuls sur scène, pianissimo , le pianiste et la batteur : sons électroniques ténus, bruissements de batterie, le décor se dresse par petites touches ; et le duo est rejoint par la contrebasse qui entre dans la confidence. De la coulisse, côté cour, surgit la voix du chanteur, qui rejoint le micro au centre de la scène. C’est une fine dramaturgie qui va se poursuivre tout au long du concert, de méandres subtils en éclats soudains. On tutoie la valse, et au fil des thèmes les rythmes impairs et composés auront la part belle. Après un morceau très soul music, une ballade écrite avant la rencontre de l’Âme Sœur (et qui l’a fait advenir) : intro avec la basse, puis piano et batterie se faufilent dans le discours intime. Le batteur joue à mains nues, la gauche sur les peaux, tandis que la droite manipule avec dextérité des kess-kess (percussions d’Afrique de l’Ouest que l’on appelle aussi kas kas, kashaka….), petit couple de minuscules calebasses emplies de graines, réunies par une cordelettes, et qui par une jeu virtuose insufflent une polyrythmie. D’ailleurs, l’interaction du groupe, très soudé, très collectif, repose beaucoup sur un travail autour du rythme, dans les parties écrites comme dans les nombreuses parties improvisées. Et dans ce jeu de la métrique et des accents le phrasé du chanteur, tant sur le plan musical que prosodique, est une sorte de pivot, fécond sans être hégémonique : bel accomplissement où l’on sent l’ancienne connivence des partenaires, et le résultat de la récente résidence au Petit Duc.
Après une sorte de bossa nova dévoyée (qui comme beaucoup de bossas emprunte à Chopin ses progressions harmoniques), ce sera un duo batterie-voix, confondant de richesse musicale et d’intensité expressive. Le quartette se reconstitue ensuite, pour un long développement qui va crescendo-decrescendo créer de subtiles tensions. C’est un peu le modus operandi de cette dramaturgie musicale. Il en résulte une sensation presque hypnotique, dans le meilleur sens du terme : le public, même pour sa partie la moins accoutumée à ces musiques, semble captif, et captivé. Je le suis tout autant. La frontière entre l’écrit et l’improvisé est ténue, et pleine de surprises : alors que je goûtais en auditeur attentif une improvisation très libre, je m’aperçois que la main gauche du pianiste est à l’unisson du chanteur : magie de la connivence renforcée par un travail commun fondé sur la confiance. Après encore quelques volutes jouant sur les changements de dynamique Kevin Norwood présente, sur la musique, ses partenaires. Et il quitte la scène, leur laissant le soin de mener progressivement la musique à son terme par une douce tournerie. Le bassiste à son tour gagne les coulisses, tandis que le pianiste et le batteur ferment le ban par un decrescendo apaisant. L’ensemble du concert est conduit comme une musique de derviche, et cette coda fait écho à l’entrée progressive en scène (et en musique) : belle maîtrise de la forme qui signe un vrai travail collectif d’artistes. En rappel une ballade, sinueuse, expressive, tandis que dans le fond de la salle quelques spectateurs pressés se sont déjà approchés du bar pour anticiper l’apéro offert au public. Beau début d’une soirée plus que prometteuse : un disque est en préparation, et personnellement je l’attends avec impatience !
Xavier Prévost