JAZZ in ARLES ‘YES IS A PLEASANT COUNTRY’
Comme toujours l’aventure commence dans le train. Au départ de ma banlieue parisienne, le RER est en retard, mais j’ai anticipé en partant plus tôt qu’il ne fallait. Et je suis à l’heure Gare de Lyon pour le TGV qui me laissera à Nîmes pour une correspondance. Heureuse surprise : dans le train je croise, sur la plateforme, Bruno Ducret qui joue aujourd’hui non du violoncelle mais d’une guitare à 8 cordes : il se rend à Montpellier pour faire une radio, 30 minutes de live avec un groupe de rock qui est un peu sa respiration artistique. Il s’enquiert de ma destination. Je lui dis que je vais à Jazz in Arles, pour écouter ce soir ‘Yes Is A Pleasant Country’.
Il adore ce groupe et, comme moi, il est aussi fan de la carrière solo de Jeanne Added. Arrivé à Nîmes, mauvaise surprise : la correspondance, un ‘intercité’ Bordeaux-Marseille, est annoncé avec 50 minutes de retard.
Ce seront 51 minutes, mais j’arriverai à bon port, et dans l’après midi je gagnerai la Chapelle du Méjan pour assister à la balance
Dans la salle à l’étage supérieur, je visite l’exposition des œuvres graphiques d’Anouk Grinberg : la comédienne est aussi une plasticienne prolifique utilisant diverses technique (huile, pastel, encre….), et son texte de présentation éclaire magnifiquement sa démarche
Au fil du parcours devant les tableaux, je m’arrête longuement devant cet Enfant hirsute dont l’image me saisit
Puis je redescend dans la salle pour assister à la balance
Dès les premières secondes, je suis saisi par l’intensité expressive de ce qui se passe sur scène, pendant les réglages de sonorisation : les membres du trio sont en osmose totale, ce qu’ils doivent aux 20 années d’existence de ce groupe. Et même si, ces dernières années, leurs rencontres sur scène se sont faites plus rares, en raison de la carrière solo de Jeanne Added dans un autre univers musical, ils sont totalement investis dans l’instant, même dans les fragments qu’ils livrent, à la fois pour peaufiner le répertoire du jour et pour permettre à l’ingénieur du son d’obtenir le bon équilibre et la meilleure couleur sonore.
YES IS A PLEASANT COUNTRY
Jeanne Added (voix), Vincent Lê Quang (saxophones ténor & soprano), Bruno Ruder (piano)
Arles, Chapelle du Méjan, 17 mai 2022, 20h30
Le répertoire est assez différent de celui du disque enregistré en 2008, et des quelques concerts du trio auxquels j’ai assisté au fil des années. Les quelques standards notamment, qui toujours émaillent le déroulement du concert, seront pour moi nouvellement venus dans leur programme. Et ils commencent très fort, ou plutôt très très intense, avec l’un des chefs d’œuvre du genre : Goodbye, créé en 1935 par Benny Goodman et immortalisé par une pléiade de vocalistes (Ella, Julie London, Sinatra…) et d’instrumentistes (Barney Wilent, Charlie Haden, Keith Jarrett…). Dès l’abord le décor est posé : nous sommes en territoire d’expressivité exacerbée, dans une exigence musicale, une liberté et un inventivité folles. Contrastes dynamiques, de l’éclat à d’infinies nuances, incarnation du texte et de la musique par les trois protagonistes : d’entrée de jeu nous sommes bouleversés par ce qui se donne sur scène, un cadeau d’émotions transmissibles qui nous sont offertes…. Dans la coda, comme la fin d’une prière profane, le retour à la tonique est laissé en suspens. Le public, et moi le premier, n’ose par applaudir, craignant de fracturer cet instant de pure beauté. Le trio enchaîne avec une composition originale issue du répertoire solo de Jeanne Added, qui résonne comme un cri.
Nous aurons aussi une version métamorphosée du célèbre Ain’t Misbehavin’ de Fats Waller : déconstruit, reconstruit, magnifié dans l’idiome contemporain avec un amour infini. Et puis, au fil du concert, des compositions de Vincent Lê Quang, d’autre standards, des poèmes de William Butler Yeats et, pour conclure, leur version musicale du poème d’Edward Estlin Cummings qui donne son nom au trio : Yes Is A Pleasant Country.
Tout au long du concert nous avons été happés par l’intensité et la musicalité de ce trio décidément sans équivalent. Et en rappel, un dernier standard de Broadway (que l’on trouve dans Brigadoon, curieux film splendidement kitsch de Minnelli), en fondu enchaîné avec un thème des Beatles. Public conquis, et chroniqueur aux anges : quelle soirée !!!
Xavier Prévost