Emile Parisien avec… l’Orchestre symphonique du Capitole de Toulouse
Après 56 ans de collaboration à Jazz Magazine, le chroniqueur senior +, qui a rendu compte pendant 35 ans de moult concerts mythiques de Jazz in Marciac, se voit contraint par son grand âge, de « renoncer à l’exhaustivité » (sage conseil du philosophe Charles Pepin). Alors, dans le très copieux et étonnant programme des 18 journées de jazz à Marciac 2024 il a choisi, motivé par de beaux souvenirs nostalgiques, d’être présent dans la belle bastide marciacaise, pour seulement deux journées particulières : le 19 juillet, pour Emile Parisien et son quartet accompagné par… un orchestre symphonique au grand complet (compte-rendu ci dessous) et, le 27 juillet pour le concert hommage à Claude Nougaro : « New’Garo » (compte rendu à venir).
19 juillet. Chapiteau de Marciac
Emile Parisien (ss), Julien Touéry (p), Ivan Gélugne (cb), Julien Loutellier (dr) avec l’Orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse dirigé par Laurent Greildammer sur des arrangements de Jonathan Keren.
Emile Parisien a été élève du collège de Marciac dès l’âge de 11 ans. Inscrit dans les classes dites « jazz » de cet établissement où de prestigieux jazzmen enseignaient pendant l’année ou participaient à des « workshops » ponctuels. Je me souviens très bien de lui tout jeune, souriant, l’oeil vif et rieur, vendant les programmes du festival à l’entrée du chapiteau. Jean-Louis Guilhaumon, principal du collège, maire de la commune et président de jazz in Marciac demandait aux collégiens de participer ainsi à la « com » du festival !
Je me souviens aussi de la première fois où à 14 ans, sous le grand chapiteau, W. Marsalis l’a fait jouer dans son big band et lui a offert son premier chorus !
Après avoir quitté le collège de Marciac Emile a suivi des études musicales supérieures à Toulouse. Et, après moult expériences diverses, suite il y a 20 ans à une jam session dans un club toulousain, un coup de foudre collectif, a donné naissance à un quartet. Quartet qui enregistre et donne de nombreux concerts depuis sa naissance. Ce groupe a très vite enregistré un premier album, remarqué. Extrait d’une chronique publiée dans Jazz Mag à la sortie du cd : « Haut niveau de créativité, d’originalité et de maturité. Avec son Quartet, dans une démarche inspirée par les derniers groupes de Wayne Shorter, un de ses maîtres avec Coltrane et Mingus, Emile Parisien n’ânonne pas les clichés hard bop. Jazz open, aux climats variés, nourri par une belle connaissance et une réelle maîtrise de toute l’histoire du Jazz. Sensible, inspiré, pêchu le petit Emile est devenu un ‘‘grand’’ ». Chronique que j’avais été heureux de rédiger à la sortie du premier album du quartet en 2006.
Le premier album du Quartet d’Emile Parisien
La suite de sa carrière a bien confirmé qu’E. Parisien était un « grand ». Il a collaboré avec un nombre impressionnant de très grosses pointures. Multipliant rencontres fécondes et projets innovants.
Mais ce qui est remarquable dans son itinéraire flamboyant c’est la fidélité sans faille à ce quartet originel et à son caractère expressionniste où prime l’improvisation, plus la générosité et l’exigence. « Une vraie histoire d’amitiés. Ce groupe m’est vraiment très cher » (E.P.)
En 20 ans un seul membre du quartet a changé : le batteur. Le « nouveau » drummer, Julien Loutelier, s’est parfaitement adapté à la démarche du groupe, en y apportant sa touche personnelle, reflet de sa participation à la scène « électro ». Leur dernier album « Let them cook », qui est sorti il y a quelques mois est essentiellement bâti sur des compositions collectives, où l’électronique est très présente. Les ponctuations électroniques ne polluent pas l’ADN du quartet mais au contraire le stimule ! « Il y a du jazz, du free jazz, du lyrisme, de l’onirique et de l’électro… On a tenu notre ligne originelle tout en essayant d’évoluer. Bref, c’est nous ! » (E.P.). « L’axe central du quartet depuis toujours, c’est de raconter des histoires » (E.P. encore). Les titres des thèmes en témoignent avec humour… souvent improbables et décalés : « Pistache cow boy », « Nano fromage », « Pralin », « Coco nut race », « Chocolat/Citron »…
Le dernier album du Quartet d’Emile Parisien
Emile Parisien rêvait de faire du vingtième anniversaire du quartet un événement étonnant et spectaculaire. Jean-Louis Guilhaumon, le « patron » de Jazz In Marciac, lui a permis de le réaliser : interpréter, sous le grand chapiteau, quelques thèmes emblématiques du quartet… accompagné par le prestigieux Orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse… Carrément ! Un vieux fantasme d’Emile enfin réalisé…
Emile après la très longue balance. Fatigué mais prêt pour le défi…
Alors que trop souvent les expériences de « cross over » classique/jazz sont décevantes et ennuyeuses (quelques « tapis » de violons académiques et insipides, bien loin de l’esprit jazz…) le concert de Marciac fut lui superbe et enthousiasmant.
Le Quartet avec l’orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse
Grace entre autres, mais tout particulièrement, à l’arrangeur Jonathan Kerenqui s’est plongé dans l’œuvre entière du quartet d’Émile, en s’en imprégnant magnifiquement. Par sa compréhension intime du travail du quartet Keren lui a offert des arrangements jamais redondants mais audacieux et virtuoses avec des propositions rythmiques riches et stimulantes.
Les beaux espaces laissés au quartet symbolise bien la réussite du projet de l’arrangeur. Qui a su, avec talent et tact, glisser les parties écrites de l’orchestre symphonique dans les interstices des chorus enflammés. Bravo aussi à l’orchestre, visiblement ultra motivé, et à la direction très impliquée de Laurent Greisalmer. Une dialectique totalement réussie entre un quartet habité, un orchestre symphonique aux couleurs contemporaines, des arrangements subtils et un quartet en état de grâce. Mentions spéciales pour Emile Parisien et Julien Touéry (p) rutilants. Comme toujours Emile a joué en soulignant ses chorus par d’amples mouvements corporels. «Si j’ai un saxophone dans la bouche mes jambes bougent beaucoup… même en studio ».
En deuxième partie Emile est revenu avec Les Egarés, ce quartet à la formule orginale (ss, kora, violoncelle, acc), qui triomphe partout actuellement. Ici aussi, bien sûr. Avec Emile Parisien en pleine forme après les presque deux heures intenses du concert du quartet avec le symphonique… Un « athlète » de haut niveau Emile. Toujours aussi surprenant !
Pierre-Henri Ardonceau