Jazz live
Publié le 30 Juil 2012

Jazz in Marciac : à la découverte d'Aurélie Tropez

Sans conteste, l’une des vedettes du Festival bis, comme on l’appelle ici. Son jeu de clarinette, fluide, élégant, y fait merveille dans différents contextes, le All Stars de Julien Silvand, inspiré par celui de Louis Armstrong, Les Red Hot Reedwarmers du saxophoniste Stéphane Gillot. Tout récemment, à Ascona, elle se produisait, en juin, au sein des Swingberries de Jérôme Etcheberry. Par ailleurs, soliste remarquée du Duke Orchestra dirigé par Laurent Mignard, elle a animé aussi, lors du dernier festival Jazz à Juan, les rues d’Antibes avec les Jazzticots, une formation créée par son père. 2012 serait-elle donc l’année d’Aurélie Tropez ?


– Il est vrai que j’ai la chance de jouer dans de nombreuses formations, et donc beaucoup.. Entre le mois d’avril et le début de novembre, j’aurai sillonné l’Europe : Munster, Juan, Ascona, le Danemark, la Suède, Marciac, Jazz au Phare dans l’Île de Ré, Pertuis…

– Ces grands écarts entre combos et big band, ces allers et retours entre des styles et des époques différents ne sont-ils pas une gageure ? Adapter son jeu à chacun des groupes, poser successivement ses pas dans ceux de Jimmy Noone, de Benny Goodman, de Barney Bigard ou Jimmy Hamilton, n’est-ce pas multiplier les difficultés ?

– Pas vraiment. J’aime me couler dans différents styles. Chaque orchestre a sa couleur, son ambiance particulières. A vrai dire, je n’ai pas de préférence. J’ai besoin de tous ces climats, aussi bien celui de Jimmy Hamilton dans le Duke Orchestra que celui de Noone avec les Reedwarmers. D’autant que je conserve toujours cette part de liberté qui me permet de m’exprimer comme je le souhaite.

 

Avant d’en arriver là, un parcours jalonné de succès, mais un premier contact avec l’instrument qui ne relève pas vraiment du coup de foudre.

– J’ai commencé à l’école de musique de Fayence, dans le Var, où je souhaitais apprendre la flûte traversière. Mais comme le seul professeur de l’école jouait de la clarinette… Pendant quatre ans, j’ai détesté cet instrument. L’apprentissage a été une vraie torture, au point que, les jours d’audition, j’oubliais systématiquement les partitions, voire l’instrument lui-même ! Jusqu’à la découverte du jazz, dans la fanfare de mon père qui écrivait des arrangements « jazzy ». Nous jouions Petite Fleur, When The Saints, à vingt musiciens, dans des animations de rues. C’est ainsi que j’ai découvert les boeufs, l’improvisation, les rencontres fortuites et enrichissantes.

Cela a duré jusqu’à ma quinzième année. J’ai ensuite intégré le conservatoire, à Antibes d’abord, puis à Nice, pour des études de saxophone alto classique. Ce qui m’a valu une médaille d’or avec félicitations du jury. Après mon DEM de solfège, j’ai obtenu un prix de musique de chambre, puis un prix de perfectionnement à l’unanimité, avec, encore, les félicitations du jury. Tout cela en seulement cinq ans.

 

– Et le jazz ? Oublié ?

– Je jouais du jazz en parallèle de mes études classiques, mais c’est grâce à la rencontre, à Aix-en-Provence, de Jean-François Bonnel, que j’ai pris conscience que le jazz m’offrait une possibilité de carrière. Il m’a énormément appris, et donné des clés pour jouer du jazz. Il m’a donné confiance en moi, m’a obligée à écouter des musiciens très divers (de Red Nichols à Monk, en passant par Art Tatum et Parker. Il m’a fait découvrir Kenny Davern, pour qui je conserve une prédilection, notamment les duos avec le pianiste Dick Wellstood (j’adore aussi, dans le genre intimiste, le cornettiste Ruby Braff). Jean-François m’a fait relever des kyrielles de solos de clarinette. Bref, il a été mon guide. Je lui dois beaucoup. Plus tard, à Paris, j’ai travaillé avec Nicolas Dary qui m’a initiée à la théorie, et, brièvement, avec André Villéger, qui m’a aussi beaucoup apporté. Mais mon travail nuisait à mon assiduité à ses cours et j’ai dû renoncer à ceux-ci.

 

– Sans enfoncer des portes ouvertes, peut-on dire que, pour une femme, il n’est pas facile de se faire une place dans l’univers du jazz ?

– Pas du tout ! Pour ma part, je n’ai rencontré aucune difficulté. J’ai été tout de suite reçue comme une princesse. Il est vrai qu’il n’existe guère de femme clarinettiste de jazz. Mais enfin, j’avais le sentiment d’être dans ma famille. J’aurais en revanche plus de mal avec les orchestres strictement féminins – sauf s’il s’agit de groupes constitués pour le seul amour de la musique, comme Certains l’aiment chaud, de la cornettiste Kiki Desplat, qui rassemble de bonnes amies, ou encore le quartette de Rhoda Scott. La démarche de départ, faire un orchestre féminin pour des raisons extra musicales, me déplaît.

 

La suite logique d’une carrière menée tambour battant serait de créer et de diriger sa propre formation. Une perspective que n’envisage pas Aurélie.
– Trop de servitudes et de contraintes. Pendant trois ans, j’ai assuré la régie du Duke Orchestra et j’ai pu mesurer la charge de travail que cela impliquait. En revanche, s’il est un projet qui me tient à coeur, c’est un duo avec le pianiste Philippe Milanta, que j’ai connu chez Laurent Mignard. J’appartiens à son KCombo 6, avec François Biensan (tp), Nicolas Montier (ts), Bruno Rousselet (b) et Julie Saury (dm). Nous jouons du Basie. En duo, nous travaillerons essentiellement sur des compositions de Milanta, ce qui nous laissera plus de liberté.

 

– La composition ? L’arrangement ? L’enseignement, peut-être ?

– Je ne suis pas compositeur et j’ai arrangé en tout et pour tout deux morceaux dans ma vie… Quant à enseigner, ce n’est pas pour moi qui suis une autodidacte. Même si j’ai déjà donné des cours de musique à Aix.

 

– Certains, au nom de la créativité, ne manquent ni de condescendance, ni de sarcasmes à l’égard du « revival » tel que vous le pratiquez. Que leur répondez-vous ?

– Je suis assez partagée. Rejouer note pour note ce qui a déjà été joué n’a certes pas de sens. Mais, dans notre langage, dans notre façon d’interpréter un thème, fût-il ancien, il y a toujours une part d’invention dans les arrangements. L’improvisation implique toujours la création. Si vous me demandez si j’arrive à être moi-même dans ce que je joue, je vous répondrai oui, sans hésitation.

 

– Pensez-vous que la musique des années 1920 à 1950 puisse encore toucher les jeunes ?

– Bien sûr ! Il n’est que de voir leurs réactions lorsqu’ils tombent sur un groupe traditionnel, au détour d’une rue. Seulement, ils n’ont guère l’occasion d’écouter ce genre de musique, qui, contrairement aux apparences, n’est pas facile à pratiquer et ne souffre pas la médiocrité. Le jazz actuel évolue vers la world music et on appelle « jazz » tout et n’importe quoi. Il faut espérer que le swing parviendra à perdurer…

 

Quand on lui demande sa définition du jazz, Aurélie n’hésite guère :

– Le partage. La générosité. Le fait de se livrer sans restriction. La liberté de s’exprimer et de créer. Une façon d’être. Ainsi, hier soir, sous le chapiteau, j’ai été littéralement emportée et émue jusqu’aux larmes par un morceau de Joshua Redman avec The Bad Plus (Silence Is The Question), par sa montée vers un paroxysme qui semblait ne jamais pouvoir être atteint, et sa retombée vers la sérénité. On ne saurait parler de swing, en l’occurrence, mais il s’agit pourtant bel et bien de jazz.

 

Propos recueillis à Marciac par Jacques Aboucaya

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Sans conteste, l’une des vedettes du Festival bis, comme on l’appelle ici. Son jeu de clarinette, fluide, élégant, y fait merveille dans différents contextes, le All Stars de Julien Silvand, inspiré par celui de Louis Armstrong, Les Red Hot Reedwarmers du saxophoniste Stéphane Gillot. Tout récemment, à Ascona, elle se produisait, en juin, au sein des Swingberries de Jérôme Etcheberry. Par ailleurs, soliste remarquée du Duke Orchestra dirigé par Laurent Mignard, elle a animé aussi, lors du dernier festival Jazz à Juan, les rues d’Antibes avec les Jazzticots, une formation créée par son père. 2012 serait-elle donc l’année d’Aurélie Tropez ?


– Il est vrai que j’ai la chance de jouer dans de nombreuses formations, et donc beaucoup.. Entre le mois d’avril et le début de novembre, j’aurai sillonné l’Europe : Munster, Juan, Ascona, le Danemark, la Suède, Marciac, Jazz au Phare dans l’Île de Ré, Pertuis…

– Ces grands écarts entre combos et big band, ces allers et retours entre des styles et des époques différents ne sont-ils pas une gageure ? Adapter son jeu à chacun des groupes, poser successivement ses pas dans ceux de Jimmy Noone, de Benny Goodman, de Barney Bigard ou Jimmy Hamilton, n’est-ce pas multiplier les difficultés ?

– Pas vraiment. J’aime me couler dans différents styles. Chaque orchestre a sa couleur, son ambiance particulières. A vrai dire, je n’ai pas de préférence. J’ai besoin de tous ces climats, aussi bien celui de Jimmy Hamilton dans le Duke Orchestra que celui de Noone avec les Reedwarmers. D’autant que je conserve toujours cette part de liberté qui me permet de m’exprimer comme je le souhaite.

 

Avant d’en arriver là, un parcours jalonné de succès, mais un premier contact avec l’instrument qui ne relève pas vraiment du coup de foudre.

– J’ai commencé à l’école de musique de Fayence, dans le Var, où je souhaitais apprendre la flûte traversière. Mais comme le seul professeur de l’école jouait de la clarinette… Pendant quatre ans, j’ai détesté cet instrument. L’apprentissage a été une vraie torture, au point que, les jours d’audition, j’oubliais systématiquement les partitions, voire l’instrument lui-même ! Jusqu’à la découverte du jazz, dans la fanfare de mon père qui écrivait des arrangements « jazzy ». Nous jouions Petite Fleur, When The Saints, à vingt musiciens, dans des animations de rues. C’est ainsi que j’ai découvert les boeufs, l’improvisation, les rencontres fortuites et enrichissantes.

Cela a duré jusqu’à ma quinzième année. J’ai ensuite intégré le conservatoire, à Antibes d’abord, puis à Nice, pour des études de saxophone alto classique. Ce qui m’a valu une médaille d’or avec félicitations du jury. Après mon DEM de solfège, j’ai obtenu un prix de musique de chambre, puis un prix de perfectionnement à l’unanimité, avec, encore, les félicitations du jury. Tout cela en seulement cinq ans.

 

– Et le jazz ? Oublié ?

– Je jouais du jazz en parallèle de mes études classiques, mais c’est grâce à la rencontre, à Aix-en-Provence, de Jean-François Bonnel, que j’ai pris conscience que le jazz m’offrait une possibilité de carrière. Il m’a énormément appris, et donné des clés pour jouer du jazz. Il m’a donné confiance en moi, m’a obligée à écouter des musiciens très divers (de Red Nichols à Monk, en passant par Art Tatum et Parker. Il m’a fait découvrir Kenny Davern, pour qui je conserve une prédilection, notamment les duos avec le pianiste Dick Wellstood (j’adore aussi, dans le genre intimiste, le cornettiste Ruby Braff). Jean-François m’a fait relever des kyrielles de solos de clarinette. Bref, il a été mon guide. Je lui dois beaucoup. Plus tard, à Paris, j’ai travaillé avec Nicolas Dary qui m’a initiée à la théorie, et, brièvement, avec André Villéger, qui m’a aussi beaucoup apporté. Mais mon travail nuisait à mon assiduité à ses cours et j’ai dû renoncer à ceux-ci.

 

– Sans enfoncer des portes ouvertes, peut-on dire que, pour une femme, il n’est pas facile de se faire une place dans l’univers du jazz ?

– Pas du tout ! Pour ma part, je n’ai rencontré aucune difficulté. J’ai été tout de suite reçue comme une princesse. Il est vrai qu’il n’existe guère de femme clarinettiste de jazz. Mais enfin, j’avais le sentiment d’être dans ma famille. J’aurais en revanche plus de mal avec les orchestres strictement féminins – sauf s’il s’agit de groupes constitués pour le seul amour de la musique, comme Certains l’aiment chaud, de la cornettiste Kiki Desplat, qui rassemble de bonnes amies, ou encore le quartette de Rhoda Scott. La démarche de départ, faire un orchestre féminin pour des raisons extra musicales, me déplaît.

 

La suite logique d’une carrière menée tambour battant serait de créer et de diriger sa propre formation. Une perspective que n’envisage pas Aurélie.
– Trop de servitudes et de contraintes. Pendant trois ans, j’ai assuré la régie du Duke Orchestra et j’ai pu mesurer la charge de travail que cela impliquait. En revanche, s’il est un projet qui me tient à coeur, c’est un duo avec le pianiste Philippe Milanta, que j’ai connu chez Laurent Mignard. J’appartiens à son KCombo 6, avec François Biensan (tp), Nicolas Montier (ts), Bruno Rousselet (b) et Julie Saury (dm). Nous jouons du Basie. En duo, nous travaillerons essentiellement sur des compositions de Milanta, ce qui nous laissera plus de liberté.

 

– La composition ? L’arrangement ? L’enseignement, peut-être ?

– Je ne suis pas compositeur et j’ai arrangé en tout et pour tout deux morceaux dans ma vie… Quant à enseigner, ce n’est pas pour moi qui suis une autodidacte. Même si j’ai déjà donné des cours de musique à Aix.

 

– Certains, au nom de la créativité, ne manquent ni de condescendance, ni de sarcasmes à l’égard du « revival » tel que vous le pratiquez. Que leur répondez-vous ?

– Je suis assez partagée. Rejouer note pour note ce qui a déjà été joué n’a certes pas de sens. Mais, dans notre langage, dans notre façon d’interpréter un thème, fût-il ancien, il y a toujours une part d’invention dans les arrangements. L’improvisation implique toujours la création. Si vous me demandez si j’arrive à être moi-même dans ce que je joue, je vous répondrai oui, sans hésitation.

 

– Pensez-vous que la musique des années 1920 à 1950 puisse encore toucher les jeunes ?

– Bien sûr ! Il n’est que de voir leurs réactions lorsqu’ils tombent sur un groupe traditionnel, au détour d’une rue. Seulement, ils n’ont guère l’occasion d’écouter ce genre de musique, qui, contrairement aux apparences, n’est pas facile à pratiquer et ne souffre pas la médiocrité. Le jazz actuel évolue vers la world music et on appelle « jazz » tout et n’importe quoi. Il faut espérer que le swing parviendra à perdurer…

 

Quand on lui demande sa définition du jazz, Aurélie n’hésite guère :

– Le partage. La générosité. Le fait de se livrer sans restriction. La liberté de s’exprimer et de créer. Une façon d’être. Ainsi, hier soir, sous le chapiteau, j’ai été littéralement emportée et émue jusqu’aux larmes par un morceau de Joshua Redman avec The Bad Plus (Silence Is The Question), par sa montée vers un paroxysme qui semblait ne jamais pouvoir être atteint, et sa retombée vers la sérénité. On ne saurait parler de swing, en l’occurrence, mais il s’agit pourtant bel et bien de jazz.

 

Propos recueillis à Marciac par Jacques Aboucaya

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Sans conteste, l’une des vedettes du Festival bis, comme on l’appelle ici. Son jeu de clarinette, fluide, élégant, y fait merveille dans différents contextes, le All Stars de Julien Silvand, inspiré par celui de Louis Armstrong, Les Red Hot Reedwarmers du saxophoniste Stéphane Gillot. Tout récemment, à Ascona, elle se produisait, en juin, au sein des Swingberries de Jérôme Etcheberry. Par ailleurs, soliste remarquée du Duke Orchestra dirigé par Laurent Mignard, elle a animé aussi, lors du dernier festival Jazz à Juan, les rues d’Antibes avec les Jazzticots, une formation créée par son père. 2012 serait-elle donc l’année d’Aurélie Tropez ?


– Il est vrai que j’ai la chance de jouer dans de nombreuses formations, et donc beaucoup.. Entre le mois d’avril et le début de novembre, j’aurai sillonné l’Europe : Munster, Juan, Ascona, le Danemark, la Suède, Marciac, Jazz au Phare dans l’Île de Ré, Pertuis…

– Ces grands écarts entre combos et big band, ces allers et retours entre des styles et des époques différents ne sont-ils pas une gageure ? Adapter son jeu à chacun des groupes, poser successivement ses pas dans ceux de Jimmy Noone, de Benny Goodman, de Barney Bigard ou Jimmy Hamilton, n’est-ce pas multiplier les difficultés ?

– Pas vraiment. J’aime me couler dans différents styles. Chaque orchestre a sa couleur, son ambiance particulières. A vrai dire, je n’ai pas de préférence. J’ai besoin de tous ces climats, aussi bien celui de Jimmy Hamilton dans le Duke Orchestra que celui de Noone avec les Reedwarmers. D’autant que je conserve toujours cette part de liberté qui me permet de m’exprimer comme je le souhaite.

 

Avant d’en arriver là, un parcours jalonné de succès, mais un premier contact avec l’instrument qui ne relève pas vraiment du coup de foudre.

– J’ai commencé à l’école de musique de Fayence, dans le Var, où je souhaitais apprendre la flûte traversière. Mais comme le seul professeur de l’école jouait de la clarinette… Pendant quatre ans, j’ai détesté cet instrument. L’apprentissage a été une vraie torture, au point que, les jours d’audition, j’oubliais systématiquement les partitions, voire l’instrument lui-même ! Jusqu’à la découverte du jazz, dans la fanfare de mon père qui écrivait des arrangements « jazzy ». Nous jouions Petite Fleur, When The Saints, à vingt musiciens, dans des animations de rues. C’est ainsi que j’ai découvert les boeufs, l’improvisation, les rencontres fortuites et enrichissantes.

Cela a duré jusqu’à ma quinzième année. J’ai ensuite intégré le conservatoire, à Antibes d’abord, puis à Nice, pour des études de saxophone alto classique. Ce qui m’a valu une médaille d’or avec félicitations du jury. Après mon DEM de solfège, j’ai obtenu un prix de musique de chambre, puis un prix de perfectionnement à l’unanimité, avec, encore, les félicitations du jury. Tout cela en seulement cinq ans.

 

– Et le jazz ? Oublié ?

– Je jouais du jazz en parallèle de mes études classiques, mais c’est grâce à la rencontre, à Aix-en-Provence, de Jean-François Bonnel, que j’ai pris conscience que le jazz m’offrait une possibilité de carrière. Il m’a énormément appris, et donné des clés pour jouer du jazz. Il m’a donné confiance en moi, m’a obligée à écouter des musiciens très divers (de Red Nichols à Monk, en passant par Art Tatum et Parker. Il m’a fait découvrir Kenny Davern, pour qui je conserve une prédilection, notamment les duos avec le pianiste Dick Wellstood (j’adore aussi, dans le genre intimiste, le cornettiste Ruby Braff). Jean-François m’a fait relever des kyrielles de solos de clarinette. Bref, il a été mon guide. Je lui dois beaucoup. Plus tard, à Paris, j’ai travaillé avec Nicolas Dary qui m’a initiée à la théorie, et, brièvement, avec André Villéger, qui m’a aussi beaucoup apporté. Mais mon travail nuisait à mon assiduité à ses cours et j’ai dû renoncer à ceux-ci.

 

– Sans enfoncer des portes ouvertes, peut-on dire que, pour une femme, il n’est pas facile de se faire une place dans l’univers du jazz ?

– Pas du tout ! Pour ma part, je n’ai rencontré aucune difficulté. J’ai été tout de suite reçue comme une princesse. Il est vrai qu’il n’existe guère de femme clarinettiste de jazz. Mais enfin, j’avais le sentiment d’être dans ma famille. J’aurais en revanche plus de mal avec les orchestres strictement féminins – sauf s’il s’agit de groupes constitués pour le seul amour de la musique, comme Certains l’aiment chaud, de la cornettiste Kiki Desplat, qui rassemble de bonnes amies, ou encore le quartette de Rhoda Scott. La démarche de départ, faire un orchestre féminin pour des raisons extra musicales, me déplaît.

 

La suite logique d’une carrière menée tambour battant serait de créer et de diriger sa propre formation. Une perspective que n’envisage pas Aurélie.
– Trop de servitudes et de contraintes. Pendant trois ans, j’ai assuré la régie du Duke Orchestra et j’ai pu mesurer la charge de travail que cela impliquait. En revanche, s’il est un projet qui me tient à coeur, c’est un duo avec le pianiste Philippe Milanta, que j’ai connu chez Laurent Mignard. J’appartiens à son KCombo 6, avec François Biensan (tp), Nicolas Montier (ts), Bruno Rousselet (b) et Julie Saury (dm). Nous jouons du Basie. En duo, nous travaillerons essentiellement sur des compositions de Milanta, ce qui nous laissera plus de liberté.

 

– La composition ? L’arrangement ? L’enseignement, peut-être ?

– Je ne suis pas compositeur et j’ai arrangé en tout et pour tout deux morceaux dans ma vie… Quant à enseigner, ce n’est pas pour moi qui suis une autodidacte. Même si j’ai déjà donné des cours de musique à Aix.

 

– Certains, au nom de la créativité, ne manquent ni de condescendance, ni de sarcasmes à l’égard du « revival » tel que vous le pratiquez. Que leur répondez-vous ?

– Je suis assez partagée. Rejouer note pour note ce qui a déjà été joué n’a certes pas de sens. Mais, dans notre langage, dans notre façon d’interpréter un thème, fût-il ancien, il y a toujours une part d’invention dans les arrangements. L’improvisation implique toujours la création. Si vous me demandez si j’arrive à être moi-même dans ce que je joue, je vous répondrai oui, sans hésitation.

 

– Pensez-vous que la musique des années 1920 à 1950 puisse encore toucher les jeunes ?

– Bien sûr ! Il n’est que de voir leurs réactions lorsqu’ils tombent sur un groupe traditionnel, au détour d’une rue. Seulement, ils n’ont guère l’occasion d’écouter ce genre de musique, qui, contrairement aux apparences, n’est pas facile à pratiquer et ne souffre pas la médiocrité. Le jazz actuel évolue vers la world music et on appelle « jazz » tout et n’importe quoi. Il faut espérer que le swing parviendra à perdurer…

 

Quand on lui demande sa définition du jazz, Aurélie n’hésite guère :

– Le partage. La générosité. Le fait de se livrer sans restriction. La liberté de s’exprimer et de créer. Une façon d’être. Ainsi, hier soir, sous le chapiteau, j’ai été littéralement emportée et émue jusqu’aux larmes par un morceau de Joshua Redman avec The Bad Plus (Silence Is The Question), par sa montée vers un paroxysme qui semblait ne jamais pouvoir être atteint, et sa retombée vers la sérénité. On ne saurait parler de swing, en l’occurrence, mais il s’agit pourtant bel et bien de jazz.

 

Propos recueillis à Marciac par Jacques Aboucaya

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Sans conteste, l’une des vedettes du Festival bis, comme on l’appelle ici. Son jeu de clarinette, fluide, élégant, y fait merveille dans différents contextes, le All Stars de Julien Silvand, inspiré par celui de Louis Armstrong, Les Red Hot Reedwarmers du saxophoniste Stéphane Gillot. Tout récemment, à Ascona, elle se produisait, en juin, au sein des Swingberries de Jérôme Etcheberry. Par ailleurs, soliste remarquée du Duke Orchestra dirigé par Laurent Mignard, elle a animé aussi, lors du dernier festival Jazz à Juan, les rues d’Antibes avec les Jazzticots, une formation créée par son père. 2012 serait-elle donc l’année d’Aurélie Tropez ?


– Il est vrai que j’ai la chance de jouer dans de nombreuses formations, et donc beaucoup.. Entre le mois d’avril et le début de novembre, j’aurai sillonné l’Europe : Munster, Juan, Ascona, le Danemark, la Suède, Marciac, Jazz au Phare dans l’Île de Ré, Pertuis…

– Ces grands écarts entre combos et big band, ces allers et retours entre des styles et des époques différents ne sont-ils pas une gageure ? Adapter son jeu à chacun des groupes, poser successivement ses pas dans ceux de Jimmy Noone, de Benny Goodman, de Barney Bigard ou Jimmy Hamilton, n’est-ce pas multiplier les difficultés ?

– Pas vraiment. J’aime me couler dans différents styles. Chaque orchestre a sa couleur, son ambiance particulières. A vrai dire, je n’ai pas de préférence. J’ai besoin de tous ces climats, aussi bien celui de Jimmy Hamilton dans le Duke Orchestra que celui de Noone avec les Reedwarmers. D’autant que je conserve toujours cette part de liberté qui me permet de m’exprimer comme je le souhaite.

 

Avant d’en arriver là, un parcours jalonné de succès, mais un premier contact avec l’instrument qui ne relève pas vraiment du coup de foudre.

– J’ai commencé à l’école de musique de Fayence, dans le Var, où je souhaitais apprendre la flûte traversière. Mais comme le seul professeur de l’école jouait de la clarinette… Pendant quatre ans, j’ai détesté cet instrument. L’apprentissage a été une vraie torture, au point que, les jours d’audition, j’oubliais systématiquement les partitions, voire l’instrument lui-même ! Jusqu’à la découverte du jazz, dans la fanfare de mon père qui écrivait des arrangements « jazzy ». Nous jouions Petite Fleur, When The Saints, à vingt musiciens, dans des animations de rues. C’est ainsi que j’ai découvert les boeufs, l’improvisation, les rencontres fortuites et enrichissantes.

Cela a duré jusqu’à ma quinzième année. J’ai ensuite intégré le conservatoire, à Antibes d’abord, puis à Nice, pour des études de saxophone alto classique. Ce qui m’a valu une médaille d’or avec félicitations du jury. Après mon DEM de solfège, j’ai obtenu un prix de musique de chambre, puis un prix de perfectionnement à l’unanimité, avec, encore, les félicitations du jury. Tout cela en seulement cinq ans.

 

– Et le jazz ? Oublié ?

– Je jouais du jazz en parallèle de mes études classiques, mais c’est grâce à la rencontre, à Aix-en-Provence, de Jean-François Bonnel, que j’ai pris conscience que le jazz m’offrait une possibilité de carrière. Il m’a énormément appris, et donné des clés pour jouer du jazz. Il m’a donné confiance en moi, m’a obligée à écouter des musiciens très divers (de Red Nichols à Monk, en passant par Art Tatum et Parker. Il m’a fait découvrir Kenny Davern, pour qui je conserve une prédilection, notamment les duos avec le pianiste Dick Wellstood (j’adore aussi, dans le genre intimiste, le cornettiste Ruby Braff). Jean-François m’a fait relever des kyrielles de solos de clarinette. Bref, il a été mon guide. Je lui dois beaucoup. Plus tard, à Paris, j’ai travaillé avec Nicolas Dary qui m’a initiée à la théorie, et, brièvement, avec André Villéger, qui m’a aussi beaucoup apporté. Mais mon travail nuisait à mon assiduité à ses cours et j’ai dû renoncer à ceux-ci.

 

– Sans enfoncer des portes ouvertes, peut-on dire que, pour une femme, il n’est pas facile de se faire une place dans l’univers du jazz ?

– Pas du tout ! Pour ma part, je n’ai rencontré aucune difficulté. J’ai été tout de suite reçue comme une princesse. Il est vrai qu’il n’existe guère de femme clarinettiste de jazz. Mais enfin, j’avais le sentiment d’être dans ma famille. J’aurais en revanche plus de mal avec les orchestres strictement féminins – sauf s’il s’agit de groupes constitués pour le seul amour de la musique, comme Certains l’aiment chaud, de la cornettiste Kiki Desplat, qui rassemble de bonnes amies, ou encore le quartette de Rhoda Scott. La démarche de départ, faire un orchestre féminin pour des raisons extra musicales, me déplaît.

 

La suite logique d’une carrière menée tambour battant serait de créer et de diriger sa propre formation. Une perspective que n’envisage pas Aurélie.
– Trop de servitudes et de contraintes. Pendant trois ans, j’ai assuré la régie du Duke Orchestra et j’ai pu mesurer la charge de travail que cela impliquait. En revanche, s’il est un projet qui me tient à coeur, c’est un duo avec le pianiste Philippe Milanta, que j’ai connu chez Laurent Mignard. J’appartiens à son KCombo 6, avec François Biensan (tp), Nicolas Montier (ts), Bruno Rousselet (b) et Julie Saury (dm). Nous jouons du Basie. En duo, nous travaillerons essentiellement sur des compositions de Milanta, ce qui nous laissera plus de liberté.

 

– La composition ? L’arrangement ? L’enseignement, peut-être ?

– Je ne suis pas compositeur et j’ai arrangé en tout et pour tout deux morceaux dans ma vie… Quant à enseigner, ce n’est pas pour moi qui suis une autodidacte. Même si j’ai déjà donné des cours de musique à Aix.

 

– Certains, au nom de la créativité, ne manquent ni de condescendance, ni de sarcasmes à l’égard du « revival » tel que vous le pratiquez. Que leur répondez-vous ?

– Je suis assez partagée. Rejouer note pour note ce qui a déjà été joué n’a certes pas de sens. Mais, dans notre langage, dans notre façon d’interpréter un thème, fût-il ancien, il y a toujours une part d’invention dans les arrangements. L’improvisation implique toujours la création. Si vous me demandez si j’arrive à être moi-même dans ce que je joue, je vous répondrai oui, sans hésitation.

 

– Pensez-vous que la musique des années 1920 à 1950 puisse encore toucher les jeunes ?

– Bien sûr ! Il n’est que de voir leurs réactions lorsqu’ils tombent sur un groupe traditionnel, au détour d’une rue. Seulement, ils n’ont guère l’occasion d’écouter ce genre de musique, qui, contrairement aux apparences, n’est pas facile à pratiquer et ne souffre pas la médiocrité. Le jazz actuel évolue vers la world music et on appelle « jazz » tout et n’importe quoi. Il faut espérer que le swing parviendra à perdurer…

 

Quand on lui demande sa définition du jazz, Aurélie n’hésite guère :

– Le partage. La générosité. Le fait de se livrer sans restriction. La liberté de s’exprimer et de créer. Une façon d’être. Ainsi, hier soir, sous le chapiteau, j’ai été littéralement emportée et émue jusqu’aux larmes par un morceau de Joshua Redman avec The Bad Plus (Silence Is The Question), par sa montée vers un paroxysme qui semblait ne jamais pouvoir être atteint, et sa retombée vers la sérénité. On ne saurait parler de swing, en l’occurrence, mais il s’agit pourtant bel et bien de jazz.

 

Propos recueillis à Marciac par Jacques Aboucaya