Jazz in Marciac. Sonny Rollins ou le temps aboli
Pour le chroniqueur d’un concert de Sonny Rollins, deux écueils de taille. D’un côté, l’emphase. Le « colosse », la « légende vivante » ont déjà beaucoup servi. Sans parler du « musicien culte », type même du cliché éculé. De l’autre, une admiration teintée de compassion pour ce vieillard claudicant, courbé, et pas seulement sous le poids des ans. Doté pourtant d’une énergie farouche. Arpentant la scène, comme il le faisait encore naguère, mais à pas comptés et précautionneux.
Sonny Rollins (ts), Clifton Anderson (tb), Saul Rubin (g), Bob Cranshaw (b), Kobie Watkins (dm), Sammy Figueroa (perc). Chapiteau, 29 juillet.
Difficile pourtant de traiter Rollins comme un musicien ordinaire. Dès son entrée en scène – crinière et barbe chenues, lunettes noires, vaste tunique blanche -, dès les premières notes de Saint Thomas, la magie opère. Et son charisme, intact. Saint Thomas, il l’a joué sans doute des dizaines de milliers de fois. Il le souffle pourtant ce soir comme si sa vie en dépendait. Comme s’il découvrait les sortilèges d’une mélodie qu’il déroule et enroule en mille volutes, explore, tourne et retourne pour en extraire le suc, jusqu’à la dernière goutte. L’interprétation de ce morceau de bravoure aura duré vingt bonnes minutes. Un record.
Et puis ce son, tranchant, unique. Ce phrasé. Cette manière de développer un discours sinueux et pourtant d’une implacable logique. Ce recours aux leitmotive. Le voudrait-on, impossible de ne pas se remémorer que Rollins a marqué de son empreinte tout un pan de l’histoire du jazz. Il n’a guère changé depuis les joutes mémorables avec Coltrane (il reprendra en rappel, comme pour boucler la boucle, Ténor Madness). L’enthousiasme reste intact, et la vigueur. Même si une place plus large est désormais accordée à des partenaires cantonnés naguère au rang de faire-valoir.
Occasion de découvrir que Clifton Anderson vaut mieux que les quelques riffs qui lui étaient concédés jusqu’à ces dernières années. Servies par une sonorité charnue, celle-là même que Jay Jay Johnson avait héritée de ses prédécesseurs de l’ère swing, ses improvisations sont toujours dignes d’intérêt et il fournit parfois à son leader quelques contrepoints bienvenus. Sans doute serait-il abusif de parler d’arrangements. Plutôt une succession de solos, le saxophoniste laissant à ses musiciens la bride sur le cou.
Le guitariste Saul Rubin en profite pour manifester sa maîtrise du jeu en accords qu’il alterne judicieusement avec des passages en single notes. Son solo sur I Can’t Get Started est, à cet égard, caractéristique. Quant à Rollins, il persille ce standard de citations, Pennies From Heaven, la coda de Round Midnight, qui lui viennent naturellement sous les doigts et s’intègrent à son développement sans le moindre hiatus.
Bob Cranshaw, impassible, est toujours… Bob Cranshaw. Il mériterait, pour sa fidélité sans faille plus que pour la qualité inégale de ses interventions en soliste, la médaille du vieux serviteur. Quant à Sammy Figueroa et au jeune batteur Kobie Watkins, ils participent de la réussite de la fête, soulignant sans lourdeur l’allégresse des rythmes caribéens. Le saxophoniste, on le sait, les affectionne. Mais il n’hésite pas à mettre aussi à son programme une comptine, Bonsoir, madame la Lune, qu’Emile Bessière et Paul Marinier composèrent en 1899. C’est dire que, pour lui, le temps ne compte pas.
Jacques Aboucaya
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Pour le chroniqueur d’un concert de Sonny Rollins, deux écueils de taille. D’un côté, l’emphase. Le « colosse », la « légende vivante » ont déjà beaucoup servi. Sans parler du « musicien culte », type même du cliché éculé. De l’autre, une admiration teintée de compassion pour ce vieillard claudicant, courbé, et pas seulement sous le poids des ans. Doté pourtant d’une énergie farouche. Arpentant la scène, comme il le faisait encore naguère, mais à pas comptés et précautionneux.
Sonny Rollins (ts), Clifton Anderson (tb), Saul Rubin (g), Bob Cranshaw (b), Kobie Watkins (dm), Sammy Figueroa (perc). Chapiteau, 29 juillet.
Difficile pourtant de traiter Rollins comme un musicien ordinaire. Dès son entrée en scène – crinière et barbe chenues, lunettes noires, vaste tunique blanche -, dès les premières notes de Saint Thomas, la magie opère. Et son charisme, intact. Saint Thomas, il l’a joué sans doute des dizaines de milliers de fois. Il le souffle pourtant ce soir comme si sa vie en dépendait. Comme s’il découvrait les sortilèges d’une mélodie qu’il déroule et enroule en mille volutes, explore, tourne et retourne pour en extraire le suc, jusqu’à la dernière goutte. L’interprétation de ce morceau de bravoure aura duré vingt bonnes minutes. Un record.
Et puis ce son, tranchant, unique. Ce phrasé. Cette manière de développer un discours sinueux et pourtant d’une implacable logique. Ce recours aux leitmotive. Le voudrait-on, impossible de ne pas se remémorer que Rollins a marqué de son empreinte tout un pan de l’histoire du jazz. Il n’a guère changé depuis les joutes mémorables avec Coltrane (il reprendra en rappel, comme pour boucler la boucle, Ténor Madness). L’enthousiasme reste intact, et la vigueur. Même si une place plus large est désormais accordée à des partenaires cantonnés naguère au rang de faire-valoir.
Occasion de découvrir que Clifton Anderson vaut mieux que les quelques riffs qui lui étaient concédés jusqu’à ces dernières années. Servies par une sonorité charnue, celle-là même que Jay Jay Johnson avait héritée de ses prédécesseurs de l’ère swing, ses improvisations sont toujours dignes d’intérêt et il fournit parfois à son leader quelques contrepoints bienvenus. Sans doute serait-il abusif de parler d’arrangements. Plutôt une succession de solos, le saxophoniste laissant à ses musiciens la bride sur le cou.
Le guitariste Saul Rubin en profite pour manifester sa maîtrise du jeu en accords qu’il alterne judicieusement avec des passages en single notes. Son solo sur I Can’t Get Started est, à cet égard, caractéristique. Quant à Rollins, il persille ce standard de citations, Pennies From Heaven, la coda de Round Midnight, qui lui viennent naturellement sous les doigts et s’intègrent à son développement sans le moindre hiatus.
Bob Cranshaw, impassible, est toujours… Bob Cranshaw. Il mériterait, pour sa fidélité sans faille plus que pour la qualité inégale de ses interventions en soliste, la médaille du vieux serviteur. Quant à Sammy Figueroa et au jeune batteur Kobie Watkins, ils participent de la réussite de la fête, soulignant sans lourdeur l’allégresse des rythmes caribéens. Le saxophoniste, on le sait, les affectionne. Mais il n’hésite pas à mettre aussi à son programme une comptine, Bonsoir, madame la Lune, qu’Emile Bessière et Paul Marinier composèrent en 1899. C’est dire que, pour lui, le temps ne compte pas.
Jacques Aboucaya
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Pour le chroniqueur d’un concert de Sonny Rollins, deux écueils de taille. D’un côté, l’emphase. Le « colosse », la « légende vivante » ont déjà beaucoup servi. Sans parler du « musicien culte », type même du cliché éculé. De l’autre, une admiration teintée de compassion pour ce vieillard claudicant, courbé, et pas seulement sous le poids des ans. Doté pourtant d’une énergie farouche. Arpentant la scène, comme il le faisait encore naguère, mais à pas comptés et précautionneux.
Sonny Rollins (ts), Clifton Anderson (tb), Saul Rubin (g), Bob Cranshaw (b), Kobie Watkins (dm), Sammy Figueroa (perc). Chapiteau, 29 juillet.
Difficile pourtant de traiter Rollins comme un musicien ordinaire. Dès son entrée en scène – crinière et barbe chenues, lunettes noires, vaste tunique blanche -, dès les premières notes de Saint Thomas, la magie opère. Et son charisme, intact. Saint Thomas, il l’a joué sans doute des dizaines de milliers de fois. Il le souffle pourtant ce soir comme si sa vie en dépendait. Comme s’il découvrait les sortilèges d’une mélodie qu’il déroule et enroule en mille volutes, explore, tourne et retourne pour en extraire le suc, jusqu’à la dernière goutte. L’interprétation de ce morceau de bravoure aura duré vingt bonnes minutes. Un record.
Et puis ce son, tranchant, unique. Ce phrasé. Cette manière de développer un discours sinueux et pourtant d’une implacable logique. Ce recours aux leitmotive. Le voudrait-on, impossible de ne pas se remémorer que Rollins a marqué de son empreinte tout un pan de l’histoire du jazz. Il n’a guère changé depuis les joutes mémorables avec Coltrane (il reprendra en rappel, comme pour boucler la boucle, Ténor Madness). L’enthousiasme reste intact, et la vigueur. Même si une place plus large est désormais accordée à des partenaires cantonnés naguère au rang de faire-valoir.
Occasion de découvrir que Clifton Anderson vaut mieux que les quelques riffs qui lui étaient concédés jusqu’à ces dernières années. Servies par une sonorité charnue, celle-là même que Jay Jay Johnson avait héritée de ses prédécesseurs de l’ère swing, ses improvisations sont toujours dignes d’intérêt et il fournit parfois à son leader quelques contrepoints bienvenus. Sans doute serait-il abusif de parler d’arrangements. Plutôt une succession de solos, le saxophoniste laissant à ses musiciens la bride sur le cou.
Le guitariste Saul Rubin en profite pour manifester sa maîtrise du jeu en accords qu’il alterne judicieusement avec des passages en single notes. Son solo sur I Can’t Get Started est, à cet égard, caractéristique. Quant à Rollins, il persille ce standard de citations, Pennies From Heaven, la coda de Round Midnight, qui lui viennent naturellement sous les doigts et s’intègrent à son développement sans le moindre hiatus.
Bob Cranshaw, impassible, est toujours… Bob Cranshaw. Il mériterait, pour sa fidélité sans faille plus que pour la qualité inégale de ses interventions en soliste, la médaille du vieux serviteur. Quant à Sammy Figueroa et au jeune batteur Kobie Watkins, ils participent de la réussite de la fête, soulignant sans lourdeur l’allégresse des rythmes caribéens. Le saxophoniste, on le sait, les affectionne. Mais il n’hésite pas à mettre aussi à son programme une comptine, Bonsoir, madame la Lune, qu’Emile Bessière et Paul Marinier composèrent en 1899. C’est dire que, pour lui, le temps ne compte pas.
Jacques Aboucaya
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Pour le chroniqueur d’un concert de Sonny Rollins, deux écueils de taille. D’un côté, l’emphase. Le « colosse », la « légende vivante » ont déjà beaucoup servi. Sans parler du « musicien culte », type même du cliché éculé. De l’autre, une admiration teintée de compassion pour ce vieillard claudicant, courbé, et pas seulement sous le poids des ans. Doté pourtant d’une énergie farouche. Arpentant la scène, comme il le faisait encore naguère, mais à pas comptés et précautionneux.
Sonny Rollins (ts), Clifton Anderson (tb), Saul Rubin (g), Bob Cranshaw (b), Kobie Watkins (dm), Sammy Figueroa (perc). Chapiteau, 29 juillet.
Difficile pourtant de traiter Rollins comme un musicien ordinaire. Dès son entrée en scène – crinière et barbe chenues, lunettes noires, vaste tunique blanche -, dès les premières notes de Saint Thomas, la magie opère. Et son charisme, intact. Saint Thomas, il l’a joué sans doute des dizaines de milliers de fois. Il le souffle pourtant ce soir comme si sa vie en dépendait. Comme s’il découvrait les sortilèges d’une mélodie qu’il déroule et enroule en mille volutes, explore, tourne et retourne pour en extraire le suc, jusqu’à la dernière goutte. L’interprétation de ce morceau de bravoure aura duré vingt bonnes minutes. Un record.
Et puis ce son, tranchant, unique. Ce phrasé. Cette manière de développer un discours sinueux et pourtant d’une implacable logique. Ce recours aux leitmotive. Le voudrait-on, impossible de ne pas se remémorer que Rollins a marqué de son empreinte tout un pan de l’histoire du jazz. Il n’a guère changé depuis les joutes mémorables avec Coltrane (il reprendra en rappel, comme pour boucler la boucle, Ténor Madness). L’enthousiasme reste intact, et la vigueur. Même si une place plus large est désormais accordée à des partenaires cantonnés naguère au rang de faire-valoir.
Occasion de découvrir que Clifton Anderson vaut mieux que les quelques riffs qui lui étaient concédés jusqu’à ces dernières années. Servies par une sonorité charnue, celle-là même que Jay Jay Johnson avait héritée de ses prédécesseurs de l’ère swing, ses improvisations sont toujours dignes d’intérêt et il fournit parfois à son leader quelques contrepoints bienvenus. Sans doute serait-il abusif de parler d’arrangements. Plutôt une succession de solos, le saxophoniste laissant à ses musiciens la bride sur le cou.
Le guitariste Saul Rubin en profite pour manifester sa maîtrise du jeu en accords qu’il alterne judicieusement avec des passages en single notes. Son solo sur I Can’t Get Started est, à cet égard, caractéristique. Quant à Rollins, il persille ce standard de citations, Pennies From Heaven, la coda de Round Midnight, qui lui viennent naturellement sous les doigts et s’intègrent à son développement sans le moindre hiatus.
Bob Cranshaw, impassible, est toujours… Bob Cranshaw. Il mériterait, pour sa fidélité sans faille plus que pour la qualité inégale de ses interventions en soliste, la médaille du vieux serviteur. Quant à Sammy Figueroa et au jeune batteur Kobie Watkins, ils participent de la réussite de la fête, soulignant sans lourdeur l’allégresse des rythmes caribéens. Le saxophoniste, on le sait, les affectionne. Mais il n’hésite pas à mettre aussi à son programme une comptine, Bonsoir, madame la Lune, qu’Emile Bessière et Paul Marinier composèrent en 1899. C’est dire que, pour lui, le temps ne compte pas.
Jacques Aboucaya