Le jazz italien après le tremblement de terre
Il Jazz italiano per Amatrice. Rome et L’Aquila le 04/09
L’Italie après le séisme qui a frappé son centre géographique est, en ce qui concerne le jazz, un pays où l’on balance entre le respect du deuil des populations touchées et la volonté d’affirmer que la vie continue.
Une importante manifestation (mi-festival mi-colloque) prévue à L’Aquila début septembre s’est vue annulée pour raisons de sécurité (comme d’autres événements culturels ou religieux) par le maire de cette ville durement touchée par un précédent séisme en 2009. Mais, ce premier dimanche de septembre, c’est toute l’Italie jazzistique qui s’est mobilisée pour une journée de concerts aussi bien dans les grandes villes que sont Rome, Milan ou Naples que dans des localités plus humbles pour exprimer son soutien à Amatrice et aux autres villages martyrs des Abbruzes. Les musiciens renoncent donc à leur cachet et un comité dirigé par Paolo Fresu reverse les bénéfices des concerts.
L’entrée des concerts est gratuite mais les spectateurs sont libres de faire sur place des dons pour la reconstruction du Théâtre Garibaldi d’Amatrice (au passage, j’ai dégusté hier soir d’excellents bucatini all’Amatriciana dans un restaurant proche de mon hôtel. Sur l’addition, un euro ira à Amatrice, ville d’où est originaire cette savoureuse recette de pâtes en sauce — et si vous êtes sensible à cette initiative solidaire, rendez vous sur le site de crowfunding : https://www.eppela.com/it/projects/10061-un-teatro-per-amatrice. Pour goûter le plat susmentionné il est par contre conseillé de venir dans le Latium, dont Rome est la capitale. Mais revenons à des sujets plus musicaux que gustatifs et charitables).
Ainsi de nombreuses villes italiennes se sont mobilisées pour cette occasion. Nous ne pourrons évidemment parler que de Rome où une journée de concerts eut lieu avant qu’un bus ne nous transporte à L’Aquila pour le concert du soir. A la Casa del Jazz de Rome, quatorze concerts d’une demi-heure chacun se succédaient de la fin de la matinée à la fin de l’après-midi avec une nette suprématie des pianistes en solo. Il faut dire qu’organiser un tel événement essentiellement avec des groupes et en si peu de temps aurait été une prouesse impossible. On me permettra donc ici de me limiter essentiellement aux pianistes évoqués ci-dessus.
Mais d’abord voici l’essentiel d’une courte interview de Paolo Fresu, maître d’œuvre de cet événement en liaison avec diverses associations. Un peu d’histoire (récente), donc : L’an dernier, le Ministre de la culture italien (présent lors de la journée dont je rends compte ici, de même que l’adjoint à la culture de Rome) propose à Fresu de faire quelque chose à L’Aquila. En résulte un marathon de midi à minuit sur une vingtaine de scènes avec 600 musiciens venus gratis. Cet événement unique rassemble 60 000 spectateurs et Fresu n’hésite pas à dire qu’« il y aura sans doute un avant et un après L’Aquila pour le jazz italien ». L’initiative est reconduite en 2016, mais c’est sans compter le tremblement de terre qui frappe tout près de la ville déjà en partie détruite en 2009, et ce à quelques semaines de la manifestation prévue. « On a dû réorganiser tout le programme devenu “Il Jazz italiano per Amatrice” et vingt-cinq villes petites ou grandes se sont portées volontaires pour participer à l’opération. Notre but est évidemment de manifester notre solidarité mais aussi de proposer une photo du jazz italien d’un point de vue géographique et stylistique. L’intérêt des médias radio, télé et de la presse quotidienne et hebdomadaire, pour cette initiative montre clairement que nous avons réussi à sensibiliser au-delà du seul milieu jazz ». Par ailleurs, avec l’accord du maire de L’Aquila, le concert du dimanche soir devant la basilique Santa Maria di Collemaggio en partie détruite en 2009 sera le seul événement culturel maintenu dans cette ville.
Revenons donc aux concerts de la journée dans le parc de la Casa del Jazz. Parmi les premiers pianistes s’y produisant en solo le plus intéressant vit paradoxalement à Paris sans y jouer autant qu’on le souhaiterait. J’ai nommé Giovanni Ceccarelli dont le jeu combine le lyrisme et un sens de l’espace tout à fait remarquables. Lui succédait le trio très “billevansien” d’Alessandro Galati : virtuose mais sans doute encore trop vert pour avoir une identité propre malgré le toucher subtil du leader et une belle interaction sur les standards. Giovanni Mirabassi vit également dans l’Hexagone. L’auditeur français connaît donc son goût du cantabile qui ne se dément évidemment pas les rares fois où il joue dans son pays natal, pas plus que son approche sensible et économique de l’harmonie. Le pianiste suivant, Kekko Fornarelli donne davantage dans les ostinatos avec un forte assise rythmique, lesquels se combinent avec un lyrisme souvent sombre mais tout à fait appréciable. Lui succède la seule femme de ce programme, Patrizia Scascitelli au jeu d’un classicisme assumé, dans la lignée d’Errol Garner. C’est enfin une figure historique du jazz italien — il a accompagné tous les américains de passage dans son fief de Milan — qui conclut cette série de solos. Luigi Bonafede a donné la mesure de son talent de pianiste et de compositeur. Lyrique — qui ne l’est pas dans la Botte ? —, amateur de nuances et d’un toucher léger, ce fut un régal de l’écouter dans une ville où il se produit peu. Il convient, outre ces pianistes, de mentionner un jeune “Collettivo Crossroads Improring” programmé en toute fin des concerts de la Casa del Jazz. Fort de huit musiciens — dont une chanteuse — et passablement électrifié, il proposa la musique la plus aventureuse de cette journée et on ne peut que lui souhaiter un bel avenir.
Le soir, c’est dans les Abbruzes durement touchées par le séisme que se terminait cette journée. Davantage de figures connues cette fois-ci, parmi lesquelles le trompettiste Fabrizio Bosso, le saxophoniste Maurizio Giammarco ou le bassiste Giovanni Tommaso, égaux à eux mêmes en termes de qualité de prestation dans un cadre aussi restreint. Mais de l’excellent orchestre du conservatoire local épaulant le ténor du même Giammarco à une formation de jazz rock mettant le feu sur un rythme de tarantelle, tous les groupes de ce final mériteraient d’être mentionnés, et évidemment Luca Filastro, un jeune prodige dans le style stride. Après cela un dernier pianiste, Raphael Gualazzi, invita Paolo Fresu à le rejoindre sur scène pour un beau duo plein de sensibilité. Quant au public, très nombreux (une vingtaine de milliers selon les estimations), soit il se tenait assis, dansait ou déambulait sur la pelouse jouxtant le magnifique fronton resté intact de la cathédrale en partie détruite, soit il s’amassait devant les stands de boissons et de victuailles, visiblement heureux qu’un événement festif d’une telle qualité lui soit offert après l’épreuve vécue il y a peu. Thierry Quénum
|Il Jazz italiano per Amatrice. Rome et L’Aquila le 04/09
L’Italie après le séisme qui a frappé son centre géographique est, en ce qui concerne le jazz, un pays où l’on balance entre le respect du deuil des populations touchées et la volonté d’affirmer que la vie continue.
Une importante manifestation (mi-festival mi-colloque) prévue à L’Aquila début septembre s’est vue annulée pour raisons de sécurité (comme d’autres événements culturels ou religieux) par le maire de cette ville durement touchée par un précédent séisme en 2009. Mais, ce premier dimanche de septembre, c’est toute l’Italie jazzistique qui s’est mobilisée pour une journée de concerts aussi bien dans les grandes villes que sont Rome, Milan ou Naples que dans des localités plus humbles pour exprimer son soutien à Amatrice et aux autres villages martyrs des Abbruzes. Les musiciens renoncent donc à leur cachet et un comité dirigé par Paolo Fresu reverse les bénéfices des concerts.
L’entrée des concerts est gratuite mais les spectateurs sont libres de faire sur place des dons pour la reconstruction du Théâtre Garibaldi d’Amatrice (au passage, j’ai dégusté hier soir d’excellents bucatini all’Amatriciana dans un restaurant proche de mon hôtel. Sur l’addition, un euro ira à Amatrice, ville d’où est originaire cette savoureuse recette de pâtes en sauce — et si vous êtes sensible à cette initiative solidaire, rendez vous sur le site de crowfunding : https://www.eppela.com/it/projects/10061-un-teatro-per-amatrice. Pour goûter le plat susmentionné il est par contre conseillé de venir dans le Latium, dont Rome est la capitale. Mais revenons à des sujets plus musicaux que gustatifs et charitables).
Ainsi de nombreuses villes italiennes se sont mobilisées pour cette occasion. Nous ne pourrons évidemment parler que de Rome où une journée de concerts eut lieu avant qu’un bus ne nous transporte à L’Aquila pour le concert du soir. A la Casa del Jazz de Rome, quatorze concerts d’une demi-heure chacun se succédaient de la fin de la matinée à la fin de l’après-midi avec une nette suprématie des pianistes en solo. Il faut dire qu’organiser un tel événement essentiellement avec des groupes et en si peu de temps aurait été une prouesse impossible. On me permettra donc ici de me limiter essentiellement aux pianistes évoqués ci-dessus.
Mais d’abord voici l’essentiel d’une courte interview de Paolo Fresu, maître d’œuvre de cet événement en liaison avec diverses associations. Un peu d’histoire (récente), donc : L’an dernier, le Ministre de la culture italien (présent lors de la journée dont je rends compte ici, de même que l’adjoint à la culture de Rome) propose à Fresu de faire quelque chose à L’Aquila. En résulte un marathon de midi à minuit sur une vingtaine de scènes avec 600 musiciens venus gratis. Cet événement unique rassemble 60 000 spectateurs et Fresu n’hésite pas à dire qu’« il y aura sans doute un avant et un après L’Aquila pour le jazz italien ». L’initiative est reconduite en 2016, mais c’est sans compter le tremblement de terre qui frappe tout près de la ville déjà en partie détruite en 2009, et ce à quelques semaines de la manifestation prévue. « On a dû réorganiser tout le programme devenu “Il Jazz italiano per Amatrice” et vingt-cinq villes petites ou grandes se sont portées volontaires pour participer à l’opération. Notre but est évidemment de manifester notre solidarité mais aussi de proposer une photo du jazz italien d’un point de vue géographique et stylistique. L’intérêt des médias radio, télé et de la presse quotidienne et hebdomadaire, pour cette initiative montre clairement que nous avons réussi à sensibiliser au-delà du seul milieu jazz ». Par ailleurs, avec l’accord du maire de L’Aquila, le concert du dimanche soir devant la basilique Santa Maria di Collemaggio en partie détruite en 2009 sera le seul événement culturel maintenu dans cette ville.
Revenons donc aux concerts de la journée dans le parc de la Casa del Jazz. Parmi les premiers pianistes s’y produisant en solo le plus intéressant vit paradoxalement à Paris sans y jouer autant qu’on le souhaiterait. J’ai nommé Giovanni Ceccarelli dont le jeu combine le lyrisme et un sens de l’espace tout à fait remarquables. Lui succédait le trio très “billevansien” d’Alessandro Galati : virtuose mais sans doute encore trop vert pour avoir une identité propre malgré le toucher subtil du leader et une belle interaction sur les standards. Giovanni Mirabassi vit également dans l’Hexagone. L’auditeur français connaît donc son goût du cantabile qui ne se dément évidemment pas les rares fois où il joue dans son pays natal, pas plus que son approche sensible et économique de l’harmonie. Le pianiste suivant, Kekko Fornarelli donne davantage dans les ostinatos avec un forte assise rythmique, lesquels se combinent avec un lyrisme souvent sombre mais tout à fait appréciable. Lui succède la seule femme de ce programme, Patrizia Scascitelli au jeu d’un classicisme assumé, dans la lignée d’Errol Garner. C’est enfin une figure historique du jazz italien — il a accompagné tous les américains de passage dans son fief de Milan — qui conclut cette série de solos. Luigi Bonafede a donné la mesure de son talent de pianiste et de compositeur. Lyrique — qui ne l’est pas dans la Botte ? —, amateur de nuances et d’un toucher léger, ce fut un régal de l’écouter dans une ville où il se produit peu. Il convient, outre ces pianistes, de mentionner un jeune “Collettivo Crossroads Improring” programmé en toute fin des concerts de la Casa del Jazz. Fort de huit musiciens — dont une chanteuse — et passablement électrifié, il proposa la musique la plus aventureuse de cette journée et on ne peut que lui souhaiter un bel avenir.
Le soir, c’est dans les Abbruzes durement touchées par le séisme que se terminait cette journée. Davantage de figures connues cette fois-ci, parmi lesquelles le trompettiste Fabrizio Bosso, le saxophoniste Maurizio Giammarco ou le bassiste Giovanni Tommaso, égaux à eux mêmes en termes de qualité de prestation dans un cadre aussi restreint. Mais de l’excellent orchestre du conservatoire local épaulant le ténor du même Giammarco à une formation de jazz rock mettant le feu sur un rythme de tarantelle, tous les groupes de ce final mériteraient d’être mentionnés, et évidemment Luca Filastro, un jeune prodige dans le style stride. Après cela un dernier pianiste, Raphael Gualazzi, invita Paolo Fresu à le rejoindre sur scène pour un beau duo plein de sensibilité. Quant au public, très nombreux (une vingtaine de milliers selon les estimations), soit il se tenait assis, dansait ou déambulait sur la pelouse jouxtant le magnifique fronton resté intact de la cathédrale en partie détruite, soit il s’amassait devant les stands de boissons et de victuailles, visiblement heureux qu’un événement festif d’une telle qualité lui soit offert après l’épreuve vécue il y a peu. Thierry Quénum
|Il Jazz italiano per Amatrice. Rome et L’Aquila le 04/09
L’Italie après le séisme qui a frappé son centre géographique est, en ce qui concerne le jazz, un pays où l’on balance entre le respect du deuil des populations touchées et la volonté d’affirmer que la vie continue.
Une importante manifestation (mi-festival mi-colloque) prévue à L’Aquila début septembre s’est vue annulée pour raisons de sécurité (comme d’autres événements culturels ou religieux) par le maire de cette ville durement touchée par un précédent séisme en 2009. Mais, ce premier dimanche de septembre, c’est toute l’Italie jazzistique qui s’est mobilisée pour une journée de concerts aussi bien dans les grandes villes que sont Rome, Milan ou Naples que dans des localités plus humbles pour exprimer son soutien à Amatrice et aux autres villages martyrs des Abbruzes. Les musiciens renoncent donc à leur cachet et un comité dirigé par Paolo Fresu reverse les bénéfices des concerts.
L’entrée des concerts est gratuite mais les spectateurs sont libres de faire sur place des dons pour la reconstruction du Théâtre Garibaldi d’Amatrice (au passage, j’ai dégusté hier soir d’excellents bucatini all’Amatriciana dans un restaurant proche de mon hôtel. Sur l’addition, un euro ira à Amatrice, ville d’où est originaire cette savoureuse recette de pâtes en sauce — et si vous êtes sensible à cette initiative solidaire, rendez vous sur le site de crowfunding : https://www.eppela.com/it/projects/10061-un-teatro-per-amatrice. Pour goûter le plat susmentionné il est par contre conseillé de venir dans le Latium, dont Rome est la capitale. Mais revenons à des sujets plus musicaux que gustatifs et charitables).
Ainsi de nombreuses villes italiennes se sont mobilisées pour cette occasion. Nous ne pourrons évidemment parler que de Rome où une journée de concerts eut lieu avant qu’un bus ne nous transporte à L’Aquila pour le concert du soir. A la Casa del Jazz de Rome, quatorze concerts d’une demi-heure chacun se succédaient de la fin de la matinée à la fin de l’après-midi avec une nette suprématie des pianistes en solo. Il faut dire qu’organiser un tel événement essentiellement avec des groupes et en si peu de temps aurait été une prouesse impossible. On me permettra donc ici de me limiter essentiellement aux pianistes évoqués ci-dessus.
Mais d’abord voici l’essentiel d’une courte interview de Paolo Fresu, maître d’œuvre de cet événement en liaison avec diverses associations. Un peu d’histoire (récente), donc : L’an dernier, le Ministre de la culture italien (présent lors de la journée dont je rends compte ici, de même que l’adjoint à la culture de Rome) propose à Fresu de faire quelque chose à L’Aquila. En résulte un marathon de midi à minuit sur une vingtaine de scènes avec 600 musiciens venus gratis. Cet événement unique rassemble 60 000 spectateurs et Fresu n’hésite pas à dire qu’« il y aura sans doute un avant et un après L’Aquila pour le jazz italien ». L’initiative est reconduite en 2016, mais c’est sans compter le tremblement de terre qui frappe tout près de la ville déjà en partie détruite en 2009, et ce à quelques semaines de la manifestation prévue. « On a dû réorganiser tout le programme devenu “Il Jazz italiano per Amatrice” et vingt-cinq villes petites ou grandes se sont portées volontaires pour participer à l’opération. Notre but est évidemment de manifester notre solidarité mais aussi de proposer une photo du jazz italien d’un point de vue géographique et stylistique. L’intérêt des médias radio, télé et de la presse quotidienne et hebdomadaire, pour cette initiative montre clairement que nous avons réussi à sensibiliser au-delà du seul milieu jazz ». Par ailleurs, avec l’accord du maire de L’Aquila, le concert du dimanche soir devant la basilique Santa Maria di Collemaggio en partie détruite en 2009 sera le seul événement culturel maintenu dans cette ville.
Revenons donc aux concerts de la journée dans le parc de la Casa del Jazz. Parmi les premiers pianistes s’y produisant en solo le plus intéressant vit paradoxalement à Paris sans y jouer autant qu’on le souhaiterait. J’ai nommé Giovanni Ceccarelli dont le jeu combine le lyrisme et un sens de l’espace tout à fait remarquables. Lui succédait le trio très “billevansien” d’Alessandro Galati : virtuose mais sans doute encore trop vert pour avoir une identité propre malgré le toucher subtil du leader et une belle interaction sur les standards. Giovanni Mirabassi vit également dans l’Hexagone. L’auditeur français connaît donc son goût du cantabile qui ne se dément évidemment pas les rares fois où il joue dans son pays natal, pas plus que son approche sensible et économique de l’harmonie. Le pianiste suivant, Kekko Fornarelli donne davantage dans les ostinatos avec un forte assise rythmique, lesquels se combinent avec un lyrisme souvent sombre mais tout à fait appréciable. Lui succède la seule femme de ce programme, Patrizia Scascitelli au jeu d’un classicisme assumé, dans la lignée d’Errol Garner. C’est enfin une figure historique du jazz italien — il a accompagné tous les américains de passage dans son fief de Milan — qui conclut cette série de solos. Luigi Bonafede a donné la mesure de son talent de pianiste et de compositeur. Lyrique — qui ne l’est pas dans la Botte ? —, amateur de nuances et d’un toucher léger, ce fut un régal de l’écouter dans une ville où il se produit peu. Il convient, outre ces pianistes, de mentionner un jeune “Collettivo Crossroads Improring” programmé en toute fin des concerts de la Casa del Jazz. Fort de huit musiciens — dont une chanteuse — et passablement électrifié, il proposa la musique la plus aventureuse de cette journée et on ne peut que lui souhaiter un bel avenir.
Le soir, c’est dans les Abbruzes durement touchées par le séisme que se terminait cette journée. Davantage de figures connues cette fois-ci, parmi lesquelles le trompettiste Fabrizio Bosso, le saxophoniste Maurizio Giammarco ou le bassiste Giovanni Tommaso, égaux à eux mêmes en termes de qualité de prestation dans un cadre aussi restreint. Mais de l’excellent orchestre du conservatoire local épaulant le ténor du même Giammarco à une formation de jazz rock mettant le feu sur un rythme de tarantelle, tous les groupes de ce final mériteraient d’être mentionnés, et évidemment Luca Filastro, un jeune prodige dans le style stride. Après cela un dernier pianiste, Raphael Gualazzi, invita Paolo Fresu à le rejoindre sur scène pour un beau duo plein de sensibilité. Quant au public, très nombreux (une vingtaine de milliers selon les estimations), soit il se tenait assis, dansait ou déambulait sur la pelouse jouxtant le magnifique fronton resté intact de la cathédrale en partie détruite, soit il s’amassait devant les stands de boissons et de victuailles, visiblement heureux qu’un événement festif d’une telle qualité lui soit offert après l’épreuve vécue il y a peu. Thierry Quénum
|Il Jazz italiano per Amatrice. Rome et L’Aquila le 04/09
L’Italie après le séisme qui a frappé son centre géographique est, en ce qui concerne le jazz, un pays où l’on balance entre le respect du deuil des populations touchées et la volonté d’affirmer que la vie continue.
Une importante manifestation (mi-festival mi-colloque) prévue à L’Aquila début septembre s’est vue annulée pour raisons de sécurité (comme d’autres événements culturels ou religieux) par le maire de cette ville durement touchée par un précédent séisme en 2009. Mais, ce premier dimanche de septembre, c’est toute l’Italie jazzistique qui s’est mobilisée pour une journée de concerts aussi bien dans les grandes villes que sont Rome, Milan ou Naples que dans des localités plus humbles pour exprimer son soutien à Amatrice et aux autres villages martyrs des Abbruzes. Les musiciens renoncent donc à leur cachet et un comité dirigé par Paolo Fresu reverse les bénéfices des concerts.
L’entrée des concerts est gratuite mais les spectateurs sont libres de faire sur place des dons pour la reconstruction du Théâtre Garibaldi d’Amatrice (au passage, j’ai dégusté hier soir d’excellents bucatini all’Amatriciana dans un restaurant proche de mon hôtel. Sur l’addition, un euro ira à Amatrice, ville d’où est originaire cette savoureuse recette de pâtes en sauce — et si vous êtes sensible à cette initiative solidaire, rendez vous sur le site de crowfunding : https://www.eppela.com/it/projects/10061-un-teatro-per-amatrice. Pour goûter le plat susmentionné il est par contre conseillé de venir dans le Latium, dont Rome est la capitale. Mais revenons à des sujets plus musicaux que gustatifs et charitables).
Ainsi de nombreuses villes italiennes se sont mobilisées pour cette occasion. Nous ne pourrons évidemment parler que de Rome où une journée de concerts eut lieu avant qu’un bus ne nous transporte à L’Aquila pour le concert du soir. A la Casa del Jazz de Rome, quatorze concerts d’une demi-heure chacun se succédaient de la fin de la matinée à la fin de l’après-midi avec une nette suprématie des pianistes en solo. Il faut dire qu’organiser un tel événement essentiellement avec des groupes et en si peu de temps aurait été une prouesse impossible. On me permettra donc ici de me limiter essentiellement aux pianistes évoqués ci-dessus.
Mais d’abord voici l’essentiel d’une courte interview de Paolo Fresu, maître d’œuvre de cet événement en liaison avec diverses associations. Un peu d’histoire (récente), donc : L’an dernier, le Ministre de la culture italien (présent lors de la journée dont je rends compte ici, de même que l’adjoint à la culture de Rome) propose à Fresu de faire quelque chose à L’Aquila. En résulte un marathon de midi à minuit sur une vingtaine de scènes avec 600 musiciens venus gratis. Cet événement unique rassemble 60 000 spectateurs et Fresu n’hésite pas à dire qu’« il y aura sans doute un avant et un après L’Aquila pour le jazz italien ». L’initiative est reconduite en 2016, mais c’est sans compter le tremblement de terre qui frappe tout près de la ville déjà en partie détruite en 2009, et ce à quelques semaines de la manifestation prévue. « On a dû réorganiser tout le programme devenu “Il Jazz italiano per Amatrice” et vingt-cinq villes petites ou grandes se sont portées volontaires pour participer à l’opération. Notre but est évidemment de manifester notre solidarité mais aussi de proposer une photo du jazz italien d’un point de vue géographique et stylistique. L’intérêt des médias radio, télé et de la presse quotidienne et hebdomadaire, pour cette initiative montre clairement que nous avons réussi à sensibiliser au-delà du seul milieu jazz ». Par ailleurs, avec l’accord du maire de L’Aquila, le concert du dimanche soir devant la basilique Santa Maria di Collemaggio en partie détruite en 2009 sera le seul événement culturel maintenu dans cette ville.
Revenons donc aux concerts de la journée dans le parc de la Casa del Jazz. Parmi les premiers pianistes s’y produisant en solo le plus intéressant vit paradoxalement à Paris sans y jouer autant qu’on le souhaiterait. J’ai nommé Giovanni Ceccarelli dont le jeu combine le lyrisme et un sens de l’espace tout à fait remarquables. Lui succédait le trio très “billevansien” d’Alessandro Galati : virtuose mais sans doute encore trop vert pour avoir une identité propre malgré le toucher subtil du leader et une belle interaction sur les standards. Giovanni Mirabassi vit également dans l’Hexagone. L’auditeur français connaît donc son goût du cantabile qui ne se dément évidemment pas les rares fois où il joue dans son pays natal, pas plus que son approche sensible et économique de l’harmonie. Le pianiste suivant, Kekko Fornarelli donne davantage dans les ostinatos avec un forte assise rythmique, lesquels se combinent avec un lyrisme souvent sombre mais tout à fait appréciable. Lui succède la seule femme de ce programme, Patrizia Scascitelli au jeu d’un classicisme assumé, dans la lignée d’Errol Garner. C’est enfin une figure historique du jazz italien — il a accompagné tous les américains de passage dans son fief de Milan — qui conclut cette série de solos. Luigi Bonafede a donné la mesure de son talent de pianiste et de compositeur. Lyrique — qui ne l’est pas dans la Botte ? —, amateur de nuances et d’un toucher léger, ce fut un régal de l’écouter dans une ville où il se produit peu. Il convient, outre ces pianistes, de mentionner un jeune “Collettivo Crossroads Improring” programmé en toute fin des concerts de la Casa del Jazz. Fort de huit musiciens — dont une chanteuse — et passablement électrifié, il proposa la musique la plus aventureuse de cette journée et on ne peut que lui souhaiter un bel avenir.
Le soir, c’est dans les Abbruzes durement touchées par le séisme que se terminait cette journée. Davantage de figures connues cette fois-ci, parmi lesquelles le trompettiste Fabrizio Bosso, le saxophoniste Maurizio Giammarco ou le bassiste Giovanni Tommaso, égaux à eux mêmes en termes de qualité de prestation dans un cadre aussi restreint. Mais de l’excellent orchestre du conservatoire local épaulant le ténor du même Giammarco à une formation de jazz rock mettant le feu sur un rythme de tarantelle, tous les groupes de ce final mériteraient d’être mentionnés, et évidemment Luca Filastro, un jeune prodige dans le style stride. Après cela un dernier pianiste, Raphael Gualazzi, invita Paolo Fresu à le rejoindre sur scène pour un beau duo plein de sensibilité. Quant au public, très nombreux (une vingtaine de milliers selon les estimations), soit il se tenait assis, dansait ou déambulait sur la pelouse jouxtant le magnifique fronton resté intact de la cathédrale en partie détruite, soit il s’amassait devant les stands de boissons et de victuailles, visiblement heureux qu’un événement festif d’une telle qualité lui soit offert après l’épreuve vécue il y a peu. Thierry Quénum