Jazz magazine, 70 ans et toutes ses dents
Hier, la grande soirée exceptionnelle d’anniversaire au Théâtre du Châtelet a tenu toutes ses promesses, et montré le dynamisme du jazz, en particulier de ses chanteuses et instrumentistes, puisque telle était la thématique choisie.
Avec Pierre-François Blanchard (piano), Leïla Olivesi (piano), Lena Aubert (contrebasse), Laure Sanchez (contrebasse), Julie Saury (batterie), Elvire Jouve (batterie), Jeanne Michard (saxophone) Sophie Alour (saxophone) Sarah Lenka (voix), Lou Tavano (voix), Marion Rampal (voix), Estelle Perrault (voix), Celia Kameni (voix), Sandra Nkaké (voix), lundi 27 mai 2024, Théâtre du Châtelet
Edouard Rencker, directeur de la publication, et Fred Goaty, directeur de la rédaction, ont été bien inspirés en confiant les rênes de la cérémonie à Raphaël Imbert. Avec lui, pas de risque d’enlisement. Bien sûr la mémoire du journal a été évoquée, célébrée (choc de cette somptueuse couverture avec cette jeune femme noire de profil projetée sur écran) mais les mots n’ont jamais recouvert la musique. Raphael Imbert (présentant en duo avec la chanteuse Kareen Guiock Thuram) a réussi à tout tenir ensemble, la dimension historique de ce journal, sa dimension esthétique, mais aussi sa dimension politique (Blues for Brother George Jackson, tiré de Attica Blues, le grand disque d’Archie Shepp fut un grand moment de la soirée). Sans avoir besoin d’insister, Raphaël Imbert suggérait en creux que l’un des ingrédients essentiels cette musique restait sa force d’indignation. Tant que le jazz brûle, il vit.
Sandra NKaké, a repris le flambeau de cette colère pour la relier aux combats actuels, avec une célébration d’Eurydice transformée en hymne à la sororité. Cette chanson, tendre et brûlante (issue d’un album de 2021, Tribe from the ashes) est interprétée avec Marion Rampal. Sandra NKaké, impressionnante, ressemble à un étendard flottant au sommet d’une invisible barricade. Avec Hydrate et adoucit les mœurs, d’une douceur getzienne, Sophie Alour fait passer le même message, mais dans une tonalité plus rêveuse.
Parmi les grands moments de cette soirée, The Black and tan Fantasy, avec une exquise section de saxophones, Jeanne Michard, Sophie Alour, Raphael Imbert, et Leïla Olivesi au piano (dont on entendra un peu plus tard une délicate composition, Winter Flower)
L’héritage ellingtonien est là, mais aussi celui du hard-bop, avec The Sidewinder, thème sorcier de Lee Morgan, où circulent la joie et la sueur, et la pure allégresse d’être vivant, que propulse une Cecil L. Recchia déchaînée.
Chacune des chanteuses de la soirée dispose d’un moment pour se faire entendre en duo. Lou Tavano s’empare du Throw it away d’Abbey Lincoln d’une manière intense et recueillie, en lui ajoutant même une sorte de jolie coda en Français « Tu ne perds pas ton feu si tu en es la braise ».
Sarah Lenka donne une version sobre du I’m a fool to want you immortalisé, entre autres, par Billie Holiday.
Marion Rampal rappelle à ceux qui l’aurait oublié la force des mots de Colette Magny avec La terre acquise, une chanson qui ne semble pas d’hier mais de ce matin. Celia Kameni, magnifiquement accompagnée par Pierre-François Blanchard laisse tomber ses mots goutte à goutte dans un silence de cathédrale pour Black is the colour of my true love’s hair, de Nina Simone. Estelle Perrault, accompagnée d’une seule contrebasse, donne une version nue et poignante du Ask me know de Monk.
A plusieurs moments dans la soirée, on aura senti le fantôme de Nina Simone planer sur la soirée : son Four Women, repris par Sandra Nkaké, Celia Kameni, Estelle Perrault, et Kareen Guiock Thuram, a résonné avec solennité et puissance.
texte : JF Mondot
Dessins AC Alvoët (autres textes, peintures , dessins, sur son site www.annie-claire.com)