Jazz Magazine aux rencontres Photographiques d’Arles
Après des débuts modestes en 1954 dans la presse musicale spécialisée, Jazz Magazine fut racheté à Nicole et Eddy Barclay, en 1956, par Daniel Filipacchi et Frank Ténot. Ce duo, avant de connaître quelques années plus tard une réussite fulgurante et spectaculaire dans la presse magazine française et étrangère (Salut les Copains, Lui, Télé 7 jours, Pariscope, Photo, Paris Match, Elle….), transforma rapidement et radicalement la première mouture, quasi « artisanale », de Jazz Magazine.
Daniel et Frank artisans brillants et talentueux de la métamorphose de Jazzmag
« Oncle » Daniel, alors photographe talentueux à Paris Match (où il fit recruter le tout jeune Jean-Marie Périer pour être son assistant) et Frank (1) Ténot, secrétaire de rédaction depuis l’après guerre à Jazz Hot (publication née en 1935), étaient jeunes (2) dynamiques, imaginatifs, passionnés et… complémentaires.
Sous leur houlette Jazz Magazine se métamorphosa. Et devint novateur… forme et fond.
Mises en page aérées, unes inventives, titres avec jeux de mots et calembours, longues interviews, blindfold tests, utilisation « moderne » des photos, souvent en grand format… Et surtout très grande place (en une comme dans les sujets et reportages du magazine) accordée à des photographies de jazzmen noirs. A l’époque des lois de ségrégation raciale aux Etats-Unis et du difficile processus de décolonisation entamé par la France, rarissimes sont les publications de la presse hexagonale qui mettent en couverture des Afro-Américains comme le fait Jazz Magazine avec Billie Holiday, Abbey Lincoln, Mahalia Jackson, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Ray Charles ou John Coltrane… Pour mémoire : en 1966 Edmonde Charles-Roux fut « virée » du mensuel Vogue pour avoir voulu imposer en couverture une femme noire !
En 1956, Daniel Filipacchi, qui venait juste de prendre les rênes de la revue Magazine, avait annoncé : « Nous mettrons les musiciens de jazz dans une situation où l’on plaçait, dans d’autres magazines comme Match, les vedettes de cinéma ». Il a tenu, amplement, parole…
Les placards « aux trésors »
En plus de soixante ans la rédaction de Jazz Magazine a souvent déménagé. Mais de mystérieux placards ont toujours trôné dans ses locaux successifs. Attirant immanquablement le regard des visiteurs et des collaborateurs.
Ces « malles au trésor » contiennent les archives photographiques de la revue ! Tous les responsables successifs de la rédaction les ont protégés et chéris.
Les Rencontres Photographiques d’Arles ont proposé fin 2019 une bourse de recherche curatoriale s’adressant à des commissaires d’exposition souhaitant réaliser un projet inédit d’exposition en lien avec la photographie.
Marie Robert et Clara Bastid aux CV idoines ont candidaté et leur projet original consacré aux archives de JazzMagazine a été retenu pour l’édition 2021.
Marie Robert (née en 1974), après avoir réussi le concours d’entrée de l’Ecole Normale Supérieure (la prestigieuse ENS) et avoir enseigné les sciences sociales comme professeur agrégée est actuellement conservatrice en chef au musée d’Orsay, chargée de la photographie. Elle a déjà été commissaire de plusieurs expositions aux thématiques originales (comme… « Images de la prostitution » et « Qui a peur des femmes photographes ? »).
Clara Bastid (née en 1989) a collaboré, entre autres, avec la Fondation Cartier et a travaillé pour l’incroyable projet Luma en Arles. Elle est actuellement responsable du développement de la la Gaité Lyrique. « Jazz Power » est son premier projet en tant que commissaire d’exposition.
Pour construire « Jazz Power ! Jazz Magazine : Vingt ans d’avant garde (1954/1974) » elles ont, pendant plusieurs mois, intensément travaillé : longues « immersions » dans les riches archives photographiques et analyses « au scanner » de centaines de numéros de la revue.
Les deux commissaires ont fait « parler » ces archives et ces publications, nous révélant ainsi, ce que ces documents nous disent sur l’évolution de la perception du jazz dans la société française dans ces années là (3). Ci dessous : le carton affiché à la sortie de l’exposition.
Le 4 juillet, première journée des Rencontres Photographiques, M.Robert (à droite sur la photo) et C.Bastid (à gauche) étaient sur le pont pour présenter leur travail et rencontrer public et médias.
Lors d’une table ronde matinale, aux côtés de plusieurs commissaires d’autres expositions, dix minutes seulement avaient été accordées à Marie Robert pour présenter le projet Jazz Magazine. Son intervention concise et claire, sans lire ni consulter ses notes (la formation méthodologique de l’ENS, c’est vraiment utile!), fut lumineuse et révéla les grandes lignes qui ont présidées à la construction de l’expo.
En début d’après midi, en présence de nombreux visiteurs passionnés, Marie Robert et Clara Bastid ont longuement présenté et commenté les différentes salles de l’exposition. Aux thématiques spécifiques : concerts, coulisses, vie privée (superbe photo de Miles Davis se promenant nuitamment avec son épouse dans les rues de Juan les Pins après son concert triomphal et mythique de 1963). Un mur de l’expo est également consacré aux chanteuses et aux musiciennes.
Une photo du « temps du free » ci dessous dans un dossier « Les nouveaux prophètes »…
La lecture attentive des « cartons » accompagnant les photos choisies, nous rappellent les patronymes de tous les grands photographes qui ont participé à l’aventure JazzMag : Jean-Pierre Leloir, Guy Le Querrec, Giuseppe Pino, Herman Leonard, Val Wilmer et tant d’autres…
A l’occasion de la présentation de l’expo Marie Robert a évoqué le rôle fondamental dans la rénovation radicale de la maquette de Jazz Magazine d’Andréa Bureau. Personnage discret de la galaxie des éditions Filipacchi que les commissaires de l’expo ont vainement cherché à contacter.
Les médias apprécient l’expo
Le 5 juillet (deuxième journée des Rencontres), La Provence leader de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) dans le sud-est de l’hexagone titre en une : « Ca jazze en Arles » et consacre en page intérieure un imposant article intitulé « Le pouvoir du Jazz et des images… ».
Par ailleurs, l’hebdomadaire Le Point, dans un supplément spécial consacré aux Rencontres Photographiques, distribué gratuitement a choisi pour sa une, en pleine page, une superbe photo (4) de Jean-Marie Périer, publiée en couverture du numéro 190 de JazzMag (de juin 1971) titrée « Du côté de l’Amérique Noire ».
« Le » Jazz Magazine d’aujourd’hui était représenté en Arles par une délégation de haut niveau : Edouard Rencker (Directeur de la publication) et Céline Breugnon (responsable communication et partenariat)…
De passage dans ma région natale je fus, très ému de revoir moult photos découvertes du temps où lycéen et étudiant je « dévorais » Jazz Magazine chaque mois…
Pierre-Henri Ardonceau/Pigiste à Jazzmag depuis 1969 !
Les éditions Delpire ont édité en partenariat avec Jazz Magazine Jazz Power, un livre à la présentation originale (272 pages « normales » plus 68 pages en « double format » comme les pages centrales de Jazz Magazine). Textes de Marie Robert et Clara David et Bernard Loupias. Ci dessous: la couverture du livre.
1 – Frank sans c… F. Ténot y tenait ! Comme pour Frank Sinatra…
2 – 31 ans pour Frank Ténot et 28 pour Daniel Filipacchi.
3 – NB : Les deux commissaires sont nées après la période concernée par leur travail !
4 – Jean-Marie Périer contacté ne se souvient pas du nom de cette splendide jeune femme… et il l’a confirmé sur sa page facebook !