Jazz Magazine Festival, troisième : un triomphe
Hier 20 janvier, sous la bannière de Jazz Magazine, les Glossy Sisters, Camille Bertault, Sandra Nkaké et Lisa Simone se sont succédées sur la scène du Trianon en un show hors d’haleine.
Mise en bouche avec les Glossy Sisters (Marion Chrétien, Lisa Caldognetto, Claudine Pauly), et même plus qu’une mise en bouche, car ce qui semble être sur le papier un énième avatar du trio vocal swing, s’avère plus ambitieux, avec un répertoire varié qui, s’aventurant sans grand faux pas jusque parmi les classiques de la chanson française, ose même L’Accordéoniste. Un vrai show mené à fond de train, avec humour, inventivité des arrangements, une musicalité et une rythmicité du chant, et il faut de l’une et l’autre pour ne se faire accompagner que d’une contrebasse (Jérémy Bruyère) et de quelques claquements de mains, percussions corporelles, parfois une caisse claire ou des hochets “kes kes”.
Camille Bertault aura focalisé l’attention des médias à l’occasion de notre festival. Après un disque prometteur où sa version scattée du Giant Steps de John Coltrane avait fait événement, elle revient avec un disque qui mérite son titre “Pas de géant”, et pas seulement parce qu’elle y reprend Giant Steps (mais cette fois avec des paroles sur la totalité du solo de saxophone… et un final très spectaculaire). Ce qui a été arrangé avec un grand soin par Michael Leonhart pour le disque, est animé sur scène d’une dimension plus intime, d’un élan plus direct, et pourtant d’une réalisation impeccable : tempo et profil dramatique du show, musicalité des paroles originales, impertinente pertinence des emprunts à la chanson française, musicalité du pot pourri scatté de Bach à Ravel, perfection orchestrale… Et sur ce dernier point, il ne s’agit pas que des ensembles, mais de répartition des rôles, d’interaction du jeu, en premier lieu entre la chanteuse et le pianiste Dan Tepfer, mais aussi avec le tandem Christophe Minck/Donald Kontomanou (Minck tantôt à la basse électrique tantôt à la contrebasse) et le saxophoniste Stéphane Guillaume.
Changement d’univers avec Sandra Nkaké, plus pop, plus grave, gravité qui tient au message d’humanité, mais aussi au registre de la voix, moins flûtée que précédemment, mais non sans tendresse, puissante mais voilée d’une brume incandescente, allant du crépusculaire au solaire. Elle est portée par des arrangements et un orchestre au cordeau (Tatiana Paris à la guitare, Kenny Ruby à la basse électrique et Thibault Brandalise à la batterie) emmenés par le flûtiste Jî Drû très classieux dans sa gestuelle robotique (mais dont le contraste avec la présence chaleureuse de la chanteuse peut dérouter) sur un répertoire d’un onirisme très homogène par sa dimension narrative, reprise du disque “Tangerine Moon Wishes”.
Et enfin vint Lisa Simone et son formidable trio : Hervé Samb à la guitare, Reggie Washington (basse électrique, contrebasse), Sonny Troupé (batterie). Héritage (dont elle n’abuse pas, offrant toutefois quelques tubes attendus de Nina, sa mère, qu’elle s’approprie totalement), complicité orchestrale (qui s’est cristallisée au fil de dizaines de concerts), bonheur du jeu (qu’elle partage ou délègue à ses musiciens), générosité (spectaculaire, dans une mise en scène très rôdée, mais jamais feinte, jusque dans son tour de salle, continuant à chanter tout en saluant les spectateurs qui se trouvent sur son chemin), swing (sur le registre du jazz), plus souvent groove (sur celui du blues ou du r’n’b), projection d’une voix immense qui est celle de tout un peuple et standing ovation qui n’est pas, comme souvent, de pure convention.
Rendez-vous en 2019 !
Franck Bergerot (photo © Seka Ledoux)