Jazz sous les pommiers: d’Ellington à la Chica en passant par Frisell…
« Plus que jamais Jazz sous les Pommiers a vocation à retentir à l’international » affirme son directeur Denis Le Bas. Pour ancrer cette option dans une réalité de terrains et d’histoire le festival, dans sa 43e édition a pris langue avec le Lincoln Center basé à New York. Un choix qui s’imposait dès lors que la Normandie célèbre cette année le 80e anniversaire du D Day, soit le débarquement des troupes alliées, américaines en particulier, sur le sable des plages normandes. L’idée était donc de solliciter la structure créée par Wynton Marsalis afin de présenter un big band composé à parité de jeunes musiciens français et américains. En ce qui concerne le contenu, le musicien compositeur choisi à cet effet s’imposait: Duke Ellington dès lors que l’ on fête aussi cette année le 125 e anniversaire de naissance.. Dans un message vidéo projeté sur scène en avant propos du concert dédié « à la paix et au partage » l’ainé des Marsalis, toujours prompt à magnifier son oeuvre, présentait cette formation comme le « Future of Jazz »
Future of Jazz Big Band: Joe Beck (piano, direction), Domo Branch (dm), SummerCamargo, Noah Halpern, Simeon Petrov, Y’aura merino (tp), Jacob Melsha, Jessica Simon, Jules Regard (tb), Jarien Jamanila, Giulio Ottanelli (as), Josh Lee (bas), Jeane Michard, Baptiste Stanek (ts , Daniel Cohen (ts, cl))
Jazz sous les pommiers , salle Marcel Elie, Coutances (50255) ,11 mai
Premier épisode sur la scène normande, la prestation des jeunes musiciens étudiants américains du Lincoln Center Orchestra, leçon bien apprise, interprété à la perfection sur partition du Duke avec par exemple un solo intéressant à l’alto et un piano un peu scolaire. Plus une re resucée de « La vie en rose » en mode d’hommage sans doute au French Jazz Book. Une fois le big band franco-américain réuni on retrouvait l’effet de masse, la puissance sonore mises au service d’arrangements très clean. Se succèdent dès lors de jeunes solistes, chacun entendant démontrer un savoir faire certain ( solo délicat de Noah Alpern ,trompette; introduction au piano originale cette fois de Joe Block sur Sleepin’ lady un thème inspiré d’une légende aztèque; une intervention en soliste teintée de belle notes rondes du sax ténor de Baptiste Stanek ou du son droit de Jeanne Michard) Les orchestrations ressortent nettes, bien bien structurées. On retrouve dans les développements les équilibres instrumentaux chers au Duke.
La Chica & El Duende Orchestra: Sophie Fustec « La Chica » (voc, p), Marino Palma « El Duende » (p), Thibaut Martinet (fl), Arthur tangy (alt fl), Benjamin ryde (bcla), Olha Semchyshyn, Sandra Borges (vln), Axelle Bellone (avln), Anna Borkenhagen(cello), Eleonore Diaz (b), Edwin Correia (elg), Noel Benita perc)
Jazz sous les pommiers, Théâtre , Coutances (50255) ,11 mai
Quand on le découvre on assiste à un spectacle à nul autre pareil. Total. Et l’on prend pleine face, plein les mirettes, plein les esgourdes un OVNI musical. Contorsions, danse à l’image de figures flamencas mais pas que, toute de souplesse et de tensions des membres, habitée par la grâce et l’élégance, telle apparaît sous les projecteurs Sophie Fustec « La Chica » Tous et toutes les membre de l’orchestre, treize à la douzaine, sont vêtus d’un blanc immaculé. Sur la vaste scène de la grand salle Marcel Hélie, mi auditorium, mi Palais des Sports, gicle un balayage incessant de lumières et d’ombres, en panorama, en flash, en éclairs, en dézonnage intentionnels. Dans un tel décor jaillit la voix, fil d’acier tendu ou relâché à dessein de la Chica. Passée la plupart du temps au tamis numérique d’une réverbération ou d’un écho. Intenses.
« Je suis La Chica. Je suis franco vénézuélienne. Je parle parfaitement le français mais je vais tout vous chanter en espagnol Car je fais ce que je veux ! » Chant d’affichage naturel mais dont toutes les intonations procèdent d’un travail pensé, calculé. Chant perlé, voix filtrée d’eau claire puis aussitôt de jus acide dégurgité en épaisseur. Une silhouette, un corps, un souffle de fond de gorge, tout en présence. En va et vient incessant. Couchée sur la scène, à genoux sur le piano, elle contrôle tous ses déplacements., l’ensemble de sa gestuelle. La Chica construit son ballet en poses provocantes, visage d’ombres et de lumières, oeil nimbé de paillettes, le corps toujours en mouvement, dessinant des lignes et des courbes, Derrière elle défile une musique électro…mécanique. Les cordes et les souffles bois et métal viennent en toiles de fond, en illustration de couleurs, autant de mélodies croisées ou superposées de flûtes et de violons, coups de canon de la basse. La musique elle aussi se lâche, se drape en nappes de sons tenus. Difficile à définir ou caractériser. Expressionniste en diable. Ce n’est pas du jazz, non. On en est loin. Mais un moment donné jaillit une échappée libre d’impro clarinette basse / flûtes.
Et puis en plusieurs séquences « La Chica » s’empare du piano – « J’ai eu le même professeur de piano que Marino Palma, mon pianiste, mon précieux chef d’orchestre et de cérémonie pour ce spectacle- Elle adapte point par point son jeu sur le clavier à l’intensité, la couleur des mots, de sa voix La Chica dite la « bruja (la sorcière) » livre un message final « lancé à toutes les femmes. On a un pouvoir que les hommes n’ont pas. Servez vous-en, n’ayez pas peur » L’habillage sonore qui suit tonne en vent de cyclone de sons suramplifiés . Dans ses textes, ses explications, ses messages les thèmes abordés, en direct ou par biais poétique, relèvent de la mystique. Mais du politique très concret également. Il y est question de souffrance, de cri de révolte au Venezuela, en Palestine, en Ukraine. La « bruja » sous les flashs de lumière y voit toujours clair.
Théâtre, 10 mai, 31 h
Bill Frisell (g), Thomas Morvan (b), Rudy Royston (dm)
Jazz sous les pommiers , Théâtre, Coutances (50255) ,11 mai
On peut trouver quelque peu étonnant de voir Bill Frisell le regard fixé sur ses pédale d’effets regroupées à ses pieds. Par exemple au bout d’une séquence « free », décalée en saturation ou échos au bout d’une entrée en matière douce. Sa méthode, caractéristique, ne varie pas pour autant Beaucoup de notes produites une à une sur le manche pour quelques accords plaqués en mode de repère. Bill Frisell fait toujours en sorte de soigner la mélodie, ses contours, la magie dans son art de savoir dicter, conduire son enchaînement. Le concert se peuple de longues pièces. La rythmique est en mode accompagnement, soutien Pourtant dans ce rôle que l’on pourrait voir comme simpliste, le batteur soigne son jeu, caisses amadouées et finesses des ballets en caresse sur les cymbale. Pour les sommets, l’explosion chez Rudy Royston son fidèle faudra attendre le moment du solo. On parvient au milan du set et le guitariste, attentif mais petit sourire pincé au bout des lèvres comme s’il disait, ces trucs de jeunes avec leur drôle de petites machines électroniques, moi aussi je sais le faire…Bill Frisell donc revient à l’effet loop, ces boucles enregistrées instantanément tel un motif sonore orchestré pour jouer par dessus, improvise de plus belle, créateur de notes originales, cherchant les reliefs, débusquant des angles. Et puis curieusement, en opposition de phases totale, le voilà qui passe d’un pas chassé au blues de toujours avec son saturé gras sur les cordes, pédale de distorsion bientôt enclenchée, le tout saupoudré de plans piqures d’aiguës et corde la plus fine bien saturée façon BB King ou Eric Clapton. Rudy Royson accentue ses frappes, tutoie direct les cymbales sans les ménager. Thomas Morgan, alors ajuste le tempo d’un mode walking bass .
Le final sonnera plus traditionnel, plus léger, en une balade mélodique exposée en notes claires, perlées, cristallines. De quoi évoqertun chant, une ode. Frisell le sage là prend tout son temps afin d’offrir au public une poétique naturelle appliquée à la guitare
Robert Latxague
(photos Maxim François & Robert Latxague)