JAZZ sur le VIF : BRUNO ANGELINI ; SARAH MURCIA
Pour le premier concert ‘Jazz sur le Vif’ du nouveau millésime (et cinquième de la saison artistique), Arnaud Merlin a choisi de convier deux groupes assez différents, mais qui ont en commun (outre la très grande qualité musicale de leurs membres) une inspiration d’origine poétique. Des textes comme source, ou comme matière sonore et musicale, selon le cas
BRUNO ANGELINI ‘Open Land Quartet’
Bruno Angelini (piano), Régis Huby (violon, effets), Claude Tchamitchian (contrebasse), Edward Perraud (batterie)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 14 janvier 2023, 19h30
Le groupe joue le programme de son troisième CD, «Nearly nothing, almost everything», paru l’automne dernier sous le Label La Buissonne. Une musique inspirée au pianiste et compositeur par des poètes comme William Carlos Williams, qu’il m’est arrivé de lire, ou d’autres dont j’ignorais tout, comme Ada Mondès ou Chandak Chattarji. Musique éminemment collective, sur des compositions du pianiste. Pendant la première pièce, c’est comme une sorte de rituel un peu mystérieux, où progressivement, à le suite de Bruno Angelini, chaque instrumentiste prend sa place dans une œuvre éminemment lyrique, qui procède par vagues successives. Le thème suivant, délibérément rythmique, va placer Edward Perraud au centre du jeu dans une sorte d’incendie en 6/8 fracturé ponctuellement par la batterie. Le titre suivant ramène un peu de douceur, entre piano et cymbales, avant un cortège d’unissons entre les instruments, qui prélude à une espèce de cérémonie intime. Bientôt quelques fractures rythmiques puis une crescendo vers un groove incendiaire. Un solo de batterie à mains nues fera le pont vers une autre composition surgie d’un dialogue bruitiste entre percussions et des effets énigmatiques du violon de Régis Huby. Et le violoniste, comme Claude Tchamitchian à la contrebasse, aura ses moments de pleine expression soliste. Mais ce qui domine au fil du concert, en plus d’une formidable expressivité individuelle et collective, ce sont les arcanes, entre nuances, coups d’éclats et mises en suspens, dans lesquels nous entraînent ces magiciens bienveillants qui, sans doute, sont aussi un peu sorciers. Beau voyage dans la beauté comme surprise.
SARAH MURCIA ‘Eyeballing’
Sarah Murcia (contrebasse, synthétiseur, voix, piano), Olivier py (saxophone ténor & soprano), François Thuillier (tuba), Benoît Delbecq (piano, piano préparé, percussions numériques, voix)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 14 janvier 2023, 20h50
Le groupe présente la musique d’un disque éponyme, enregistré en juillet 2019 et publié sous le label dStream juste avant le premier confinement.
C’est donc une renaissance pour ce répertoire polymorphe, inspirée en partie par des textes de Vic Moan, musicien, chanteur et auteur que la contrebassiste avait invité dans le groupe Caroline. Une musique rattachée, comme celle du groupe précédent, à une certaine idée de la poésie. En écoutant le groupe, la pluralité des esthétiques, des influences, ce joyeux mélange d’underground, de souvenirs du jazz ou du rock, de pulsions libertaires ou d’effervescence avant-gardiste, j’ai une pensée un peu anachronique : je me souviens de Baudelaire, virtuose de la prosodie classique rimée, qui se jette parallèlement à corps perdu dans ses Petits Poémes en prose. Ainsi, au fil du concert, vont se succéder une foule de petites formes, de propositions individuelles, qui vont s’agréger en œuvre collective. Sinuosité mélodique du piano, rythmes furieusement asymétriques des percussions numériques, échappées éloquentes du sax et du tuba, le tout porté par la contrebassiste qui, non contente de nous régaler d’un solo aussi pyrotechnique qu’inspiré, pousse furieusement le groove avec son synthé basse, et nous fait le cadeau de sa voix, timbre troublant, mi-chant, mi-spoken words en prosodie syncopée. Parfois des fins abruptes, comme pour nous extraire d’une écoute trop linéaire ; souvent des escapades vers d’autres univers, comme ce texte déjanté de Denis Scheubel, regretté rocker pataphysique. Ces cartes esthétiques et stylistiques délicieusement brouillées, avec une passion ininterrompue, ont fait de ce concert un régal.
Xavier Prévost
Eyeballing jouera le 18 février à Nantes, au Pannonica
Pour l’instant, pas de date de diffusion annoncée pour l’une et l’autre parties de ce concert sur France Musique
En se hâtant vers le dernier RER ‘E’ annoncé à 22h58, le chroniqueur croise dans le couloir qui conduit du métro ligne 9 à la station Haussmann-Saint-Lazare cette affiche qui annonce des suppressions de trains en soirée. En fait depuis deux ans, et apparemment pour une année encore, voire plus, les trains qui permettaient naguère jusqu’à 1 heure du matin de rejoindre la banlieue après une soirée dans les clubs de jazz ne sont plus désormais, même le week-end, qu’un vieux souvenir. Souvenir d’une époque où les habitants des banlieues populaires, forfait navigo (dûment acquitté) en poche, pouvaient satisfaire leur goût de la musique en fin de soirée….