JAZZ sur le VIF : DANIEL ZIMMERMANN QUARTET et HENRI TEXIER SKY DANCERS 6
DANIEL ZIMMERMMANN QUARTET
Daniel Zimmermann (trombone, composition), Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (guitare basse), Julien Charlet (batterie)
Paris, Maison de la Radio, 31 mars 2018, 20h
Le groupe et le répertoire sont celui du disque «Montagnes Russes», paru fin 2016. Une bonne moitié des thèmes du CD sera donnée, dans un ordre différent, et dans les versions librement étendues que permet le format du concert. Le premier titre sera le premier qui figure sur le disque mais ensuite l’ordre va diverger. Après Au temps ôtant, ballade à la mélancolie pop, rehaussée d’improvisation jazz très expressive, ce sera Come on Baby, tendance soul funk : où après un solo de guitare délicat le trombone va ‘envoyer du bois’ ; tous seront solistes mais le jeu reste constamment collectif. Puis c’est Dans le nu de la vie, un thème inspiré par le génocide du Rwanda en 1994 : atmosphère grave, improvisation lyrique : sous le solo de trombone la guitare, grâce à un ticket de métro glissé sous les cordes, sonne un peu comme un balafon. Ensuite dans son solo le guitariste, usant d’un bottleneck, va chercher des sons de sitar ; puis la basse, en allant loin dans les graves, nous ramène vers le trombone pour conclure. On ne revient pas à la franche euphorie avec Tiens aujourd’hui il ne fait pas beau : la guitare basse explore les effets, le trombone, avec sourdine, nous offre un très très beau solo d’une mélancolie hyper expressive. Changement de registre avec Mamelles, un thèmes que Daniel Zimmermann avait partagé avec Thomas de Pourquery dans un quintette qu’ils partageaient naguère. Ici la guitare mime les inflexions coulissées du trombone. Quand le leader nous livre, avec son humour coutumier, le titre du thème qui conclura le concert (Montagnes russes), il ne manque pas de faire quelques pirouettes autour de l’éponymie qui associe cette composition et l’album lui-même, moquant ainsi gentiment les rock critics qui semblaient découvrir, dans les années 60-70, les charmes discrets du langage de la Grèce Antique…. Sur ce dernier thème, Pierre Durand nous emmène, à partir d’un ostinato de guitare, vers des territoires divergents et escarpés qui nous comblent d’aise. Beau concert vraiment, et Daniel Zimmermann n’a pas cédé au rappel car il voulait laisser la place au groupe suivant : il avait dit en préambule au public sa joie de jouer en première partie du contrebassiste Henri Texier….
HENRI TEXIER SKY DANCERS 6
Henri Texier (contrebasse, composition), Sébastien Texier (saxophone alto, clarinette), François Corneloup (saxophone baryton), Nguyên Lê (guitare), Armel Dupas (piano, clavier numérique), Louis Moutin (batterie)
Paris, Maison de la Radio, 31 mars 2018, 21h30
Alors qu’il a publié récemment un disque avec un nouveau quartette («Sand Woman», Label Bleu), Henri Texier joue ce soir avec le groupe du disque précédent, qui tournait depuis 2015, et dont c’est l’un des derniers concerts. Après la balance, vers 17h, le contrebassiste a répondu aux questions très nourries des élèves du Collège Eugénie Cotton d’Argenteuil, qui participent au programme ‘À l’école des ondes’, un projet éducatif de Radio France piloté pour le jazz par Arnaud Merlin. Quatre heures plus tard, c’est le moment du concert. Le programme reprend les compostions de «Sky Dancers», CD paru en février 2016 (puis édité en vinyle). Le thèmes font référence aux Amérindiens des deux Amériques, Nord et Sud. Le concert commence avec Mapuche, référence aux peuples natifs du Chili, puis suivra Dakota Mab . Tempo rapide, puis légèrement plus modéré, mais toujours dans le même esprit : priorité à l’intensité expressive et à l’expression de chacun. Mais si les solos s’enchaînent, dans la grande tradition du jazz, le formidable esprit collectif fait que tous semblent parler d’une seule voix. Le sax alto se fait très chantant, la batterie rappelle la souple fermeté des tambours amérindiens, la guitare part d’inflexions orientales vers un lyrisme d’une intensité extrême, après quoi le sax baryton reprend en douceur, dans la grande tradition des souffleurs qui savent qu’après un temps très fort, on se fait vraiment entendre par la nuance. Et quand vient le tour du pianiste, c’est au synthétiseur qu’il prend son envol, citant brièvement une phrase de Weather Report, comme pour rappeler que cette musique a de multiples horizons. Vient le tour du leader, pour un dialogue fertile avec les balais du batteur. Exit (ou plutôt exeunt) le pianiste et la guitariste. C’est en quartette que le groupe va rendre hommage à Paul Motian, ami du contrebassiste qui partagea avec lui la scène, et l’affiche d’un disque : He was just shinning, c’est le portrait ému du dédicataire, avec solo d’alto très fluide, et une contrebasse recueillie pour ce requiem sans boursouflure pour l’ami disparu. Après l’évocation de l’Ami d’origine arménienne, retour aux Amérindiens, avec Mic Mac, qui évoque l’une des populations originelles du Canada : on joue constamment sur des changements de rythme et de tempo, la trame est mouvante, les solistes sont très libres, car ici les solos sont solubles dans l’esprit collectif. Encore quelques détours amérindiens (Hopi, Navajo Dream et Comanche) qui se termineront par une effusion de la plus belle effervescence, et en rappel un hommage au percussionniste martiniquais Paco Charlery : introduction de la basse à l’archet, clarinette recueillie, tambours de défilé rituel amérindien…. Belle conclusion pour un concert dense et chaleureux qui aura manifestement comblé tous les présents, votre serviteur inclus.
Xavier Prévost
Le programme précise «Ce concert sera diffusé ultérieurement sur France Musique». On espère que ce sera cet été, et l’on rêve aussi que notre radio préférée ouvre la saison prochaine une vraie fenêtre, régulière, pour ces concerts ‘Jazz sur le Vif’