JAZZ sur le VIF : PAUL LAY solo, BELMONDO Quintet
Arnaud Merlin nous avait encore concocté une belle soirée, contrastée, au studio 104 de la Maison de la Radio, avec les échappées pianistiques de Paul Lay, et les envolées, collectives ou individuelles, du Belmondo Quintet
PAUL LAY, piano solo
Maison de la Radio, studio 104, 25 mars 2023, 19h30
Paul Lay pendant la balance
Comme sur son disque «Full Solo», le pianiste a choisi de délivrer sa vision, très personnelle, de pages musicales familières. Mais cette fois, pas de Beethoven. Ce sera Gershwin, et aussi Irving Berlin. Départ en douceur avec une ballade, Someone to Watch Over Me, standard de George Gershwin composé pour une comédie musicale donnée à Broadway en 1926. J’ai l’impression, furtive, que le pianiste fait chanter un court instant un fragment mélodique du refrain qui pourrait avoir inspiré Duke Ellington quelques années plus tard : phantasme d’auditeur sans doute…. L’approche est musicalement très riche, qui renouvelle et ré-harmonise, au gré des développements. Puis ce sera Cheek to Cheek, passé à tous les filtres du jazz d’hier et d’aujourd’hui. Ça étincelle, mais surtout ça chante, sur le fil, au mépris des risques que font courir les audaces. La Rhapsody in Blue va nous être offerte dans une version pour piano seul, dans une arrangement très original qui va nous embarquer sur les montagnes russes, entre thèmes familiers, pianisme virtuose, séquence de pur piano stride et escapade de piano free qui nous donne à penser que Paul Lay a également Cecil Taylor dans un coin de sa mémoire. Le pianiste ne contourne pas le caractère parfois légèrement pompier de l’œuvre de Gershwin, mais il y ajoute toujours une touche d’humour dissonant. Au terme de cette exploration hardie, et brillantissime, d’un monument historique, le public, chroniquer inclus, laisse éclater sa joie d’avoir vécu une telle aventure.
Rappelé avec insistance et chaleur, Paul Lay va nous offrir une version très renouvelée de Summertime. C’est un thème souvent rebattu, ma mémoire d’auditeur en recèle très largement plus d’une centaine de version. Mais c’est un bonheur tout neuf, quand la main gauche du pianiste fait surgir, pour cette mélodie familière, un nouveau décor. Très très belle musique, à (re)découvrir sur France Musique le samedi 1er avril (ce n’est ni un poisson, ni un canular) à 19h dans l’émission ‘Jazz Club’
BELMONDO QUINTET
Lionel Belmondo (saxophone ténor, flûtes), Stéphane Belmondo (trompette, bugle), Laurent Fickelson (piano), Sylvain Romano (contrebasse), Dré Pallemaerts (batterie)
Maison de la Radio, studio 104, 25 mars 2023, 20h50
Pour l’essentiel, le quintette a joué la musique de son disque «Brotherhood», publié en 2021.
Mais au-delà de la tonalité relativement feutrée du CD, le concert réserve de grands espaces d’expression vibrante, individuelle et collective. Tout commence de douceur, entre une trompette au timbre très rond de bugle et une flûte traditionnelle. Mais bientôt ce sera un envol du sax ténor, jusqu’au vertige, et la trompette, jouée cette fois dans la sonorité plus familière qu’on lui entend généralement, va aussi prendre son essor. Sur une répertoire très construit, savamment harmonisé, vont se greffer une succession de solos de tous les instruments, souvent très enflammés, des échanges croisés aussi, comme par exemple entre le sax et la batterie. Et le deux souffleurs laissent aussi au trio un espace d’expression dans lequel l’effervescence est à la fête
le trio pendant la balance
C’est un rituel, une cérémonie, ou une dramaturgie, bref la vie d’un concert que ne remplace pas le disque (lequel a lui aussi sa vie propre, que la musique jouée en public ne peut ni effacer, ni déligitimer). Et le public va suivre avec une attention passionnée ce qui se joue dans l’intensité de l’instant, ‘sur le vif’ comme le dit la raison sociale de ces concerts. Les influences et les admirations des deux frères transparaissent dans les titres et dans la musique qui en découle, mais c’est bien d’eux qu’il s’agit : ce qu’ils pensent, ressentent et projettent hors de leur for intérieur vers le public. Échange d’une belle intensité et d’une grande générosité. Bref le jazz, dans son essence même. À un moment du concert Stéphane, au bugle, joue Song for Dad, hommage à leur père disparu, Yvan Belmondo, musicien qui fut l’initiateur de leur passion musicale, et qu’ils avaient invité voici une dizaine d’années sur leur disque «Mediterranean Sound». Plus loin au fil du concert, une thème lent comme un hymne va engendrer un furieux solo de sax. Le public est transporté par ce parcours qui mêle intensité et recueillement.
Quand viennent les applaudissements conclusifs, il est 22h20, et le vieux chroniqueur manquera le rappel, car il n’est plus très ingambe et doit cavaler jusqu’à la station Ranelagh pour attraper le métro qui le conduira, près de Saint Lazare, à l’ultime RER de la soirée à destination de sa banlieue.
22h54 : il était temps. C’est incroyable que, depuis deux ans, même le samedi, et en raison des travaux, il ne soit plus possible de regagner certaines banlieues après un concert dans Paris. Et il est fort à craindre que, lorsque les travaux pré-olympiques seront terminés, et l’olympisme rangé dans la boîte à souvenirs, les décideurs considèrent que, finalement, les dessertes jusqu’à une heure du matin ne sont pas une priorité…. Soyons vigilants !
Xavier Prévost
Le concert du Belmondo Quintet sera diffusé sur France Musique le samedi 8 avril à 19h dans le ‘Jazz Club’ d’Yvan Amar