Jazz sur le Vif : Robinson Khoury Quintet ; Julian Lage Trio
C’est le pénultième concert de la saison ‘Jazz sur le Vif’ conçue par Arnaud Merlin. Le prochain, qui aura lieu le 8 juin, et sera donc le dernier de la saison 2023-2024, accueillera l’Orchestre National de Jazz dans une reprise du répertoire composé par Martial Solal pour son ‘Dodecaband’. Seuls les arrangements très libres des thèmes d’Ellington avaient été enregistrés sur disque et publiés pour le centenaire du Duke. On pourra réécouter les compositions de Martial pour cet orchestre sans pareil, notamment celles écrites en 1987-88 et données au Festival de Jazz de Paris.
Le concert de ce jour est comme une ode à l’expressivité et à la musique ; à la musique dans sa plus belle expressivité. Ce sera le cas avec le trio du guitariste Julian Lage et aussi, dès la première partie, avec le groupe du tromboniste Robinson Khoury
Robinson Khoury Quintet pendant la balance
ROBINSON KHOURY ‘Broken Lines’
Robinson Khoury (trombone, voix, composition), Pierre Tereygeol (guitare, voix, effets, kalimba), Mark Priore (piano, voix), Étienne Renard (contrebasse, voix), Élie Martin-Charrière (batterie, voix)
Paris, Maison de la Radio, 13 avril 2024, 19h
Pendant la balance, pour affiner le son du groupe, les musiciens jouent Whisper Not, un tube des Jazz Messengers à la fin des années 50. C’est de bon augure : l’atmosphère est détendue, et le plaisir de jouer déjà là, pour préparer un concert de compostions originales. Le disque «Broken Lines», que j’avais écouté à sa parution en avril 2022, m’avait impressionné par la qualité de la musique, que j’avais dans sa version de studio trouvée un peu corsetée par le conceptualisme de son argument : casser les formes, casser les codes, comme le firent les plasticiens au début du vingtième siècle. Mais au concert la musique se libère. L’espièglerie qui consiste à jouer de ruptures franches, de glissements dynamiques vertigineux, alliée à la formidable finesse du propos musical, fait que nous sommes emportés dès le début du concert. Le répertoire emprunte au disque de 2022, mais offre aussi de nouvelles compositions, comme cet hommage à Benjamin Britten qui ouvrait le concert, ou Earth and Space, déjà diffusé sur France Musique dans un précédent ’Jazz Club’, à l’époque d’Yvan Amar, quelques mois après la parution de «Broken Lines»
Le quintette pendant la balance
Chaque musicien donne aussi de la voix, dans des harmonisations subtiles, le guitariste et le tromboniste étant des voix plus solistes, qui vont dialoguer au fil du concert. C’est un régal d’entendre l’expressivité du trombone se prolonger, dans un tuilage délicat, par la voix de Pierre Tereygeol ; voix aux ressources considérables, sans ostentation, toute en musicalité. Chaque titre est comme un parcours haletant, surprenant. Les dialogues transversaux, et les solos, ne sont pas inscrits dans un déroulement schématique, où un effet annoncerait la fin de l’improvisation, comme une sollicitation pavlovienne aux applaudissements. Le vieil amateur que je suis s’est souvent agacé, au concert, des réflexes du public qui applaudit à chaque fin d’impro, au risque de manquer la subtilité de la transition avec le soliste suivant…. Ce soir le public, dérouté sans doute par une forme à tiroirs et entrées multiples, réserve judicieusement son enthousiasme pour la fin de chaque composition. Ce sera, de bout en bout, un pur régal. À vivre (ou à revivre, pour ceux qui étaient dans la salle, ou à l’écoute du direct) dans l’émission ‘Jazz Club’ de Nathalie Piolé sur le site de France Musique, en suivant ce lien
JULIAN LAGE Trio
Julian Lage (guitare), Jorge Roeder (contrebasse), Dave King (batterie)
Paris, Maison de la Radio, 13 avril 2024, 20h20
Julian Lage Trio pendant la balance
J’avais écouté le guitariste sur disque avec ses groupes, mais sur scène je ne le connaissais qu’en invité ou sideman. C’est donc pour moi une expérience nouvelle. Le concert commence côté standard, mais déjà près du blues. Je suis épaté par la façon dont, avec cette sonorité si claire, le guitariste apporte à chaque phrase une formidable expressivité. Ce fut le maître-mot de la première partie, et c’est encore le ressort de l’instant présent. Et quand, au titre suivant, la musique nous embarque vers les grands espaces états-uniens (comme le fait Bill Frisell avec qui joue parfois Julian Lage), la force de l’expression demeure, mezza voce. Puis vient un rythme obsédant, sur des harmonies tendues : le bassiste et le batteur s’en donnent à cœur joie, et le guitariste entre dans la danse de l’effervescence collective. On ira de ballade en boogie, de blues en Rhythm and Blues, parfois même en tutoyant le rock de garage, voire une sorte de free blues…. Avec aussi un détour caribéen. Et toujours la musique est à son plus haut : d’inventivité, d’expression, d’engagement. Ce guitariste est formidable, et le trio tout autant. En rappel, un tendre standard : I’ll Be Seing You. comme une promesse de retour du bonheur musical qui fut le nôtre : ça tombe bien, car ce concert sera diffusé le samedi 11 mai dans l’émission Jazz Club, sur France Musique !
Xavier Prévost (texte et photos)