Jazz live
Publié le 16 Sep 2024 • Par Xavier Prévost

Jazz sur le Vif : Sellin, Celea, Humair & Pierre Durand quartet

Premier concert de la saison de jazz de Radio France, et pour le chroniqueur le bel espoir d’une grande soirée : un guitariste déjà très confirmé mais qui, curieusement, était nommé cette année dans la catégorie ‘révélation’ des Victoires du Jazz ; et le trio de trois grandes figures de cette musique, nouveau trio révélé par un disque marquant (‘New Stories’, Frémeaux & Associés) en 2023

PIERRE DURAND Quartet

Pierre Durand (guitare, composition) Fred Escoffier (piano électrique, synthétiseur, vocoder), Jérôme Regard (guitare basse) , Marc Michel (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 14 septembre 2024, 19h

Le groupe vient vers nous avec le répertoire du disque ‘The End & The Beginning’, publié voici à peine un an. Musique de guitare bien sûr, musique de groupe assurément, guidée par la formidable expressivité de toutes les phrases jouée par le leader. Si l’idiome pratiqué est très composite, empruntant à toutes les musiques qui ont peuplé le jazz depuis plusieurs décennies, je pense dès l’abord à ce sens du ‘parler musical’, presque vocalisé, qui nous vient du blues et de ses guitaristes. Pierre Durand construit ses mélodies et ses improvisations comme une parole qui va s’épanouir dans les interactions avec le groupe. Ses partenaires sont des orfèvres du dialogue, fidèles au scénario qui se dessine, et pourtant chacun de leurs gestes musicaux porte le poids du ‘dire’, d’une parole à proférer, d’une nuance à faire vivre, d’un éclat à souligner ou amortir, selon l’instant. Qu’il s’agisse d’évoquer des bribes musicales issues de l’univers de David Bowie, ou de faire surgir le souvenir de la trop rare Ricky Lee Jones (avec une formidable intro de guitare basse), la musique fait mouche, et nous sommes saisis par cet univers, captifs d’une proposition musicale assez singulière qui bouleverse, temporairement, l’idée de ce que serait ‘le jazz’.

Il en ira ainsi jusqu’au Fight or Flight final. Vous pourrez vous forger une idée de ce que fut ce concert ensuivant le lien de réécoute sur le site de France Musique : c’était en direct dans l’émission ‘Jazz Club’ de Nathalie Piolé)

https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/jazz-club/jazz-sur-le-vif-pierre-durand-quartet-en-direct-du-studio-104-9174450

HERVÉ SELLIN / JEAN-PAUL CELEA / DANIEL HUMAIR ‘New Stories’

Hervé Sellin (piano), Jean-Paul Celea (contrebasse), Daniel Humair (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 14 septembre 2024, 20h20

Pour entrer dans le vif du concert, un solo introductif de Daniel Humair, vite rejoint par ses partenaires, en une sorte de répons entre le piano et la basse, bientôt taquiné par des effractions de batterie. La musique se déroule entre improvisations ouvertes et thèmes très structurés, souvent exigeants, cousus de vertiges dans les phrasés, d’accents périlleux, de foucades inattendues, avec aussi des élans mélodiques limpides, des moments d’une expression aussi intense qu’intime. Le déroulement est cousu de surprises, d’imprévus (imprévus pour nous qui écoutons, peut-être aussi pour eux parfois quand l’un ou l’autre lance une fusée surgie de l’intensité de l’instant). On peut passer en toute fluidité d’une mélodie lyrique à des phrases anguleuses, ou faire le même chemin à coup de ruptures presque violentes. Mais toujours en parfaite musicalité, de la part de chacun des trois protagonistes. Ils sont en phase, se jouent et se déjouent en permanence, car tel est le but du jeu qu’ils nous offrent. Pour mériter de les suivre, il nous faut combiner l’attention extrême et l’abandon, demeurer en permanence capable d’accueillir ce qui soudain franchit la balustrade du possible. Pour qui écoute, c’est une fête des sens autant que de l’esprit : ces trois artistes sont vraiment des personnalités musicale exceptionnelles. Après des compositions du pianiste et du batteur, le trio va faire escale du côté de Black Narcissus, de Joe Henderson, manière de rappeler que l’on est bien sur le territoire commun au trio et au public de ces concerts. En rappel voici L’Hymne à l’amour (celui que chantait la môme Piaf), dont le thème est amoureusement exposé à la contrebasse, avant que le piano bifurque vers une sorte de soul jazz propre à ranimer les anciens émois des vieux amateurs : idéale conclusion d’une très belle soirée, contrastée, où chaque groupe a su nous entraîner loin de nos repères, suprême bonheur du mélomane jazzophile quand il veut bien se souvenir que la musique qu’il aime est en perpétuel mouvement.

Xavier Prévost

Le concert du trio Sellin-Celea-Humair sera diffusé ultérieurement sur France Musique