Jazz sur son 31. Swing Bones à Gaillac-Toulza
Des concerts gratuits, penseront certains ? Autant dire des hors d’œuvres. Des amuse-bouches. Des grignotis. Que nenni ! Bien plutôt, des plats de résistance que beaucoup de programmateurs se feraient une gloire de proposer dans leurs festivals. Ainsi du concert des Swing Bones à Gaillac-Toulza, le 6 octobre.
Swing Bones – Jérôme Capdepont, Jérôme Laborde, Baptiste Techer (tb), Olivier Lachurie (btb), Thierry Gonzalez (p), Julien Duthu (b), Guillaume Nouaux (dm). Salle des fêtes, Gaillac-Toulza, 6 octobre.
Une frontline composée de quatre trombones, soutenue par un trio rythmique, cela ne vous rappelle rien ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! Les Four Bones de François « Frick » Guin, l’un des groupes phares du jazz français durant plusieurs décennies et dont la réputation a franchi nos frontières. Il serait pourtant inexact de croire que ce septette est la réplique exacte de son illustre devancier. Certes, sa création est née du désir de retrouver l’esprit et la veine qui animaient celui qui fut l’un des meilleurs trombonistes dès les années 70. De l’admiration pour un musicien auquel les Swing Bones ont dédié récemment un album, « Tribute To François Guin ». De l’envie de perpétuer un style fondé sur une des valeurs essentielles du jazz dit « classique », le swing, notion fièrement revendiquée et qu’ils promeuvent avec panache.
Réduire toutefois les Swing Bones à un simple décalque, à un copié-collé (soyons in !), croire qu’ils perpétuent une musique désuète, à rebours de toutes les innovations, serait méconnaître leur originalité : non seulement leur swing n’a pas pris une ride, mais ils ont su intégrer les acquis de styles plus « modernes » – leurs compositions, leurs arrangements, le phrasé de certains d’entre eux en témoignent. A aucun moment de leur prestation, l’auditeur ne ressent l’impression de déjà-entendu. Si l’expression de « musique créative » n’était si souvent utilisée, voire galvaudée, elle leur conviendrait comme un gant.
Pour en venir à leur concert, la matière en est largement empruntée au disque cité plus haut. Du reste, François Guin participe, d’une certaine façon à la soirée. Sa présence virtuelle, mais prégnante, est tangible tout du long, tant dans ses compositions (le Groovin’ Swing Bones initial, Leodo, Song For Medicis aux accents silveriens, quelques autres encore) que dans ses somptueux arrangements, dont Swanie River, avec un solo éblouissant de Guillaume Nouaux. Des compositions signées par les membres de l’orchestre, un chatoyant Et maintenant de Gilbert Bécaud, un clin d’œil à Count Basie (Six O’ Clock Jump), un West End Blues revisité par Jérôme Laborde, tout est exécuté avec une précision millimétrique, un souci constant de musicalité et une cohésion parfaite.
Une variété de styles, de climats, permettant à chacun d’exprimer sa personnalité sans jamais brimer son propre talent par une soumission excessive aux impératifs de l’ensemble. Or, du style et du talent, les quatre soufflants en ont à revendre, du plus « traditionnel », Jérôme Laborde, au plus marqué par le bop et le hard bop, Baptiste Techer, tandis que Jérôme Capdepont et le trombone basse d’Olivier Lachurie apportent leur timbre propre et leur inspiration à des tutti impressionnants. Il est vrai qu’ils sont soutenus par une rythmique des plus performantes. Chacun des membres de celle-ci se met, du reste, tour à tour en valeur. Outre Guillaume Nouaux déjà cité, dont la technique, le drumming souple et efficace se révèlent essentiels d’un bout à l’autre, Thierry Gonzalez et Julien Duthu font mieux que tirer leur épingle du jeu. Ils contribuent de la manière la plus active à la réussite d’un concert qui marquera, à coup sûr, les mémoires.
Jacques Aboucaya