Jazzaldia San Sebastian(2): Herbie et Amina, le cours de l’histoire
On sort d’un concert étourdi, les sens encore titillés par la force, la beauté, la surprise, le coup de poing ou de sang.voire la secousse de l’âme qui sait, suite au jaillissement des notes, des moments de musique sensibles, intenses, inouïs, terribles, irracontables à la limite. A fortiori si l’on sort d’un coup d’un seul de l’intérieur d’une salle comme d’un cinéma ou d’un théâtre revenu la lumière, le cerveau inondé d’images, de sons, de personnages. Alors courir encore pour enchaîner aussitôt avec un autre épisode musical comme l’on fait, addict d’une série sur Netflix sans pouvoir appuyer sur la touche stop…Quelquefois soyons francs, pareil exercice festivalier extrème paraît au dessus de ses forces. Un festival peut alors représenter une douloureuse épreuve.
Tant mieux, tant pis !
Jazzaldia, San Sebastián/ Donostia, Euskadi/España
Sofiane Pamart (p)
Museo San Telmo 23 juillet
Second acte de la série « piano solo », toujours dans le cloître de l’ancienne abbatiale. Ce jour les arcades sont pleines. Contrairement à la veille à l’occasion du concert de Craig Taborn (cf Jazzmag.com Live du 25/06) les places se sont vendues en un temps record. Le public, jeune en grande majorité, a sauté sur l’occasion alerté par les réseaux sociaux. Look méga voyant, chapeau rouge vif et longue capeline de soie chamarrée à motifs de fleur, Ray Bans posées sur un visage très pâle, Sofiane Pamart reste concentré sur son univers privilégié, le clavier. Il n’aura pas prononcé un mot de tout le concert.
Les pièces jouées sont plutôt courtes, marquée d’une langueur certaine en majorité. Sonorité et volume du piano demeurent en maîtrise totale pour des oeuvres personnelles de type musique classique. Simplement sur certains temps forts choisis à l’avance, le pianiste place intentionnellement des pics d’emphase dans l’exécution. Bien fait, une certaine élégance dans la manière, mais le propos musical relève d’un choix net: oublier le rythme ou presque, ses risques, ses emballements. Et privilégier les petits chapelets de notes claires au bout du clavier côté main droite. D’où une carence de relief. De surprise surtout.
Plaza de la Trinidad, 23 juilet
Amina Claudia Myers (p, voc), Richarda Abrams ( voc), Jeanette T. Carter (voc), Chinyelu Ingram (voc)
« Nous avons sept spirituals à chanter pour vous ce soir » Pas d’effet de surprise, Amina donne d’entrée les clefs du contenu ainsi que les têtes de chapitre. Par la suite, c’est à Richarda Abrams que va échoir la charge de livrer méthodiquement le titre de chaque chant, l’histoire de son origine, son auteur ainsi que ses principaux interprètes, tous parties prenantes de la Great Black Music.
Du classique, du gospel de toujours: It’s me Ô Lord en simple version vocale sur accords de piano, puis Still away , toujours harmonisé à quatre voix avec en incise, un court moment de transition au piano. Rien que du très classique dans le genre. Deux chansons de référence pointent le cœur du récital. L’archi connu Swing low sweet chariot suivi de Jcob’s ladder avec un vocal solo pris en bord de scène avant que n’intervienne le premier vrai chorus de Claudia Amina Myers, accords et développement au piano parfaitement cadré bien sûr dans les canons d’un genre qu’elle, musicienne connue pour s’être frottée au jazz d’avant garde dans l’ association AACM de Chicago, garde toujours dans sa mémoire et, visiblement dans son cœur. Il en sera de même pour une version de Let my people go, avec cette fois en chant solo la stature de Chimyelu Ingram. Amina perpétue naturellement dans son accompagnement l’essence de la mélodie culte, se contentant de creuser subtilement autour du bout des doigts. Même cause même effet sur Mary din’t you weep chanson qui, prend-elle soin de noter « fut créée dans une église de Chicago et reprise notamment par la grande Aretha Franklin puis plus tard par Prince…» Il fallait un final, ce fut justement l’occasion d’une composition de la pianiste mais interprétée à capella et à quatre voix (Do you want be save)
À ce moment précis, au milieu des couplets, des incantations un vent fort s’est levé sur la Plaza de la Trinidad, venu direct de l’océan…
Rarement entendu un moment musical aussi fort quoi que aussi dépouillé d’artifices ainsi pleinement partagé par le public. Ceci dit on aurait aimé entendre peut-être plus de piano, celui toujours imprégné d’un feeling intense, et d’une manière jazz et soul profond mêlés propre au talent de Claudia Amina Myers. Otra vez…
Ben LaMar Gay (tp, synthé, voc), Will Faber (g, voc), Matt Davis (tub, voc), Tommaso Moretti (dm)
Dans ce cas précis l’entrée du jeu se passe différemment sur la scène historique placée au beau milieu des ruelles du vieux quartier avec sa centaine de bars à boire et manger: désordonnée, bruyante à souhait, incrustée de cris, stridences et autre ronflements électroniques tandis que se répercutent des échos graves de basse et tournent en boucle des voix réverbérées. Ben LaMar Gay lui aussi a fait partie de lAACM de Chicago association de musiciens de la ville qui, depuis la naissance du free jazz, a toujours revendiqué une totale liberté culturelle, sociale, politique pour la musique et les musiciens. Dont acte.
Matt Davis
Et puis finalement dans ce juteux tumulte monte un chant, sortent des notes éparses, triturées d’une trompette bouchée, se dégage une guitare en bouillie de notes, bref rien de fixé surtout…jusqu’à ce que, enfin au quart d’heure passé parviennent les bribes d’une mélodie échappée de la trompette, croisée de quelques lignes de guitare enfin audible avec, mais oui, le renfort distinct du tuba basse rutilant d’une lumière en glisse sur le gros pavillon de cuivre. Simple moment de pétole vite interrompu par un nouveau courant d’air pulsé d’une mélopée rituelle primitive â coup de vibrations de cloches pour animaux.
Le passage de vrai faux calme intervient enfin, on n’a pas compté le temps passé, sorte de court apaisement. Les sons caverneux du tuba basse se posent soudain sur les accords de guitare comme pour peindre un fond de couleurs pastel. La batterie se joint à l’acte sonore et pictural manière de donner autant de coups de pinceaux que nécessaire à l’oeuvre musicale dégenré ainsi entreprise. La guitare à son tour vient s’y fondre note à notes, d’ailleurs jamais jaillies très nettes avant que les cris rituels ne reprennent le sens du vent.
À propos de circulation d’air et de douceur inespérée il faudra attendre un salut final à 3 flûtes bambou pour que Ben Lamar Gay jusque là peu disert annonce un « mélange de l’air pulsé pour célébrer l’espace » Compris ?
Marco Mezquida (p), Juan de la Rubia (p, org)
Teatro Victoria Eugénie 25 juillet
Une seule pièce jouée plus d’une heure durant sur la scène du magnifique théâtre de la cité guipuzcoana aux quatre rangées de balcons. Bach, Goldberg, des fugues, des incursions dans un univers approchant via des chemins d’improvisation partagés: les vagues portées sur deux pianos joints déposent un maelström de notes et d’accords mis et remis en mouvement à quatre mains. Les deux pianistes espagnols atteignent le sommet pour se fondre dans le creux, alternativement. Pour schématiser quand l’un prend les basses à droite du clavier, l’autre, en face écume les aiguës de son propre instrument. Le jeu plutôt lissé dans une empreinte de musique classique se fait plus baroque dès lors que Juan de la Rubia, quittant le piano, passe soudain à l’orgue, sans heurt en cours de thème interprété. Un orgue à trois claviers superposés avec pédalier de basse au sol et écran de contrôle pour les effets. De quoi donner un volume supérieur aux notes tenues, aux accords plaqués énormes sur cet instrument spécialement fabriqué. Dans un pareil face à face Marco Mezquida se réfugie alors dans des chapelets de notes légères. Dès le retour à l’égalité dans les pianos un jeu d’échange prend forme, exposé du thème pour l’un (de la Rubia plus souvent) échappée belle ou fugue pour l’autre. Au second affrontement avec l’orgue numérique -Juan de la Rubia est un organiste classique reconnu au niveau mondial- c’est un peu comme si un lourd Te Deum devait vivre en couple au quotidien avec une toccata…Alors intervient un moment spécial en solo pour chacun: Marco Mezquida s’échappe un instant bel et bien seul, plus aventureux, pour des gerbes de notes écumes…improvisées totalement celles là avant de laisser son comparse seul à son tour faire trembler l’orgue dans un orage de notes tenues. Effet quelque peu baroque faut-il le dire, une nouvelle fois….
Herbie Hancock (p), Terence Blanchard (tp), Lionel Loueké (g), James Genius (b!, Justin Tyson (dm)
Auditorium Kusaal, 25 juillet
« Herbie » très décontracté se lance out de suite dans un long speech parlant de la ville hôte du jour, de sa cuisine, de la santé post pandémie, de la planète à protéger…Et regardant sa montre avec un mouvement de tête signifiant d’’un étonnement il enchaine sur le titre du premier morceau « Ouverture” synthetise des extraits de thèmes enchaînés. Car moi vous savez, je peux tout jouer de mes disques, sauf qu’il faut choisir… » De quoi placer beaucoup de relances au piano, en finesse toujours et pile au moment où il convient. La pièce se prolonge, passage à deux basse/batterie furieusement funky et première intervention solo de Lionel Louké (Hancok le chouchoutera particulièrement â posteriori lors de la présentation des musiciens), scénario en séquences d’accords rythmés danse et doublé dans une voix synthétisée. En conclusion, Hancock très joueur provoque le batteur d’accords appuyés histoire de faire monter la sauce déjà plutôt bien épicée, Puis taquin Il passe à des confidences mimant de cacher le micro «…le morceau suivant est une composition d’un ami de 89 printemps qui, chez lui, termine l’écriture d’un opéra… » On aura deviné pour Wayne Shorter, que malheurs de santé imposent, on ne verra malheureusement plus sur une scène » FootPrints arrangé par Terence Blanchard prend tout de suite une allure très funk d’esprit suite à un bel exposé du thème de la part du trompettiste, notes claires et sonorité large.
Herbie Hancock remercie le public et en profite pour enchaîne sur une nouvelle déclaration en demande de solidarité « On est tous ds la mème famille on doit faire attention au monde on doit sauver la planète de cette pandémie, personne n’est irremplaçable mais on est tous responsable » Suit une composition écrite du temps des Heads Hunters (Sweet Sauce) On se retrouve plongé dans le dur question rythmique. En opposition de phase Herbie, on le sait à l’aise sur tous les terrains du jazz, chante à présent, sur un y temps long, insistant sur sa voix filtrée par le vocodeur. Au passage il nous gratifie d’un solo de piano brillantíssime. Enfin, c’est cadeau, voici venu lei temps,d’une version aérienne, large spectre de son, de Cantaloupe Island,
Qui penserait qu’Herbie nanti de ce quartet d’experts (le bassiste James Genius, à ce niveau justifierait presque son nom…) à célébré ses 82 années. Donc 64 année d’exploration du jazz et de ses alentours.
Lakecia Benjamin (as), Victor Gould (p), Ivan Taylor (b), EJ Strickland (dl)
Plaza de la Trinidad, 25 juillet
«Je suis ici á l’occasion où du concert inaugural de la tournée. pour la première fois en Espagne, En votre compagnie nous voudrions célébrer ce soir l’immense John Coltrane mais Alice, sa femme également »
Lakecia Benjamin pratique l’alto oui, mais le phrasé parle de lui même à l’evidence très coltranien dans le rush des notes, sur les pointes de vibrato, les aigues, la saturation de la colonne d’air. Et, toute chose ne s:avérant pas forcément égale, le piano -quoique de nature électrique celui-là- sonne aussi avec quelque filiation (les accords de dolinnante délimitant des spaces) très Mc Coy…
La jeune saxophoniste assure elle même une belle introduction, jeu très délié, pour le thème d’ Alice Coltrane. Parvenu au cœur battant de l’hommage le quartet offre une version de feu de My favourite things. Puis en adoucissant le propos musical général sans pour autant transiger sur l’intensite, la force de persuasion de sa sonorité sur l’alto, elle impose sa version du mythique Love Supreme.
En tous cas, á tout moment de sa prestation instrumentale durant le concert elle va droit au but, elle fait part de sa force, de sa,détermination dans son jeu, dans la ligne donnée á sa musique. Me revient à la mémoire cette confidence d’un Michel Portal encore impressionné à propos de sa rencontre avec Dave Liebman pour un premier concert commun « Putain! tu sais les américains ils ne rigolent pas avec ça dans le boulot. Quand il souffle dans son sax le type y a pas de temps mort, il t’attends pas, il y va à fond, il rentre dedans direct. Un vrai péc sur son truc comme on dit á Bayonne! »
Lakecia Benjamin, de Ney York, est une vraie américaine.
Diana Krall (p, voc), Robert Hurst (b), Karriem Riggins (dm), Anthony Wilson (g)
Plaza de la Trinidad, 25 juillet
Rien de nouveau chez la,chanteuse canadienne sous le ciel ennuagé ce dernier soir de festival.
Sa voix, le piano, les mêmes musiciens, les mêmes refrains. Sauf que, alors que ça menaçait, il n’a pas plus pendant le concer de clôture.
Comme durant tout le festival.
Ribert Latxague