Jazz live
Publié le 14 Nov 2024

Jazzdor 39 – Sophie Bernado Quartet “Célestine in the Clouds”

Après l’avoir créé en juin dernier au festival Jazzdor Strasbourg-Berlin-Dresden, la bassoniste, chanteuse et compositrice Sophie Bernado a littéralement “enchanté” le public du Fossé des Treize en offrant une nouvelle version lumineuse de son projet “Célestine in the Clouds”. A travers ce voyage onirique et merveilleux au cœur du son, du souffle et de la voix Sophie Bernado projette sa musique dans cette zone sensible de “commun(icat)ion” où le corps, l’âme et l’intelligence fusionnent en une même utopie universaliste.

D’emblée l’instrumentation du quartet interpelle et laisse deviner que les territoires sonores qui s’apprêtent à être ouverts et arpentés sortent de l’ordinaire. En associant son basson (instrument déjà inhabituel dans le champ du jazz et des musiques improvisées) à la contrebasse de Joachim Florent, au vibraphone de la berlinoise d’origine japonaise Taiko Saito et à la voix dans tous ses états de la chanteuse Marie-Pascale Dubé, Sophie Bernado affiche clairement ses désirs d’inouï dans un parti-pris d’interdisciplinarité généralisée. Et de fait, dès l’ouverture de ce qui s’avérera un long et passionnant périple autant imaginaire qu’ultra-sensoriel au plus intime de la matière sonore, le ton est donné de ce vaste processus de déterritorialisation aux allures de manifeste autant poétique que politique. Enchantée par la féérie sonore du vibraphone aussi précis dans les nuances que puissamment expressif de Taiko Saito ; porté par la contrebasse pulsative et coloriste de Joachim Florent passant de grooves sensualistes inspirés par la musique africaine à d’intenses séquences minimalistes et répétitives à la Steve Reich ; animée par l’extraordinaire variété de techniques vocales mises en œuvre par Marie-Pascale Dubé, empruntant autant au domaine contemporain (d’Aperghis à Meredith Monk) qu’à l’improvisation libre (Lauren Newton, Annick Nozati)  et aux traditions extra-européennes (les chants chamaniques inuit) pour enrichir de ses polyrythmies complexes et de ses flux de timbres précieux la riche et mouvante pâte sonore collective —  la musique proposée par Sophie Bernado non seulement s’affranchit tout du long de toute notion de style et de genre, mais fabrique son propre idiome, puissamment syncrétique. Laissant son basson travaillé d’effets électroniques prendre au détour de mélopées improvisées des sonorités de shehnai pour l’introduire soudain dans les méandres oniriques d’environnements harmoniques relevant des musiques nouvelles (Arvo Pärt) ou du champ contemporain (Luciano Nerio) puis insensiblement dériver du côté d’une sorte de pop expérimentale resongeant la forme chanson — Sophie Bernado innove, surprend, séduit et au final touche avec légèreté à des profondeurs métaphysiques et poétiques rares. Un vrai coup de cœur !

Stéphane Ollivier