Jazz live
Publié le 25 Mar 2023

Jazzdor de Strasbourg à Budapest, 3ème journée

Hier 24 mars, avant-dernier jour du Jazzdor Strasbourg-Budapest Festival, visite du Budapest Music Center, puis concert du pianiste et chef d’orchestre Hans Lüdemann avec son TransEuropeExpress et son invité l’accordéoniste Luciano Biondini.

En ouverture de soirée, sous la conduite de Bognár Tamás, label manager de BMC Records, Abel Petneki, responsable de la communication du Budapest Music Center et de Csenge Hamod, club manager et chargée des relations internationales, les représentants de la presse européenne étaient invités à visiter le bâtiment du Budapest Music Center qui fête tout juste son dixième anniversaire. Une bâtisse impressionnante par la qualité de son architecture intérieure et sa fonctionnalité où l’on pénètre en dépassant l’entrée de l’Opus Jazz Club qui en occupe les fondations.

Première étape, la salle de concert de 300 m2 impressionnante par sa hauteur de plafond et de ses deux murs de pierre latéraux, vestige d’un bâtiment de la fin du XIXe , qui contribue à la qualité de son acoustique. La visite est d’autant plus impressionnante que nous visitons cet espace pouvant contenir 300 spectateurs assis alors qu’il est en configuration d’enregistrement, la scène dissimulée d’un rideau au pied duquel sont répartis les 32 pupitres d’une nouvelle œuvre de Peter Eötvös, Respond, concerto pour violon alto. Nous passerons par les bureaux de la fondation du compositeur, mais auparavant nous sont ouvertes les portes de la bibliothèque qui comprend quelques 100 000 documents (partitions et disques) et où l’on aperçoit un piano droit portant le nom le György Kurtág et celui de son épouse la pianiste Márta Kurtág décédée en 2019, le compositeur ayant toujours son appartement dans le bâtiment.

Après avoir traversé un studio de mixage où l’on salue au passage le saxophoniste Hugues Mayot travaillant sur l’enregistrement récent du deuxième disque de son groupe L’Arbre rouge (premier album publié en 2019 sur BMC Records), après avoir laissé sur notre droite une cabine de prise de son permettant d’isoler un instrument, nous pénétrons dans la régie d’enregistrement dont la console est câblée en audio et vidéo  tant avec la salle de concert qu’avec d’autres lieux (salle de réunion, de répétition, club), autant de potentiels lieux d’enregistrement appréciés pour leur acoustique. Ce labyrinthe – qui débouche sur une agréable terrasse à ciel ouvert où l’on imagine réceptions estivales et moments de détentes, entre deux séances de travail, notamment pour les fumeurs – comprend aussi chambres, sanitaires et cuisines permettant d’accueillir autant d’artistes en résidence.

Retour en sous-sol au club où est attendu Hans Lüdemann. Car si nous mettions en évidence dans nos comptes rendus précédents l’existence d’une french connection au sein du catalogue BMC, l’action du label s’est rapidement ouverte au reste de l’Europe comme en témoigne la présence assidue de ce pianiste et chef d’orchestre allemand. Deux disques en trio avec sa rythmique habituelle Sébastien Boissseau / Dejan Terzic (“Rooms”, 2010 ; “Blau Kreise”, 2017), une publication de 5 CD + 1 DVD le présentant dans cinq différents trios (“Die Kunst des Trios”, 2012), un solo (“Das Reale Kalvier”, 2015) et deux disques de sa formation TransEuropeExpress (“Polyjazz”, 2018 ; “On the Edges” avec Majid Bekkas, 2022).

Le programme initial du festival annonçait un concert en deux parties : le duo  de l’accordéoniste Luciano Biondini et de la pianiste Rita Marcotulli, suivi du TransEuropeExpress avec le duo italienpour invité. La venue de la pianiste ayant été empêchée, c’est finalement Hans Lüdemann lui-même qui donne la réplique à Biondini. On retrouve là la vocation populaire de l’instrument transcendé par une virtuosité instrumentale et une science certaine de la composition et de l’arrangement qui n’est pas totalement affranchie des grands archétypes attachés à l’accordéon, ni de l’influence d’Astor Piazzolla, avec en outre ce risque de surcharge que peut rencontrer l’association de deux instruments harmoniques ayant tendance à la prolixité.

Si le charme l’emporte devant un public conquis comme il le sera par la seconde partie, on se demande comment ces deux claviers avaient prévu de se répartir l’espace dans la perspective de l’ajout d’un deuxième piano confié à Rita Marcotulli. D’autant que les arrangements confiés au TransEuropeExpress – qui célébrait là ses 10 ans d’existence – sont assez riches pour donner l’illusion d’une front line de vents deux fois plus importantes. En voici le personnel, outre Lüdemann et Biondini :

Clément Janinet (violon), Yves Robert (trombone), Silke Eberhard (saxophone alto, clarinette), Alexandra Grimal (saxophone ténor),  Clara Däubler (contrebasse), Derjan Terzig (batterie).

L’écriture est joyeuse, jusqu’à se prêter parfois à l’analogie fanfaronne, multipliant les ritournelles qui se succédent ou se superposent, occasion de belles échappées solistes. On ne présente plus Yves Robert qui ne se départit pas ici de son autorité narquoise. On retrouve Clément Janinet, entendu voici deux jours sur sa propre musique, alternant un phrasé nettement jazz avec un rapport de l’archet aux cordes plus africain. On fait connaissance avec Silke Eberhard qui “déchire” chaque fois que son alto est sollicité en solo. Et l’on marche là plus sur les pas d’Eric Dolphy et Jimmy Lyons que sur ceux de Cannonball Adderley ou Paul Desmond. Une belle intervention à la clarinette la fera  entendre sur un autre registre, plus chambriste, qui donne envie d’en savoir plus quant à l’étendue de son art.

Deux compositions s’imposent : Schnell du batteur Derjan Terzig bouscule ce  sympathique répertoire par son relatif énervement ; et une composition d’Alexandra Grimal dont je ne parviens à relire le titre dans mes notes, mais où il est question de l’absence de lune, et qui laisse à deviner que la saxophoniste a pu y trouver tout l’espace nécessaire à l’expression de son onirisme naturel, de même que la contrebassiste Clara Daübler (remplaçant Sébastien Boisseau retenu par une tournée avec Dominique A) put y faire entendre une belle expression à l’archet. Rappel chaleureux du public rejoint par la délégation de professionnels invités (journalistes ou organisateurs) : l’orchestre revient pour nous donner une aperçu de ce qu’aurait été le concert avec Rita Marcotulli.

À l’heure où ce compte rendu aura été mis en ligne et rendu public, la dernière soirée du festival aura probablement commencé avec le solo d’Isabel Sörling, voir atteint les dernières notes du répertoire “Aux Anges” de Sylvain Rifflet avec Yoann Loustalot, Csaba Palotaï et Benjamin Flament. Franck Bergerot