Jazzdor In Budapest, 2ème journée côté BMC Records

Le groupe beneluxo-franco-portugais Bonbon Flamme et les Hongrois du quartet Kovász célébrait la parution sur BMC Records de leurs albums respectifs “Cavaleras Y Boom Boom Chupitos” et “Fermentum”.
Kovász – Gergõ Kováts (ts), Máté Pozsár (p, synth), Ábel Dénes (b, gardon), Attila Gyárlás (dm, gardon, électronics) – commence son concert plein pot. Il y de la Machine Gun “à la Peter Brötzmann” dans cette ouverture, destinée peut-être à ouvrir les oreilles, à les décrasser… et paradoxalement, on tendra mieux l’oreille passé cet orage. Accalmie et, à travers les déconstructions de la batterie, quelque chose qui nous est désormais familier survient : l’aksak, ce mot turc par lequel, à la suite des premières observations de Bartók, le musicologue roumain Constantin Brăiloiu (1893-1958) nomma et théorisa ces rythmes “boîteux” qu’ont en commun les musiques populaires d’un vaste territoire correspondant à l’ancien Empire ottoman.
À travers les déconstructions d’Ábel Dénes (en piz ou à l’archet) et d’Attila Gyárlás – admirable rythmicien tantôt sur sa batterie tantôt sur son gardon (violoncelle rustique dont les cordes sont frappées d’un bâton, gardon qu’il prépare de différentes façons), c’est cette sensation rythmique qui s’empare de moi avant qu’une quelconque identification géographique ne s’impose. Celle-ci ne viendra qu’avec l’apparition d’une thématique “typique” sur le saxophone Gergõ Kováts, qui me rappelle que nous sommes en Hongrie, dont la scène jazz s’est d’abord révélée à nous lors des premières visites en France du saxophoniste Mihály Dresch, à la réputation duquel ont bientôt succédé celles de le pianiste György Szabados, le saxophoniste Mihály Borbély, le joueur de cymbalum Miklós Lukács et quelques autres habitués du catalogue BMC.

Le groupe parvient à jouer de cette identité sans se laisser happer par la tentation “folkloriste”, du fait d’une vraie cohésion de groupe, d’une authentique plastique orchestrale. Tiens, me disai-je en les écoutant, voilà un groupe pour le festival de Malguénac, et un échange possible avec cette scène bretonne confinée sur son territoire, sauf à travers les liens étroits qu’elle entretient avec les territoires de l’aksak. Nonobstant cette cohésion et cette assimilation réussie, j’aurais tendance à garder spécifiquement en mémoire le nom de Máté Pozsár, qui au piano comme au synthétiseur, fait preuve d’un mélange d’humour et d’onirisme parfaitement original, qu’il me plairait d’entendre hors ce contexte.

À quoi s’attendre lorsque le quartette Bonbon Flamme entre sur scène – Valentin Ceccaldi (cello, synth), Luis Lopes (elg, synht), Fulco Ottervanger (p, synth, voc), Étienne Ziemniak (dm, electronic) –, précédé en ce qui me concerne, par la réputation de Valentin Ceccaldi, mélange d’attendu et d’imprévisible, oxymore déjà contenu dans ce titre “Bonbon Flamme” et traduit sur scène par une succession de moments d’une extrême douceur – à la limite sinon du kitsch, du moins de la candeur, de la comptine et de la berceuse –, et d’explosions free-punk (étiquette très réductrice, il y a là de ce non étiquettable dont est capable Marc Ribot) – qui, passé les premiers assauts et le sentiment d’expulsion de l’aire du concert (avec ou sans protection auriculaire – j’avais oublié les miennes, mais leur usage ont pour effet de m’exclure plus encore de la musique qui se joue que de n’en pas avoir, à mes risques et périls déjà constatés –, mais entre le pianissimo et le fortissimo advient une dynamique dont j’ai fini par goûter la douceur du bonbon et la brûleur de la flamme. Et – tiens ? – je n’ai pas l’habitude de conseiller mes amis de Malguénac – complexe du parisien-tête de chien qui préfère se faire discret en Pays breton –, mais voilà encore un groupe pour Malguénac (où, ceci dit, Valentin Ceccaldi et ses amis ne sont pas inconnus). Franck Bergerot
