Jazzdor, Strasbourg-Berlin (2)
Ville trouée, de par son histoire et sa conception, ville divisée (pour les mêmes raisons, à quoi s’ajoute le souvenir de cette division dans le réel du mur), Berlin aurait pu servir à Sigmund (Freud, pas le chat) de métaphore pour l’écriture de cette refente dans le sujet. Il préférait Rome, dont la structure à base d’empilements successifs et de réutilisation des matériaux, convenait bien à sa vision de l’Inconscient.
On dira quand même que le grand avantage actuel de la capitale germanique tient à ce qu’on y pressent que toutes les places ne sont pas encore prises, et que le désir peut donc y faire son chemin. Berlin est une ville du manque, d’où l’appétit qu’on y entend en matière de création artistique et de « spectacles vivants ». Voilà l’une des raisons du succès de « Jazzdor, Strasbourg – Berlin ». Ajoutez quand même une direction éclairée (Philippe Ochem), toute une équipe autour de lui qui a su trouver les relais et partenaires institutionnels français et allemands idoines, un réseau médiatique (radios, journaux, sites web) bien en place, un lieu formidable (le « Kesselhaus » superbe salle de dimension moyenne située dans la « Kulturbrauerei », c’est à dire littéralement « brasserie de la culture ») (1), et voici pourquoi votre sœur n’est pas muette, soit une belle assistance encore hier soir pour le premier concert, celui du trio « Atlas » de Louis Sclavis.
Mais avant ça, une petite anecdote piétonne. On m’avait signalé dans la Kastanienallee deux boutiques de disques vinyles d’occasion, l’une à gauche au tout début de cette voie, l’autre au bout à droite, deux stations de tram plus loin. En route pour ces lieux de perdition, je croise un homme de haute taille, assez fort, les cheveux abondants et grisonnants, qui me demande dans un anglais parfait si j’avais trouvé mes sandales en cuir de marque « Birkenstock » dans une boutique voisine. Il cherchait les mêmes. Je lui réponds dans une langue voisine mais plus hésitante que non, que je venais de les acheter en France. Nous en restons là, et quelques mètres plus loin je réalise que je venais d’avoir cet intéressant entretienj avec… Tony Malaby.
Donc ça marche, « Strasbourg – Berlin ». Et côté musique on n’a pas été déçu : Benjamin Moussay (p) et Gilles Coronado (g) ont même réussi dans A Road To Karaganda à pousser Louis Sclavis dans une rage et une sauvagerie qui ne lui sont plus si souvent familières. Très bon concert, aussi performant que celui du Mans, supérieur pour certains qui, comme moi, ont assisté aux deux, mais je pense que c’est une question de lieu et de position d’écoute. Au Mans, et quelle que soit l’élégance boisée du dortoir des moines, il faut être dans les premiers rangs, et la salle est en longueur. Ici on peut se placer où l’on veut, la musique vous parvient. Le trio de Stéphane Kerecki avec précisément Tony Malaby (ts, ss) a projeté avec peut-être un rien de désinvolture une musique complexe, d’écriture subtile, qui a moins bien tourné que lors du « Jazz en Luberon » de l’année dernière. A mon sens en tous cas. Quant à « Q » (Sylvain Darrifourcq, batterie, Fanny Lasfargues, basse à cinq cordes et Julien Desprez, guitare), dont j’allais enfin pouvoir écouter en direct la musique, il se confirme que c’est un trio superbe d’engagement et de puissance rythmique. J’ai personnellement un peu de mal avec les sons de guitare en perpétuels accords qui se répercutent en écho, et je préfère les moments bruitistes, ou ceux qui font revenir une forme de rock savant avec un phrasé linéaire classique. Mais c’est juste une réserve… personnelle.
Sans réserve, si vous êtes à Berlin, venez écouter ce soir la rencontre entre Nils Wogram et Bojan Z, le trio Monniot/Chevillon/Vaillant, et le quartet de Hasse Poulsen « We Are All Americans ».
Philippe Méziat
(1) On ferait bien, à Bordeaux par exemple, de s’en inspirer. On pourrait utiliser les chais Descas et les appeler « Lieu de fermentation culturelle ». Ce serait bien sûr un lieu multiple. Façon de faire bisquer Nantes et son « Lieu Unique ». On peut toujours rêver. Dans une ville endormie, il ne reste que le rêve, qui parfois tourne au cauchemar, et c’est là qu’on se réveille…
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Ville trouée, de par son histoire et sa conception, ville divisée (pour les mêmes raisons, à quoi s’ajoute le souvenir de cette division dans le réel du mur), Berlin aurait pu servir à Sigmund (Freud, pas le chat) de métaphore pour l’écriture de cette refente dans le sujet. Il préférait Rome, dont la structure à base d’empilements successifs et de réutilisation des matériaux, convenait bien à sa vision de l’Inconscient.
On dira quand même que le grand avantage actuel de la capitale germanique tient à ce qu’on y pressent que toutes les places ne sont pas encore prises, et que le désir peut donc y faire son chemin. Berlin est une ville du manque, d’où l’appétit qu’on y entend en matière de création artistique et de « spectacles vivants ». Voilà l’une des raisons du succès de « Jazzdor, Strasbourg – Berlin ». Ajoutez quand même une direction éclairée (Philippe Ochem), toute une équipe autour de lui qui a su trouver les relais et partenaires institutionnels français et allemands idoines, un réseau médiatique (radios, journaux, sites web) bien en place, un lieu formidable (le « Kesselhaus » superbe salle de dimension moyenne située dans la « Kulturbrauerei », c’est à dire littéralement « brasserie de la culture ») (1), et voici pourquoi votre sœur n’est pas muette, soit une belle assistance encore hier soir pour le premier concert, celui du trio « Atlas » de Louis Sclavis.
Mais avant ça, une petite anecdote piétonne. On m’avait signalé dans la Kastanienallee deux boutiques de disques vinyles d’occasion, l’une à gauche au tout début de cette voie, l’autre au bout à droite, deux stations de tram plus loin. En route pour ces lieux de perdition, je croise un homme de haute taille, assez fort, les cheveux abondants et grisonnants, qui me demande dans un anglais parfait si j’avais trouvé mes sandales en cuir de marque « Birkenstock » dans une boutique voisine. Il cherchait les mêmes. Je lui réponds dans une langue voisine mais plus hésitante que non, que je venais de les acheter en France. Nous en restons là, et quelques mètres plus loin je réalise que je venais d’avoir cet intéressant entretienj avec… Tony Malaby.
Donc ça marche, « Strasbourg – Berlin ». Et côté musique on n’a pas été déçu : Benjamin Moussay (p) et Gilles Coronado (g) ont même réussi dans A Road To Karaganda à pousser Louis Sclavis dans une rage et une sauvagerie qui ne lui sont plus si souvent familières. Très bon concert, aussi performant que celui du Mans, supérieur pour certains qui, comme moi, ont assisté aux deux, mais je pense que c’est une question de lieu et de position d’écoute. Au Mans, et quelle que soit l’élégance boisée du dortoir des moines, il faut être dans les premiers rangs, et la salle est en longueur. Ici on peut se placer où l’on veut, la musique vous parvient. Le trio de Stéphane Kerecki avec précisément Tony Malaby (ts, ss) a projeté avec peut-être un rien de désinvolture une musique complexe, d’écriture subtile, qui a moins bien tourné que lors du « Jazz en Luberon » de l’année dernière. A mon sens en tous cas. Quant à « Q » (Sylvain Darrifourcq, batterie, Fanny Lasfargues, basse à cinq cordes et Julien Desprez, guitare), dont j’allais enfin pouvoir écouter en direct la musique, il se confirme que c’est un trio superbe d’engagement et de puissance rythmique. J’ai personnellement un peu de mal avec les sons de guitare en perpétuels accords qui se répercutent en écho, et je préfère les moments bruitistes, ou ceux qui font revenir une forme de rock savant avec un phrasé linéaire classique. Mais c’est juste une réserve… personnelle.
Sans réserve, si vous êtes à Berlin, venez écouter ce soir la rencontre entre Nils Wogram et Bojan Z, le trio Monniot/Chevillon/Vaillant, et le quartet de Hasse Poulsen « We Are All Americans ».
Philippe Méziat
(1) On ferait bien, à Bordeaux par exemple, de s’en inspirer. On pourrait utiliser les chais Descas et les appeler « Lieu de fermentation culturelle ». Ce serait bien sûr un lieu multiple. Façon de faire bisquer Nantes et son « Lieu Unique ». On peut toujours rêver. Dans une ville endormie, il ne reste que le rêve, qui parfois tourne au cauchemar, et c’est là qu’on se réveille…
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Ville trouée, de par son histoire et sa conception, ville divisée (pour les mêmes raisons, à quoi s’ajoute le souvenir de cette division dans le réel du mur), Berlin aurait pu servir à Sigmund (Freud, pas le chat) de métaphore pour l’écriture de cette refente dans le sujet. Il préférait Rome, dont la structure à base d’empilements successifs et de réutilisation des matériaux, convenait bien à sa vision de l’Inconscient.
On dira quand même que le grand avantage actuel de la capitale germanique tient à ce qu’on y pressent que toutes les places ne sont pas encore prises, et que le désir peut donc y faire son chemin. Berlin est une ville du manque, d’où l’appétit qu’on y entend en matière de création artistique et de « spectacles vivants ». Voilà l’une des raisons du succès de « Jazzdor, Strasbourg – Berlin ». Ajoutez quand même une direction éclairée (Philippe Ochem), toute une équipe autour de lui qui a su trouver les relais et partenaires institutionnels français et allemands idoines, un réseau médiatique (radios, journaux, sites web) bien en place, un lieu formidable (le « Kesselhaus » superbe salle de dimension moyenne située dans la « Kulturbrauerei », c’est à dire littéralement « brasserie de la culture ») (1), et voici pourquoi votre sœur n’est pas muette, soit une belle assistance encore hier soir pour le premier concert, celui du trio « Atlas » de Louis Sclavis.
Mais avant ça, une petite anecdote piétonne. On m’avait signalé dans la Kastanienallee deux boutiques de disques vinyles d’occasion, l’une à gauche au tout début de cette voie, l’autre au bout à droite, deux stations de tram plus loin. En route pour ces lieux de perdition, je croise un homme de haute taille, assez fort, les cheveux abondants et grisonnants, qui me demande dans un anglais parfait si j’avais trouvé mes sandales en cuir de marque « Birkenstock » dans une boutique voisine. Il cherchait les mêmes. Je lui réponds dans une langue voisine mais plus hésitante que non, que je venais de les acheter en France. Nous en restons là, et quelques mètres plus loin je réalise que je venais d’avoir cet intéressant entretienj avec… Tony Malaby.
Donc ça marche, « Strasbourg – Berlin ». Et côté musique on n’a pas été déçu : Benjamin Moussay (p) et Gilles Coronado (g) ont même réussi dans A Road To Karaganda à pousser Louis Sclavis dans une rage et une sauvagerie qui ne lui sont plus si souvent familières. Très bon concert, aussi performant que celui du Mans, supérieur pour certains qui, comme moi, ont assisté aux deux, mais je pense que c’est une question de lieu et de position d’écoute. Au Mans, et quelle que soit l’élégance boisée du dortoir des moines, il faut être dans les premiers rangs, et la salle est en longueur. Ici on peut se placer où l’on veut, la musique vous parvient. Le trio de Stéphane Kerecki avec précisément Tony Malaby (ts, ss) a projeté avec peut-être un rien de désinvolture une musique complexe, d’écriture subtile, qui a moins bien tourné que lors du « Jazz en Luberon » de l’année dernière. A mon sens en tous cas. Quant à « Q » (Sylvain Darrifourcq, batterie, Fanny Lasfargues, basse à cinq cordes et Julien Desprez, guitare), dont j’allais enfin pouvoir écouter en direct la musique, il se confirme que c’est un trio superbe d’engagement et de puissance rythmique. J’ai personnellement un peu de mal avec les sons de guitare en perpétuels accords qui se répercutent en écho, et je préfère les moments bruitistes, ou ceux qui font revenir une forme de rock savant avec un phrasé linéaire classique. Mais c’est juste une réserve… personnelle.
Sans réserve, si vous êtes à Berlin, venez écouter ce soir la rencontre entre Nils Wogram et Bojan Z, le trio Monniot/Chevillon/Vaillant, et le quartet de Hasse Poulsen « We Are All Americans ».
Philippe Méziat
(1) On ferait bien, à Bordeaux par exemple, de s’en inspirer. On pourrait utiliser les chais Descas et les appeler « Lieu de fermentation culturelle ». Ce serait bien sûr un lieu multiple. Façon de faire bisquer Nantes et son « Lieu Unique ». On peut toujours rêver. Dans une ville endormie, il ne reste que le rêve, qui parfois tourne au cauchemar, et c’est là qu’on se réveille…
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Ville trouée, de par son histoire et sa conception, ville divisée (pour les mêmes raisons, à quoi s’ajoute le souvenir de cette division dans le réel du mur), Berlin aurait pu servir à Sigmund (Freud, pas le chat) de métaphore pour l’écriture de cette refente dans le sujet. Il préférait Rome, dont la structure à base d’empilements successifs et de réutilisation des matériaux, convenait bien à sa vision de l’Inconscient.
On dira quand même que le grand avantage actuel de la capitale germanique tient à ce qu’on y pressent que toutes les places ne sont pas encore prises, et que le désir peut donc y faire son chemin. Berlin est une ville du manque, d’où l’appétit qu’on y entend en matière de création artistique et de « spectacles vivants ». Voilà l’une des raisons du succès de « Jazzdor, Strasbourg – Berlin ». Ajoutez quand même une direction éclairée (Philippe Ochem), toute une équipe autour de lui qui a su trouver les relais et partenaires institutionnels français et allemands idoines, un réseau médiatique (radios, journaux, sites web) bien en place, un lieu formidable (le « Kesselhaus » superbe salle de dimension moyenne située dans la « Kulturbrauerei », c’est à dire littéralement « brasserie de la culture ») (1), et voici pourquoi votre sœur n’est pas muette, soit une belle assistance encore hier soir pour le premier concert, celui du trio « Atlas » de Louis Sclavis.
Mais avant ça, une petite anecdote piétonne. On m’avait signalé dans la Kastanienallee deux boutiques de disques vinyles d’occasion, l’une à gauche au tout début de cette voie, l’autre au bout à droite, deux stations de tram plus loin. En route pour ces lieux de perdition, je croise un homme de haute taille, assez fort, les cheveux abondants et grisonnants, qui me demande dans un anglais parfait si j’avais trouvé mes sandales en cuir de marque « Birkenstock » dans une boutique voisine. Il cherchait les mêmes. Je lui réponds dans une langue voisine mais plus hésitante que non, que je venais de les acheter en France. Nous en restons là, et quelques mètres plus loin je réalise que je venais d’avoir cet intéressant entretienj avec… Tony Malaby.
Donc ça marche, « Strasbourg – Berlin ». Et côté musique on n’a pas été déçu : Benjamin Moussay (p) et Gilles Coronado (g) ont même réussi dans A Road To Karaganda à pousser Louis Sclavis dans une rage et une sauvagerie qui ne lui sont plus si souvent familières. Très bon concert, aussi performant que celui du Mans, supérieur pour certains qui, comme moi, ont assisté aux deux, mais je pense que c’est une question de lieu et de position d’écoute. Au Mans, et quelle que soit l’élégance boisée du dortoir des moines, il faut être dans les premiers rangs, et la salle est en longueur. Ici on peut se placer où l’on veut, la musique vous parvient. Le trio de Stéphane Kerecki avec précisément Tony Malaby (ts, ss) a projeté avec peut-être un rien de désinvolture une musique complexe, d’écriture subtile, qui a moins bien tourné que lors du « Jazz en Luberon » de l’année dernière. A mon sens en tous cas. Quant à « Q » (Sylvain Darrifourcq, batterie, Fanny Lasfargues, basse à cinq cordes et Julien Desprez, guitare), dont j’allais enfin pouvoir écouter en direct la musique, il se confirme que c’est un trio superbe d’engagement et de puissance rythmique. J’ai personnellement un peu de mal avec les sons de guitare en perpétuels accords qui se répercutent en écho, et je préfère les moments bruitistes, ou ceux qui font revenir une forme de rock savant avec un phrasé linéaire classique. Mais c’est juste une réserve… personnelle.
Sans réserve, si vous êtes à Berlin, venez écouter ce soir la rencontre entre Nils Wogram et Bojan Z, le trio Monniot/Chevillon/Vaillant, et le quartet de Hasse Poulsen « We Are All Americans ».
Philippe Méziat
(1) On ferait bien, à Bordeaux par exemple, de s’en inspirer. On pourrait utiliser les chais Descas et les appeler « Lieu de fermentation culturelle ». Ce serait bien sûr un lieu multiple. Façon de faire bisquer Nantes et son « Lieu Unique ». On peut toujours rêver. Dans une ville endormie, il ne reste que le rêve, qui parfois tourne au cauchemar, et c’est là qu’on se réveille…