Jean-Marie Machado dans une forêt de percussions
La complicité entre Machado et Ithursarry est étonnante. Les deux musiciens jouent comme s’ils se connaissaient depuis très longtemps, et en même temps comme s’ils venaient de se rencontrer la veille. Il y a de la télépathie et de la fraîcheur dans leurs échanges. ils ont en commun l’amour de la danse, de la chanson, et celui des chemins buissonniers. Si leur duo fait la part belle au lyrisme, les deux musiciens semblent décidés à ne pas laisser celui-ci se refermer sur eux. Du coup, ils s’évadent. Machado a l’art, insensiblement, de passer du lyrisme à des atmosphères abstraites et oniriques. Ithursarry, à certain moments, prend une note pour l’infléchir jusqu’à la dissonnance. Les deux musiciens aiment se bousculer, sortir des cadres, varier les paramètres. En particulier ils jouent avec le tempo , ce qui relève de la plus haute complicité. Ils ne s’enferment pas dans des rôles rigides (le soliste et l’accompagnateur). C’est plutôt l’un qui passe au premier plan et l’autre légèrement au second, puis l’inverse. Deux thèmes parmi les cinq ou six joués ce soir là sont empruntés au classique, un hommage à Bach (Machado fait entendre dans son chorus de belles évocations-citations du maître) et un autre à Chopin. Deux moments de ce duo m’ont particulièrement marqué : Dans « Broussailles », où les deux musiciens montrent de quel bois ils se chauffent, dans un mano a mano amical mais intense. Et dans le fado qui clôture le concert, cette sublime introduction de Machado, deux notes, puis encore deux notes mais qui vibrent incroyablement dans l’espace, et semblent une condensation du lyrisme du pianiste et de son art du toucher. Après le concert, Didier Ithursarry me raconte en quelques mots les ressorts de cette complicité qui le lie à Jean-Marie Machado: « On joue ensemble depuis dix ans, j’étais déjà sur son disque Fiesta nocturna. Mais le répertoire qu’on joue ce soir est encore neuf. Je crois qu’on a un profil commun: on est à la fois rigoureux et espiègles. on aime par exemple être souple avec le tempo, le casser, puis y revenir. Et puis on partage aussi l’amour de la chanson. A mes débuts, au pays basque, j’ai fait du bal. Puis j’ai féquenté la musique contemporaine… ».
Après l’intimité de ce duo, on passe à toute autre chose. Jean-Marie Machado a réunit sur scène un orchestre composé uniquement de percussions. Tout ce qui se frappe, se frotte, se heurte, se pince, se gratte, se râcle est sur la scène. Nous sommes au paradis des percussions. Il y a là : marimbas, des xylophones, glockenspiel, vibraphone, des cymbales (chaque percussioniste en a une ou plusieurs), des cloches (bambous ou coquillage, ou autres) des bols tibétains, et de multiples tambours. Ces percussions rassemblent peau, bois, métal ce qui donne des mélanges de sons, de timbres, de textures. Dès le premier morceau j’ai l’impression d’être dans une forêt la nuit, avec ses craquements, des frôlements, ses mystères, au moment où le petit peuple invisible des sous-bois sort des nids, des terriers, des souches. C’est un plaisir de se laisser prendre à ce bruissement avec le regret de n’être pas pourvu d’une dizaine d’oreilles supplémentaires comme certains extra terrestres dans de vieux films de série Z.
Jean-marie Machado ne se laisse pas déborder par cette palette incroyable de couleurs. Au contraire, la musique (très écrite) garde un côté organique comme si les percussions n’étaient que des extensions de son piano. Par ailleurs, il a l’art de ménager ses effets et de ne pas utiliser la pleine puissance de son artillerie percussive. Il sait créer de beaux moments d’intimité, comme au début du concert, lorsque le pianiste échange avec la percussioniste Marion Frétigny qui tire de ses bols tibétains un son cristallin d’une pureté inouïe. Vers la fin du concert, un autre dialogue entre Machado et le percussioniste Keyvan Chemirani. Chemirani joue du zarb. Ah, le zarb! Ce n’est pas un tambour, c’est un poème. Quand on sait en jouer comme Chemirani (ou comme Pablo Cueco, autre spécialiste de l’instrument) on peut tout en tirer, le bruit du tonnerre comme le chant de la pluie sur des tuiles d’ardoises. C’est un tambour pour convoquer les esprits. Avec les autres percussions, je n’y crois pas trop, mais avec le zarb, si… Chemirami joue aussi d’une autre percussion, le udu, une bouteille en terre venue d’Afrique dont le son est plus sourd. D’autres moments convoquent toute la puissance des percussions , comme dans Rock, où l’addition de tous les marimbas et xylophone est irrésistible. Après le concert je discute quelques instants avec Machado. Il explique qu’il a effectivement été attentif à ne pas utiliser la pleine puissance de son orchestre: « C’est une leçon que je dois à Stravinski. dans Petruschka,la contebasse n’arrive qu’au bout de cinq minutes. Et cela ouvre tout l’orchestre. Il ne faut surtout pas tout utiliser tout le temps. C’est aussi une leçon de la musique traditionnelle coréenne. parfois, l’un des mecs n’a qu’un seul coup de gong à mettre de tout le morceau. Mais quand il le met, ça prend une résonnance extraordinaire, ça change toute la musiqiue… ».
texte JF Mondot
PHoto Cecil mathieu
Dessin AC Alvoët
(autres dessins www.annie-claire.com)
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Au Perreux (centre des bords de Marne) Jean-Marie Machado a présenté deux programmes musicaux très différents. D’abord en duo avec l’accordéoniste Didier Ithursarry, puis entouré d’une palette de percussions (sur bois, peau ou métal) d’une richesse et d’une diversité étonnantes.
Jean-Marie Machado (piano) et Didier Ithursarry/ Jean-Marie machado et Gisèle David , Marion Frétigny, Christian Hamouy (percussions) et Keyvan Chemirani (zarb, udu, percussions)