Jean-Pierre Marielle : « Surtout, j’allais dans les clubs… »
Le grand acteur décédé hier 24 avril, aimait le jazz. Philippe Carles l’avait croisé en 1992 au festival de jazz de Calvi. Quelques phrases échappées à son interview parue dans le n°418 de Jazz Magazine…
« […] Je lisais des bouquins, les revues, les textes de pochettes, grâce à quoi l’on apprenait beaucoup de choses, […] on se prêtait des disques (on marquait notre nom sur la pochette !), on écoutait les émissions de jazz à la radio, on notait les titres. […] Et surtout, j’allais dans les clubs. Art Blakey au Club Saint-Germain, je me souviens l’avoir entendu, avant de le voir, en descendant l’escalier. Il y avait Hank Mobley, Lee Morgan, Jymie Merritt, Bobby Timmons. C’était magnifique ! J’allais aussi au Vieux Colombier, comme tout le monde, au Blue Note, au Living Room, au Mars Club…
[…] J’ai toujours été attiré par les saxophonistes et les pianistes. Mes grandes émotions, je les ai eues par le son, par la “voix”. La première, ça a été Coleman Hawkins… Puis il y a eu Lester Young, Charlie Parker, Johnny Hodges dans l’orchestre de Duke, et la baryton d’Harry Carney ! Mulligan, je l’ai vu à l’Olympia avec Jon Eardley. C’était tellement construit et, en même temps, il y a avait une espèce de fraîcheur. Je sais qu’on ne le considère pas comme un grand soliste, mais quel compositeur. Evidemment, ce n’est pas Serge Chaloff ou“The Knife” Pepper Adams !
Miles, je suis tombé dessus au début avec Parker. Là, on en revient au son, miraculeux. De même, j’adore toujours Bechet ! Miles, je l’ai suivi jusqu’à “Filles de Kilimanjaro”, “In a Silent Way” que je trouve magnifique. Mais je n’allais pas le voir, je n’en avais pas envie, je ne sais pas pourquoi. C’était peut-être trop protocolaire – J’aime bien découvrir le jazz en traînant, dans les boîtes plutôt qu’en concert, rater plusieurs soirs puis arrive, juste le soir où il “fallait” arriver. C’est ce qui me plaît dans le jazz, le hasard, la musique parfois un peu approximative, mais quand “ça arrive”, c’est vraiment bien.
[…] Je n’ai jamais vu Coltrane, mais j’ai vu Eric Dolphy au Chat qui pêche… Il y a tout un pan du free jazz que j’aime beaucoup – Don Cherry avec Gato Barbieri. Ce sont des disques qui tiennent le coup, comme Pharoah Sanders ! Au Chat, j’ai vu aussi Dexter Gordon, Stan Getz avec René Thomas et Eddy Louiss […] J’adore aussi des petits maîtres comme Hank Mobley, Charlie Rouse, Richie Kamuca […] Aujourd’hui, un des saxes que je préfère, c’est Joe Henderson. […] À New York, j’avais entendu Zoot Sims dans une église. C’était splendide – j’aimais la simplicité de Zoot Sims et Al Cohn, leur humilité : “Nous sommes des musiciens de cabaret, c’est tout.
[…] J’entends dire autour de moi que “le jazz c’est fini”, qu’il n’y a plus d’invention, mais on a toujours dit ça. […] Je connais des femmes qui aiment vraiment le jazz, mais pas comme certains hommes, philatélistes ou numismates à pipe. Elles, elles n’ont pas peur de dire qu’une musique les barbe. C’est plus sain que les “Oui, c’est intéressant” des hommes qui n’osent pas. Je préfère souvent écouter le jazz seul. Il y a trop de gens qui vous disent : “J’aime le jazz” mais, si on les emmène, on s’aperçoit que ça les ennuie. On dirait qu’ils se forcent à l’écouter et à avoir l’air intéressé… parce que c’est culturel.
[…] Le musique de jazz m’a beaucoup plus appris que les professeurs d’art dramatique, et ça m’apprend toujours. La technique d’un acteur se résume à rien du tout : se fait entendre et articuler, le reste se passe à l’intérieur, ou pas du tout. […] La pièce ou le scénario écrit, la mise en scène définie, le reste appartient à l’acteur, comme un musicien seul avec son instrument. […] Comme dans l’orchestre de Duke Ellington : Duke avait beau avoir tout fait, tout organisé, dès qu’Harry Carney commençait de souffler, Duke n’avait plus rien à dire. C’est la toute petite chose que peut avoir un acteur… si c’est un acteur. […] Ce petit moment d’intimité avec la musique, ou avec le personnage, j’en ai pris conscience il n’y a pas longtemps, en fait depuis qu’on me pose des questions et que j’essaie de réfléchir pour y répondre.
Ce soir, 25 avril, à partir de 20h, TSF Jazz rend hommage à Jean-Pierre Marielle et rediffuse un Lundi du Duc enregistré le 4 Octobre 2010 pour la sortie de ses mémoires Le grand n’importe quoi (Calmann Levy).