John Patitucci enchante le conservatoire
Ces mardi 5 et mercredi 6 février, le CNSM de Paris était en fête comme chaque année à même période, un festival qui s’est achevé hier par un concert du contrebassiste John Patitucci avec les étudiants, en un moment exceptionnel de transmission et de partage.
Sous le sigle de CNSM – sigle incomplet, parisianisme oblige, car il existe aussi un CNSM de Lyon –, on désigne le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), dont le monde du jazz à tendance à oublier le D et le P, son intérêt pour l’institution étant suscité par la Classe de jazz que François Jeanneau créa à Paris en 1991, et dont Riccardo Del Fra reprit la direction en 2004, après avoir pris la succession de Jean-François Jenny-Clark comme enseignant pour la contrebasse. On ne cite plus les musiciens qui en sont sortis pour occuper le haut de l’affiche du jeune jazz français, de Manu Codjia à Vincent Peirani en passant par Fred Pallem et Fred Nardin.
Le festival imaginé par Riccardo Del Fra et son équipe de professeurs est l’occasion tant de faire sortir leurs jazzmen en herbe de leurs classes et les faire entendre de leurs camarades et enseignants en musique classique et danse, mais aussi d’ouvrir les portes au public extérieur. Mardi 5, la journée à la quelle nous ne pûmes assister, semble avoir été marquée par une création de Médéric Collignon autour du hip hop dont, à entendre les témoignages, il y a fort à parier qu’elle aura une suite hors des murs de l’école.
Hier, mercredi 6, nous avons fermé les portes de bureau de Jazz Magazine un peu plus tôt que d’habitude pour entendre la restitution d’une master class donnée par le contrebassiste John Patitucci. Restitution qui avait pour ambition d’être un “vrai concert professionnel” comme le précisèrent l’invité et son hôte, Riccardo Del Fra, après une émouvante introduction en duo de contrebasses.
Le complice de Chick Corea et Wayne Shorter se saisit alors de sa contrebasse pour inviter successivement différents effectifs d’étudiants, abandonnant parfois son pupitre à un étudiant, laissé seul ou doublé à la basse électrique, sur un répertoire majoritairement composé de pièces de Wayne Shorter, du fragile House of Jade à l’héroïque Joy Rider en passant par les fleurons du quintette de Miles Davis Masqualero et Water Babies, à quoi s’ajoutèrent Spiritual de John Coltrane, You Must Believe In Spring de Michel Legrand et The Watchman, hommage de Patitucci à son ami Shorter. On en retiendra la décontraction et la générosité du partage d’expérience, dans l’échange verbal avec le public – reflet de ce à quoi dut ressembler cette classe de maître –, comme dans la façon de faire jouer ses étudiants, non pas seulement les bonnes notes, les bons accords et les bonnes mises en place, mais de les entrainer dans sa propre histoire (et dans le vécu de ces thèmes historiques, sans les encourage au mimétisme), de les hisser vers lui, et vers nous, pour ce qui fut effectivement un vrai concert, digne de son dédicataire, Jean-François Jenny-Clark.
On ne citera pas tous ces musiciens, mais j’aimerais en citer quatre… au risque de l’injustice (mais apprendre à affronter l’injustice des médias, fait partie de l’apprentissage du métier), au risque encore de doubler le jury qui sera chargé de les évaluer, avec la compétence qui lui est propre, à l’heure de la distribution des prix, au risque enfin de faire miroiter de fausses promesses de la part d’un rédacteur en chef qui ne leur ouvrira pas pour autant ses colonnes, tant ils sont nombreux à sortir chaque année des écoles du monde entier, avec tous en partage, plus que jamais, ce miroir aux alouettes qu’est la virtuosité. Mais osons citer : Juan Villaroel qui avec le talent déjà remarqué en d’autres occasions assuma à deux reprises la lourde tâche d’endosser le pupitre de contrebassiste en alternance avec le grand Patitucci, Mounir Sefsouf, qui ne fut pas le saxophoniste le plus impressionnant de la soirée mais nous enchanta pas des idées qui avaient quelque chose de shorterien, Yesaï Karapetian qui chaque fois qu’il tint le piano sembla en totale empathie avec le maître de cérémonie et Theo Moutou qui, chaque fois qu’il fut invité sur scène, joua d’une batterie très contemporaine, déjà très personnelle, et néanmoins complice. Franck Bergerot (photos © X. Deher)