KARTET, la liberté au long cours
Kartet, le retour. Après quelques années de silence pendant lesquelles ses membres se sont plongés dans leurs activités respectives, le quartette qui a marqué le jazz hexagonal, et européen, depuis l’orée des années 90, revient en force, à la faveur d’un nouveau disque annoncé pour avril 2022.
KARTET
Guillaume Orti (saxophones alto & soprano), Benoît Delbecq (piano, piano préparé), Hubert Dupont (contrebasse), Samuel Ber (batterie)
Paris, Pan Piper, 12 décembre 2021, 18h
Pour le public comme pour les musiciens, ce sont des retrouvailles. Dans la salle quelques-uns de ceux qui s’étaient émerveillés de la singularité de ce groupe, voici 10, 20…. ou 30 ans ; chroniqueur inclus, évidemment, et qui ne cache pas sa joie d’être là. Le groupe joue le répertoire d’un disque qui vient d’être enregistré, et qui paraîtra le 15 avril sous le label PeeWee !
Par une sorte d’égard qui tend à la délicatesse, le concert commence par une composition du nouveau membre de Kartet : le batteur belge Samuel Ber, tout jeune au regard des trois compères historiques, et pourtant déjà pourvu d’une solide expérience et d’une enviable réputation. S’ils l’ont adoubé, c’est qu’il partage leur goût de l’aventure, une aventure collective qui se joue entre risque et rigueur, précision presque maniaque et folle liberté. Folle précision que ce talent de jouer dans une infinie finesse les cycles les plus vertigineux, ou de caresser ici furtivement le binaire pour le subvertir dans le même geste.
Et la magie du groupe s’installe, se développe, s’emballe et se reflète même, par une sorte d’ironie réflexive, dans un moment de jubilation à se sentir pleinement soi sans en être dupe. Quels que soient les compositeurs (tous les membres du groupe), on trouve des constantes : intervalles distendus, lignes mélodiques sinueuses qui ouvrent des chemins harmoniques inattendus dans une dédale de rythmes entrecroisés…. Et une extrême précision qui prélude presque toujours à des écarts audacieux, tutoiements du gouffre, et vertiges extrêmes, sur le fil. Et puis toujours, tapie dans la mécanique d’un jeu presque radical, une envolée expressive, la source d’un émoi qui se faufile.
Souvent un duo se noue au sein du groupe sur des unissons obstinés tandis qu’un autre duo dialogue, protégé autant que stimulé par cette apparente sécurité qui est aussi un facteur d’effervescence. Ici Guillaume Orti a composé en détournant un chemin harmonique de Bo Van Der Werf, avec qui il partage la scène dans le groupe Octurn. Ailleurs, sur une composition de Benoît Delbecq le saxophoniste, après avoir tiré du soprano des sons de hautbois contrarié, va passer de l’alto au soprano, mesure pour mesure, dans un jeu de timbres où le choix des notes est loin d’être indifférent. Et avant cela, dans une composition intitulée Mordicus, Hubert Dupont a affirmé, soutenu par ses compères, leur désir d’approfondir et d’explorer, toujours plus loin, et avec la même conviction, cette déambulation artistique entamée voici près de 30 ans.
Je me sens incapable de décrire plus avant ce qui m’a enchanté durant ce concert. Rendez-vous en avril pour le nouveau disque, et une série de concerts. Il y aura aussi un avant-goût : le 31 janvier, lors de la ‘PeeWee ! Night’ au Théâtre des Nouveautés, à Paris, Kartet jouera quelques titres de ce nouveau répertoire au cours d’une soirée consacrée aux artistes du label : Sophia Domancich, Simon Goubert, Andy Emler, Patrick Bebey, Biréli Lagrène…. Un peu de patience donc !
Xavier Prévost