Jazz live
Publié le 13 Juin 2023

Kobon pétrit le temps

 

Voici un tout jeune trio avec des jeunes musiciens épatants autour du contrebassiste Etienne Renard, que l’on pouvait découvrir au 38 Riv.

Kobon, Etienne Renard (contrebasse), Clément Merienne (p), Emilian Ducret (dms), 5 juin au 38 riv, rue de Rivoli, 75004 paris

 

Tous les lundis pendant un mois, le 38 Riv a pris l’initiative de donner carte blanche à un jeune musicien, pour lui permettre de développer un ou plusieurs projets. Le contrebassiste Etienne Renard, bénéficiant de cette carte blanche pour le mois de juin, a convié ses jeunes amis de Kobon, pour un trio en dehors des sentiers battus.

L’une des singularités de cette musique est de jouer avec le temps comme avec des balles de caoutchouc. Elle joue, et elle jongle. Car ce groupe aime les superpositions de rythmes, entretenir l’ambiguïté, masquer la pulse, donner des fausses pistes. Ce jeu de cache-cache, les jazzmen l’ont toujours pratiqué (par exemple en jouant à trois temps sur un quatre temps ou inversement) mais ici c’est avec des rythmiques impaires qu’ils accomplissent des prouesses. Quand il explique la démarche du groupe avec ses propres mots, Etienne Renard parle de « sous-débit », de « morphing rythmique », de « masques », et de « polyvitesse ». Le groupe a beaucoup écouté (la musique gnawa, mais aussi Majik Malik, Steve Coleman, Benoît Delbecq) mais aussi beaucoup répété pour parvenir à cette virtuosité collective de groupe.

Bien sûr il y a quelque chose d’abstrait dans ce travail de pétrissage du temps. Mais l’intellectualité de la démarche (à relativiser d’ailleurs, car c’est tout le corps qui est engagé dans cette exploration) est effacée par l’énergie des musiciens qui la rendent ludique et vivante.

Par exemple l’incroyable Clément Merienne, lyrique et possédé à la fois, ou le subtil batteur Emilian Ducret, qui n’a besoin que de quelques inflexions pour changer la couleur de l’atmosphère.

Et bien sûr le contrebassiste lui-même, Etienne Renard, sûreté rythmique, drive puissant, qui observe avec gourmandise ses jeunes collègues casser les vitres et les vases de la maison.

 

Du côté de l’auditeur, en tous cas celui qui écrit ces lignes, on ne comprend pas tout, mais ce n’est pas de très grave. Il suffit de ressentir. Il y a des moments de suspension suivis d’accélérations à tombeau ouvert. L’auditeur a l’impression de flotter sur un nuage, et l’instant d’après de dévaler les chutes du Niagara en canoë (je l’ai fait, pas facile, croyez-moi, j’ai même eu un bleu). Parfois on a l’impression d’une sorte de moonwalk musical.

Après un début tonitruant le groupe laisse entrevoir la diversité d’une palette qui sait s’agrémenter de couleurs lyriques (version parfaite , sur le fil de l’émotion du Silence de Charlie Haden) et d’une approche décomplexée des standards (superbes version du We see de Monk, jouée à l’os, avec l’énergie sidérante du saxophoniste Liam Szymonik).

 

Texte JF Mondot

Dessins : AC Alvoet (peintures, dessins, à découvrir sur son site annie-claire.com)