La Fête de La Buissonne : Arles, Le Mejan, Vendredi 6 Avril
Toute l’équipe technique est là, le fidèle Alain Massonneau prêt à accorder le Steinway, l’ingénieur son Bruno Levée aux manettes et boutons, Etienne aux lumières et bien sûr Gérard de Haro, en présentateur, un rien ému. Le fil conducteur de cette soirée ? Trois concerts d’une énergie remarquable d’autant plus qu’elle est parfaitement maîtrisée, avec un son d’une qualité inouïe, le moins que l’on puisse faire pour le roi de la prise de son.
Jean Marc Foltz ( clarinette, clarinette basse) et Henri-François Caget (percussionniste, batteur, bruitiste) ouvrent les réjouissances. Un duo d’une délicatesse infinie, une musique exquise issue du souffle. Et je me retrouve, plongée au coeur du son comme « force cosmique », à la Minoterie à Marseille en mai 2005, avec le trio Foltz, Oliva, Scelsi, pour Soffio di Scelsi. Avec bien sûr, le « quatrième homme » Gérard de Haro.
Un imaginaire théâtral, une fantaisie poétique : les clarinettes de JM Foltz sont des instruments chanteurs, en harmonie avec le jeu sensible et raffiné du percussionniste coloriste du CSNMD de Lyon.
Une vision fugitive (du nom du label du clarinettiste), une danse du corps, avec ces chuchotements imperceptibles, sans cri, ces bruissements de rêve éveillé, voilà ce que nous propose ce duo si peu académique. Comment qualifier ces miniatures sonores, ces bibelots rares, trois petites pièces subtilement ouvragées dont il n’est pas évident de rendre la magie et la saveur? Parler de travail sur les timbres, les textures n’est pas vain mais banal. Ce sont des Sound flowers, à l’image du « Little Sunflower » de Paul Motian. La salle, silencieuse, retient son souflle elle aussi. Un moment de grâce.
Le Trio Zéphyr (Travelling, label la Buissonne)
www.triozephyr.fr
Delphine Chomel (violin and vocals), Marion Diaques (alto and vocals), Claire Menguy (cello, vocals).
Le trio qui suit continue sur cette lancée, avec ce chant de cordes et de voix qui s’élève, dans la plénitude de la chapelle. Ces voyageuses du son s’inspirent de leur parcours, en train le plus souvent, qu’elles retranscrivent en un carnet de voyage musical, où leurs notes s’agencent en un langage imaginaire, que l’on comprend pourtant, comme dans « Oumana », réminiscence des chants archaïques féminins.
Un folklore vécu, ressenti, transposé « Les trains d’Europe sont à quatre temps, tandis que ceux d’Asie sont à cinq ou sept ans, nous rappelle Blaise Cendrars dans La prose du Transibérien.
Les trois Montpelliéraines signent et persistent avec la Buissonne de Gérard de Haro qui les a soutenues dès leur premier album ( Jours de vent, Sauve tes Ailes).
Le voyage est le but qui n’a rien de touristique évidemment, le chemin emprunté, le temps qui s’étire comme une aile dans « le Souvenir » ou « le Refuge », petite pièce improvisée en 2009 en Syrie et réarrangée ensuite.
Les trois musiciennes traversent la lumière, les paysages, les frontières dans une musique de chambre qui emprunte souvent les voies d’une transe, cyclique, répétitive « Kourgane ».
Une paix intérieure nous envahit.
Open Land Bruno Angelini ( piano, compositions), Régis Huby (violon, violon ténor, effets), Claude Tchamitchian (contrebasse), Edward Perraud (batterie, percussions).
Le dernier concert commence lui aussi dans une retenue méditative (« Perfumes of quietness »). Avec « Tree Song », hommage au pianiste disparu, John Taylor, dont le piano superbe, était délicatement posé et reposé sur le temps musical. Intensité, émotion de ce moment. Austère? Sûrement pas mais puissant et sans pathos. Décidément, cette soirée est non seulement formidable mais d’une impeccable tenue.
Open land porte bien son nom : contrairement à l’album précédent Instant Sharings (2015) qui se composait de pièces ajustées au groupe, il s’agit à présent d’ouvrir à tous un espace de travail propice aux interactions. Le quartet a pris ses marques, à l’évidence, et si l’album est sorti récemment, le groupe a déjà effectué 9 concerts à ce jour, dont 5 en Algérie. Un quartet de leaders aux fortes personnalités qui jamais ne s’affrontent mais savent intelligemment se soutenir et se stimuler dans des échanges pertinents. Ils arrivent à faire entendre ce qui les unit dans une musique libre, évolutive qui réconcilie en un entrelacs de lignes choisies, les frontières des styles. Car les genres n’existent plus pour ces affranchis. Un horizon partagé de tous ces musiciens qui arpentent les mêmes territoires, parlent la même langue, se frottant simplement à des contextes différents dans leurs formations respectives, comme dans l’ensemble orchestral de Régis Huby, Ellipse.
Un très beau piano, fluide, sensible, aux lignes claires, à l’éloquence généreuse ouvre le jeu sur « Indian Imaginary Song ».
Bruno Angelini affirme un style, le sien, d’album en album et il nous livre ce soir quelques pages de son journal intime, avec ses ombres et néanmoins la persistance d’une lumière ténue, comme sur la photo de la pochette.
Régis Huby sait préparer le fond de ses effets, ostinatos profonds, mais s’échappe aussi avec bonheur dans ses envolées solistes. La section rythmique est enveloppante, d’une assurance et ferme maîtrise.
Pourtant, avec l’impétueux Edward Perraud, toujours sur le qui-vive, la surprise surgit et son exaltation contamine les autres. De brusques montées en tension introduisent déséquilibres, ruptures, toute une dynamique qui imprime nuances et réelle poésie à l’ensemble.
Une musique onirique, à l’élégance savante où résonnent les cordes, répétitives, envoûtantes, dans une traversée initiatique. Une sorte de discours sur la lisibilité du temps, spontané et fraternel qui exalte la rencontre et le souvenir. Comme dans le final, suite tripartite « You left and you stay », en souvenir d’un autre ami disparu du pianiste, où les lignes de chant si claires de Claude Tchamitchian saisissent dans une composition fraîche, sans nostalgie qui autorise l’acceptation confiante de ce qui est. Même l’irréversible. Avec lucidité et sérénité.
Le maître de la Buissonne sourit, soulagé. Heureux comme nous tous.
Sophie Chambon