Ladies in Jazz en Drôme Provençale
Pour sa 21ème édition Parfum de Jazz a proposé comme l’an dernier un programme, surprenant à plus d’un titre, dédié à des groupes de jazz dont les leaders sont des jazzwomen.
Des chanteuses bien sûr, car elles sont présentes dans le jazz depuis la naissance de cette musique mais aussi des instrumentistes, arrangeuses et compositrices.
Les visuels de la «com» ont été confiés cette année à Bruno Théry. Exit l’affiche un peu tristounette (et manquant de lisibilité) de la première édition en 2018 de Ladies In Jazz.
B. Théry, est un grand nom du petit monde des affichistes talentueux. En 35 ans il a créé plus de 600 affiches, notamment, entre autres et depuis fort longtemps, pour Jazz à Vienne. Sa proposition pour Parfum de Jazz 2019 «pète» le feu: colorée, iconoclaste. Humour et fantaisie un peu loufoque.
Small is beautiful…
Parfum de jazz est un festival dans lequel la jauge XXXL n’est pas une obsession.
Le modèle économique de Parfum de Jazz permet d’assumer ce choix.
Pas d’infrastructures massives à mettre en place (les concerts ont lieu dans des cours d’école, salles des fêtes, ou sur des places de village). Un minimum de dépenses pour la sécurité. Subventions publiques, mécénats et partenariats avec des sociétés civiles (Spedidam, Adami…), difficilement collectés mais d’un niveau assez correct. Une équipe de bénévoles compétents qui participent aux hébergements et aux «caterings»…
L’équilibre financier, certes précaire, est atteint ici, pour les concerts payants, avec des audiences entre 200 et 400 personnes… Ce qui fut le cas pratiquement pour toutes les soirées.
Il en résulte une atmosphère de sérénité, de tranquillité, de fluidité qu’on rencontre beaucoup moins, pour diverses raisons, dans les «grands» festivals hexagonaux.
Deux types de concerts cohabitent à Parfum de Jazz: 21 concerts gratuits dénommés « Jazz au Village » (la plupart dans l’après midi et en de très beaux lieux) et 12 concerts payants en soirée. Le tout «irriguant» petits villages et grosses bourgades de la belle et attractive Drôme provençale et tricastine.
La belle place du marché de Buis les Baronnies
Les concerts gratuits
Les «petits» concerts gratuits ont permis de découvrir (ou de redécouvrir) 5 groupes majoritairement rhône-alpins.
Seul groupe venu d’«ailleurs» (de Paris…): le Elsa F. Quartet (Maeva Grunwald-Rodes -b-, Nicolas Almosni -acc-, Robin Barbier-Marie -g-, Elsa Favier -voc-). Quatre musiciens qui reprennent des chansons françaises, des valses, et des standards.
Elsa Favier scatte d’une voix ferme sur un répertoire étonnant: De dame et d’homme (Marc Perrone/André Minvielle), Barcelone (Alain Goraguer/Boris Vian)… Surprise, Eric Barret (ts) vient jouer quelques morceaux avec le quartet… Pas très étonnant en fait: Eric est le professeur de plusieurs membres du groupe! Sur La valse des fleurs fanées une valse à cinq temps et sur Chez moi (thème de 1935!immortalisé par Clifford Brown en 1953 puis par Blossom Dearies…). Eric montre qu’il est toujours un des grands saxophonistes ténors de la scène jazz française. Alain Brunet les rejoint pour un scat qui se transforme en joute avec Éric Barret. Indifférence de Tony Murena , Egyptian fantasy (S. Bechet), Dans ma vie toujours (M. Legrand) et quelques autres thèmes précèdent un incroyable Tango stupéfiant (chanson réaliste des années 30 popularisée par Marie Lebas). Gaieté, grâce, élégance, spontanéité: évocation joyeuse de l’époque où jazz et musette étaient «en ménage»… Elsa F. quartet une révélation au fort potentiel.
L’an dernier Elsa Favier avait participé à une Table Ronde sur «Les femmes dans le jazz». Chercheuse en Sciences Humaines elle a travaillé sur «les femmes dans la haute fonction publique en France». Dans son intervention de 2018 elle avait montré que de nombreuses similitudes existaient dans les mécanismes de ségrégation dans ces 2 univers que l’on pourrait considérer à priori comme fort différents.
Les 4 groupes «rhône-alpins» jouèrent beaucoup (20 concerts) sur les places des 12 «sites» où se déroulait le festival. Gros succès pour le Duo Jöak, Bloom Quartet, Lise Bouvier Quartet et Suzy & Kho, d’autant plus que leurs prestations accueillirent de nombreux bœufs spectaculaires avec, entre autres Pascal Bouterin (dr), «Baby» Clavel (le Charlie Parker grenoblois), Line Kruse (violon) et Alain Brunet (tp, sifflet et… scat). A. Brunet, infatigable: programmateur, présentateur et Président du festival a participé pendant ce festival à un bonne quinzaine de bœufs!
Les concerts du soir
Mercredi 14 Août (Buis les Baronnies)
Line Kruse Septet
Line Kruse (leader et vl), Jesper Riis (tp, bugle), Denis Leloup (tb), Pierre Bertrand (ss, ts,fl), Jean-Yves Jung (p), Gilles Coquard (elb), Francis Arnaud (dr).
Line Kruse est danoise (et fort élégante). Diplômée de l’Académie Royale de Musique de Copenhague, violoniste, compositrice et arrangeuse, Line Kruse ne «fréquente» pas que la scène du jazz dit actuel. Elle est aussi très attirée par les musiques d’Amérique du Sud en général (une de ses compos s’intitule Tango Danois!). Line a longtemps participé au Gotan Project et elle joue souvent avec le flamboyant et explosif Minino Garay, annoncé ici… mais absent!
Ses musiciens sont tous des pointures mais une mention spéciale doit être décernée à son compatriote le trompettiste et bugliste danois Jespers Riis, qui fut superbe de musicalité, d’originalité, d’inventivité et de sensibilité pour chacun de ses chorus.
Line et Jespers
Les compositions et arrangements de L. Kruse, très élaborés, sont assez complexes et «tirés au cordeau». Son sextet lui «obéit» au doigt et à l’oeil, reflet d’une «longue et studieuse répétition» ayant eu lieu… la veille (confidence d’un des membres du sextet).
Pour son premier set elle joua, un peu tendue, plus à la Jean Luc Ponty qu’à la Stéphane Grappelli…
Le second set fut plus «relax». Avec, entre autres, une version «funky/swing» de Fascinating Rhythm de Gershwin. Quelques belles interventions aussi en pizzicato…
Line Kruse est de toute évidence à la croisée de plusieurs cultures, mais avec une manière toute personnelle d’écrire ou d’arranger. Elle maîtrise vraiment son projet.
Globalement son concert fut de très grande qualité et bénéficia d’un accueil enthousiaste du public.
Pourtant, un peu comme en Espagne où lors d’un concert de jazz moderne, un spectateur a appelé la Guardia Civil pour faire arrêter un concert car ce n’était pas du jazz authentique!, ici, un spectateur a envoyé un mail incendiaire aux organisateurs pour demander à être remboursé car justement le concert n’était pas du «vrai» jazz! Pascal Derathé du site Jazz-Rhône-Alpes a publié sur son média ce mail. Mais charitable il n’a pas donné l’identité de l’expéditeur.
Ci dessous, la «prose» du mécontent, fautes d’orthographe comprises:
« Bonjour,
Je sors tout juste du concert de ce jeudi 15 aout. J’ai payé 3 place pour voir la fameuse musicienne jouer du Jazz avec sa bande. Pas pour écouter du tango argentin… Je ne doute pas du talent de la meneuse ou même de ses musiciens, mais le sujet du concert n’était pas approprié pour moi, nous avons eu droit qu’à 2 véritable morceaux de jazz classique et peut être 1 morceau encore… Tout le reste relevé de l’expérimental pour mélomanes affirmés, et encore … Je vous demande donc dans le olus grand respect pour votre travail, un remboursement des places qui est certe un peu adrupt mais tout à fait légitime parce que… Bah c’était pas du vrai Jazz quoi !».
En tous cas, force est de le constater, il reste donc quelques «vrais» dinosaures panassiéistes… Très rares, heureusement…
Jeudi 15 Août (Buis les Baronnies)
Cécile McLorin Salvant (voc), Sullivan Fortner(p) et Jean-François Bonnel (cl) invité «surprise» sur 3 morceaux.
Ce concert de Cécile McLorin Salvant a inspiré notre confrère Didier Pennequin.
Nous lui empruntons quelques lignes d’un article à la belle tonalité lyrique publié sur le site Couleurs Jazz.
« Parlez-moi d’amour
Le jazz est vecteur d’amour. Pour cela, il suffit d’écouter et surtout de voir la prestation offerte par la chanteuse – multi récompensée aux Grammy Awards – Cécile McLorin Salvant et son pianiste Sullivan Fortner.
Tout dans leurs regards, dans le choix de leur répertoire – dans lequel la chanson française existentialiste (Damia, Ferré/Aragon, Juliette Gréco) tient une place immense – dans leur attitude, leurs gestes respire plus que de la connivence ou de la complicité. De l’amour et de la tendresse tout simplement ! Partagés avec un public absolument conquis ! (la jauge de la scène de La Palun était pleine !)
Si la Diva alterne standards, Speak Low, Jeepers Creepers, etc. et chanson française à texte, le tout magnifiquement soutenu par un pianiste fortement inspiré par Earl Hines qui sait être élégant, délicat et éloquent dans l’habillage harmonique et mélodique, la question pourrait se poser : est-ce que Cécile McLorin Salvant est une chanteuse de jazz existentialiste ou une chanteuse existentialiste de jazz ?
Une chose est évidente : en duo amoureux, elle sait faire exister ces deux écoles.»
Mais le débat évoqué supra à propos du concert de Line Kruse («vrai» jazz ou pas?) est revenu sur le tapis à propos de la prestation de Cecil McLorin…
Philippe Chassang, un fidèle de Parfum de Jazz, généralement fort enthousiaste, n’a pas apprécié le duo ce soir là.
Son opinion me paraît minoritaire car Cecil a été gratifiée d’une belle standing ovation et de 3 rappels (dont un, incroyable, sur une nocturne de Chopin a cappella… telle une diva du lyrique en récital solo).
Sur son blog (qu’il publie quotidiennement) Philippe dit sa «cruelle déception» de manière argumentée et… sensible. Son texte fort documenté me paraît mériter d’être lu… Alors voilà:
« Quelle joie d’accueillir Cécile McLorin Salvant dont nous avons eu le plaisir de suivre le parcours depuis bientôt une décennie et de voir à quel point la Diva qu’elle est devenue, couverte de lauriers ( 2010 prix Thelonious Monk de jazz vocal, 2014 Nomination aux Grammy Awards pour l’album « Woman Child », 2015 chanteuse de l’année, 2016 meilleur album aux Grammy Awards pour « For one to love », 2017 prix Django Reinhardt, 2018 Victoire du Jazz, 2018 meilleur album aux Grammy Awards pour « Dream and Draggers », 2019 Grammy Awards du meilleur album pour « the Window ») peut nous éblouir à nouveau.
Voyage au bout de l’ennui …
Cruelle déception: malgré un talent fabuleux incontestable, des capacités vocales hors du commun, passant d’un grave chaleureux à la Sarah Vaughan, à des aigus à la Bessie Smith ou à la Billie Hollyday, une puissance émotionnelle évidente à chaque morceau, une forme de transcendance dans la mélancolie, une présence adorable et une gentillesse communicative, un sourire complice et enjôleur, malgré cette somme considérable de qualités, la prestation monotone de ce soir a fini par provoquer une forme d’ennui.
Chaque morceau, individuellement, recelait des merveilles musicales, de nostalgie, de clins d’œils, mais l’ensemble, mis bout à bout, donnait un arrière goût étrange : uniquement des morceaux aux tempos lents, trop lents, certes parfois relevés par quelques facéties pianistiques de Sullivan Fortner, manifestement digne continuateur d’Earl Hines, avec quasi exclusivement des pièces très anciennes (poignantes versions de «J‘ai vu tes yeux» et «J’ai le cafard» de Damia, typiques des chansons «réalistes» des années trente, excellent «Nobody in Town Can Bake a Sweet Jelly Roll Like Mine» de Bessie Smith, «Jeepers , Creepers» écrite en 1938 par Johnny Mercer, émouvant «Est-ce ainsi que les hommes vivent ?» de Léo Ferré sur un poème d’Aragon de 1956, «Body and Soul» de 1930, «Speak low when you speak love», composé par Kurt Weill en 1943) ou des compositions personnelles du même tonneau, au style éternellement plaintif, langoureux, affecté, languissant et élégiaque … Comme si ce concert avait pu avoir lieu soixante ans en arrière, comme si Parker, Coltrane et d’autres piliers du Jazz n’avaient rien bouleversé …
Autant ce type de projet épuré, minutieux, risqué et exigeant est sincèrement fabuleux sur disque, autant en concert, surtout en plein air, en festival d’été, une certaine variété, une forme de diversité, une non linéarité discursive, un travail sur les nuances et les contrastes entre chaque pièce, un crescendo vers le final, une énergie enthousiaste, pourraient permettre de créer une ambiance propice à l’adhésion totale de tous les spectateurs et éviter cette overdose de spleen.
Hélas, grand hélas, ce ne fut pas le cas, et c’est d’autant regrettable, que l’artiste a, nous en sommes foncièrement persuadés, des possibilités absolument inouïes».(Extrait du blog de Philippe Chassang).
A la fin du programme qu’elle avait préparé, Cécile, avec émotion et reconnaissance, a évoqué ses débuts au Conservatoire d’Aix en Provence et dit avec des mots simples, la chance qu’elle a eu de trouver sur son chemin le responsable de la classe de jazz, qui a cru en elle et l’a encouragée. Ce professeur, Jean-François Bonnel, était dans le public. Il est monté sur scène et visiblement très ému, lui aussi, a accompagné à la clarinette, le duo pour 3 morceaux.
Pour ma part, pour des raisons très particulières que je vais donner infra, j’ai «pillé» mes confrères sans oser écrire quelques lignes personnelles.
Alors voilà… il y a dix ans je faisais partie du jury du Concours de Crest Jazz Vocal. Cecil McLorin était candidate. Je me souviens de sa prestation. Son professeur (Jean-François Bonnel) au Conservatoire d’Aix en Provence, était à ses côtés à la clarinette.
Et… Cecil ne remporta pas le concours!
Le jury, unanimement, avait souligné, lors de la proclamation du palmarès, le potentiel éclatant de Cecil mais avait jugé que sa prestation ce jour là n’était pas à la hauteur de ses immenses possibilités (choix des morceaux discutables et rythmique qui l’accompagnait pas très au point…).
Quelques temps plus tard elle obtenait à New York le prestigieux Prix Thelonious Monk…
Lors d’un Jazz à Vienne où elle avait triomphé on avait évoqué ensemble cet étonnant «épisode» de son tout début de carrière…
J’étais un peu penaud…
Mais elle avait ri…
Pas rancunière Cecil.
Il faut dire que depuis, bardée de prix, de récompenses et de succès triomphaux lors de ses nombreux concerts à travers le monde, son échec, tout relatif, lors du Tremplin de Crest Jazz Vocal doit lui sembler bien dérisoire…
Vendredi 16 Août (Buis les Baronnies)
RITA PAYÉS QUINTET
(ESPAGNE-FRANCE)
Rita Payés (tb, voc), Fabien Mary (tp), Vincent Bourgeyx (p), Fabien Marcoz (b), Stéphane Chandelier (dr).
La toute jeune catalane (elle n’a pas encore 20 ans) Rita Payés, fille de musiciens, est une des découvertes de cette édition de Parfum de Jazz.
C’est le contrebassiste catalan Juan Chamoro qui, après avoir révélé la trompettiste Andrea Motis, a donné sa chance à Rita…
Une nouvelle découverte de l’école dite de Barcelone?
Après avoir débuté au piano elle a adopté très vite le trombone et tout récemment elle a décidé aussi de chanter. Déjà, deux CD publiés sous son nom…
Elle était accompagnée à Buis les Baronnies par un quartet de solides jazzmen français.
Compte tenu du fait que ce quintet a peu de concerts au compteur il fit preuve d’une étonnante (et allègre) cohésion.
Répertoire varié et rafraichissant. Entre autres :
«Someone to watch» (de George et Ira Gerschwin que Sting a enregistré!), «Bittersweet», «Desafinado», «Day by Day» (qu’enregistra Frank Sinatra), «I‘m old fashioned» (tiens tiens… un message adressé au public par cette jeune fille ?), «Shiny Stockings» (de Frank Foster dans une version très «countbasienne»), «Well you needn’t» (une des compositions culte de Thelonious Monk, pas si souvent jouée par les temps qui courent) et, en rappel «Cedar’s Blues» (Cedar Walton).
Rita dirige calmement et sereinement ses sidemen, qui ont tous au moins une bonne vingtaine d’années de plus qu’elle. Tous ont droit à des solos morceaux de bravoure sur les standards, comme dans la grande tradition des concerts bop. Ambiance très «west coast» sur quelques thèmes exposés à l’unisson trompette/trombone.
Mention spéciale pour Fabien Mary notre Clifford Brown à nous. Remarquable: technique brillante et impeccable, jamais gratuite ni ostentatoire, constante musicalité, discours maîtrisé. Grande élégance à tous points de vue… Ce quadragénaire est aussi un play-boy: grand, mince, costard noir bien coupé de «bopper» (à la Miles des 50′). Il évoque backstage, en souriant mais avec un brin d’amertume quand même, le fait qu’il est souvent arrivé second pour l’obtention du Prix Django Reinhardt décerné par l’Académie du Jazz. Je lui dis que je pense me souvenir qu’il faut avoir moins de 45 ans pour l’obtenir. «Alors je peux encore espérer pendant 4 ans!» rétorque t-il en riant.
Samedi 17 Août (Buis les Baronnies)
Ellinoa et le Wanderlust Orchestra
Ellinoa (voix, compositions, arrangements, direction et glockenspiel), Sophie Rodriguez (fl), Balthazar Naturel (hautbois, cor Anglais), Illyes Ferfera (as), Pierre Bernier(ts,ss), Luca Spiler(tb), Adélie Carrage, Anne Darrieumerlou, Hermine Péré-Lahaille (vln), Juliette Serad (cello), Matthis Pascaud (g), Richard Poher (p), Arthur Henn (b), Gabriel Westphal (dr), Léo Danais (perc).
La Spedidam (Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes Interprètes) labellise des festivals et des artistes.
Parfum de Jazz et Ellinoa et le Wanderlust Orchestra ont été labellisés pour la période 2018-2021.
Festivals et orchestres soutenus par cet organisme bénéficient d’aides multiformes. Et notamment un dispositif d’accompagnement des initiatives artistiques innovantes.
Comme cet assez ébouriffant projet Ellinoa et le Wanderlust Orchestra.
Elliona est le pseudonyme de Camille Durand une belle trentenaire au CV atypique. Après des études brillantes de Sciences Politiques, Elliona a entrepris (et mené à terme) plusieurs cursus d’études musicales. Variés (chant, jazz, écriture, improvisation…) et de haut niveau.
En 2018, après moult projets très éclectiques développés depuis 2015, elle a enregistré le premier album de Wanderlust.
A Parfum de Jazz elle est venue avec ses 13 musiciens. Un big band, numériquement parlant, mais fort différent de la composition habituelle des grands orchestres de jazz!
Pas étonnant d’ailleurs car son projet est vraiment hors-normes. A tous points de vue.
Cordes, bois, cuivres, section rythmique décapante, et une voix, dépourvue de paroles : ce n’est pas elle qui raconte mais l’orchestre tout entier. De cet impressionnant canevas surgissent les improvisations débridées de chaque instrument dont l’envol est soutenu par la puissance de l’orchestre.
Chaque morceau de Wanderlust est la mise en musique d’un mot intraduisible d’une langue différente. Avec sa belle voix Elliona nous présente ces mystérieux vocables en nous indiquant à quels «climats» musicaux ils correspondent. Comme par exemple, Waldeinsamkeit («la profonde quiétude que ressent le promeneur en forêt»), Mångata («le reflet de la lune sur l’eau, comme une route qui s’étend dans la nuit»), Goya («se retrouver pris dans une histoire à tel point qu’on ne sait plus dissocier fiction et réalité»), Komorebi (« les éclats de soleil perçant entre les feuilles des arbres »), Iktsuarpok (« ne pas réussir à tenir en place quand on sait que quelqu’un va arriver»)…
Etonnant non? Le plus étonnant étant qu’on se laisse vraiment et totalement «embarquer» dans les univers oniriques de la compositrice, pourtant vraiment inhabituels. Univers «racontés» par un jazz orchestral aventurier: pièces mouvantes, tantôt gracieuses et poétiques, tantôt explosives, mais toujours étincelantes … et qui laissent la sensation d’avoir participé à un grand voyage faits de multiples explorations musicales.
Pour tout dire un choc…
A vos agendas: Illiona sera au Pan Piper à Paris le 7 octobre.
And now… une petite séquence émotion très personnelle.
Je fus enseignant en coopération culturelle en Algérie de 1970 à 1973, parmi mes meilleurs étudiants: FERFERA Mohamed Yassine, qui est devenu quelques années plus tard Directeur du plus important Centre de Recherches en Sciences Economiques d’Algérie. Et, ici à Buis, belle surprise: au pupitre du Wanderlust, au saxophone alto, brillant, vif et incisif, son fils Illyes.
Illyes est bardé de diplômes musicaux et participe (ou a participé) depuis quelques années à de très nombreux projets en jazz et musique du monde. Comme par exemple avec le « vocalchimiste » André Minvielle ou avec Gabacho Maroc , mais aussi, entre autres, avec Laurent Coulondre… Un jeune homme à suivre.
De près.
Mardi 20 Août (La Garde-Adhémar)
Sophie Alour Quintet Exils
Sophie Alour (ts, fl, choeurs), Mohamed Abozekri (oud, voc), Damien Argentieri (p), Philippe Aerts (b), Donald Kontomanou (dr).
Le CV de Sophie Alour, la quarantaine épanouie, est impressionnant: six albums (bientôt un septième), moult récompenses, participation à de nombreuses expériences et projets de haut niveau, en petite formation comme en big band.
Avec Rhoda Scott depuis 2004 dans le («tiens tiens»…) Lady Quartet et le Ladies All Stars.
On comprend donc que, fort légitimement, elle déclare au journal Le Monde : «Je ne veux en rien devoir ma réussite au fait d’être une femme». Cette belle et forte parole est le titre d’un article publié dans une page du quotidien de référence (selon l’expression consacrée) entièrement consacré à Sophie et à Parfum de Jazz.
Une page entière dans Le Monde (plus une accroche en une)!
Vous pouvez imaginer sans peine la satisfaction du Président Brunet et d’Hélène Lifar, l’attachée de presse de Parfum de Jazz.
Dans la cour de la Mairie de La Garde-Adhémar, Sophie Alour présentait son nouveau projet (déjà joué à Coutances): Exils.
Le quintet pendant la balance
Le mistral s’était «levé» (comme on dit),en fin d’après-midi entrainant une chute brutale de la température (la veille on étouffait!). Bien que frigorifiés (doudounes, parkas et protections de fortunes étaient de sortie) les nombreux spectateurs présents ont plébiscité le concert.
Le programme Exil intégralement composé par Sophie, est né de sa rencontre avec l’oudiste égyptien Mohamed Abozekry. Les compos originales forment une suite dédiée aux voyages: Exil, La Chaussée des géants, Songe en forme de palmier, Les heures paresseuses, Fleurette égyptienne, Des lendemains qui chantent, Sur les toits du monde.
Du Caire à l’Irlande belles balades, ponctuées de belles ballades (Sophie excelle dans les tempos lents)…
Exils: un projet ambitieux totalement maîtrisé où chaque musicien bénéficie d’une (ou de) longue(s) plage(s) en solo(s) s’appuyant sur des compositions supérieurement agencées, ménageant espaces et initiatives.
Une évidente gaieté circule pendant tout le concert.
Tous les membres du quintet se révèlent solistes passionnants et inventifs mais la révélation incontestable du quintet est le joueur d’oud Mohamed Abozekry. Abozekri se démarque nettement et avec talent de l’image souvent trop orientalisante et folklorique des usages habituels de l’oud dans les univers jazzy.
Il joue avec une attaque et un phrasé de guitariste. Chorusant avec un son net et puissant (réglages parfaits des capteurs de son instrument).
Samedi 24 Août (Saint-Paul-Trois-Châteaux)
Hommage à Michel Legrand
Anne Ducros et Charito (voc), Alain Mayeras (p), Pierre Boussaguet (b), Sylvain Boeuf (ts), Alain Brunet (tp, scat, présentation).
Belle idée pour le dernier concert de Ladies in Jazz: un hommage rendu par deux ladies du jazz à Michel Legrand (1932-2019) compositeur de centaines de mélodies, souvent dédiées à des chanteuses.
Beaucoup de monde sur la superbe place Castellane: partenaires, notables et grand public (touristes et autochtones).
La scène avait été judicieusement orientée pour que la belle cathédrale de la commune, artistiquement éclairée, serve de toile de fond.
C’est Alain Brunet qui avait imaginé et organisé dans les moindres détails ce concert hommage.
Pour des enregistrements et/ou des concerts (en trio, quintet, big band), pratiquement tous les protagonistes de cette création avaient joué avec le «maître» à différents moments de sa carrière.
Mention spéciale à Pierre Boussaguet qui fut le contrebassiste «titulaire» de M. Legrand pendant les 10 dernières années de sa carrière. Pierre était à ses côtés pour son tout dernier concert à Paris à la Philarmonie.
Pierre Boussaguet et Alain Brunet
Deux répétitions seulement pour ce groupe «éphémère» pour choisir les morceaux et caler les interventions de chacun.
Répétition … bonnes vibrations apparemment
Et… à l’arrivée, un concert triomphal.
Salut final avec au fond… la cathédrale
Anne Ducros très en verve montra une aisance ébouriffante aussi bien sur l’exposé des thèmes (en anglais comme en français) que lors de ses chorus scattés avec folie et virtuosité. La rythmique (qui n’existait donc que depuis 48 heures!) tournait comme une horloge suisse: précise et swingante. Sylvain Boeuf, un des tous meilleurs saxophonistes français, au CV premium, invité de dernière minute de cette création, se révéla, comme toujours, soliste au lyrisme maîtrisé, impressionnant de puissance, de précision rythmique et de groove.
Le concert était ponctué, avec Alain Brunet en Master of Ceremony («MC»), par des extraits d’interviews de M. Legrand qu’A. Brunet avait sélectionné et qu’il diffusait entre les morceaux.
Alain Brunet, « au four et au moulin » pendant tout le festival…
Les musiciens qui avaient accompagné M. Legrand racontèrent aussi quelques anecdotes drôles, truculentes et émouvantes sur le maestro disparu.
Trois rappels et scat à volonté pour finir, A. Brunet ayant «dégainé» son bugle.
Belle finale, du cotés des concerts, pour cette édition réussie de Parfum de jazz/Ladies in Jazz.
Conférences et expositions
Il y avait aussi à Parfum de Jazz des expositions et des conférences.
Comme l’an dernier André « Moustac » Henrot avait sélectionné quelques uns de ses meilleurs clichés de… jazzwomen!
L’affiche de l’expo de « Moustac »
Pascal Bouterin, batteur du groupe Akpé Motion, est aussi peintre. Il fut le seul à ne pas se plier à la règle du «tout ladies». Il exposa des tableaux à dominante bleue… Pour le 60ème anniversaire de la sortie de Kind of Blue il était donc bien quand même quelque part (un peu), «in the mood» du festival!
Cinq conférences étaient programmées. Elles se déroulèrent devant de belles audiences, très motivées.
Sarah Brault de l’Université de Toulouse, exposa dans une première conférence ses analyses passionnantes (appuyées sur de nombreuses données quantitatives) sur le thème: «Pourquoi si peu de femmes jouent-elles du jazz?». Son travail était centré sur la scène jazz française actuelle.
Lors d’une deuxième conférence elle présenta un panorama étonnant de «Ces femmes musiciennes trop peu connues».
Jean-Paul Boutellier, le fondateur de Jazz à Vienne, érudit exceptionnel, a projeté de nombreuses vidéos incroyables et fort rares. Sa conférence sur Les grands orchestres féminins de jazz démontra que dans les années 30, 40 et 50 l’univers du jazz fourmillait de jazzwomen talentueuses de très haut niveau. Pour sa présentation des «Femmes pianistes», si quelques ladies étaient connues des jazzfans présents, il nous fit découvrir des instrumentistes de haut niveau que seuls quelques spécialistes fort pointus connaissaient.
Finalement entre les conférences de Sarah Braud et de Jean-Paul Bouteiller on a découvert un véritable «fossé»… Les USA des années d’avant-guerre et la France d’aujourd’hui : vraiment rien à voir! Une belle occasion de débattre… Les amateurs de jazz adorent ça…
Pierre-Henri Ardonceau