Larry Ochs et Gerald Cleaver sonnent dans le creux
Les surréalistes avaient trouvé cette impeccable définition du rocher : une grotte retournée comme un gant. L’association toulousaine “Un pavé dans le jazz” l’a prise à son compte en transformant une grotte impressionnante de l’Ariège en abri pour un concert mémorable.
Cavern Project : Larry Ochs (ts, ss), Gerald Cleaver (dm). Grotte du Mas d’Azil, 2 octobre 2016.
Le lieu tout d’abord : un tunnel long de 500 mètres creusé au fil des ères préhistoriques par une rivière obstinée. L’Arize a tissé dans le calcaire un réseau de chambres et de galeries qu’ont occupées des hommes, des femmes et des animaux il y a bien plus de dix mille ans. Aujourd’hui, cet immense espace qui pourrait avaler une cathédrale est aménagé : escaliers, rambardes, éclairage permettent de passer de la Galerie des ours à celle des silex, du pont du Diable au Temple. C’est là que Larry Ochs et Gerald Cleaver ont dialogué autant entre eux qu’avec l’aube glacée de notre histoire. Ce qui a pourtant le plus frappé le saxophoniste, c’est moins la persistance fantomatique de nos ancêtres antédiluviens que le son répercuté par les parois labyrinthiques de la grotte : pas de résonance, pas de réverbération ni d’écho. Au contraire une matité – pour ne pas dire une matière – que le musicien a commencé par sculpter par à-coups sonores, de l’extrême grave au suraigu, d’harmoniques maîtrisés en souffles prolongés (c’est son vocabulaire), comme l’Arize a dû faire son lit et son nid dans la roche au fur et à mesure des temps d’avant l’humanité. Gerald Cleaver, à peaux feutrées, à cymbales délicates, a joué comme s’il ne fallait pas réveiller la pierre tout en assurant un martèlement discret, quelque chose comme l’ancêtre du rythme. Et puis, à 19 h 55 très précisément, Larry Ochs a joué mélodique. Et tous les cailloux qui jonchaient le sol de la grotte se sont réunis en un seul pour la combler, je veux dire la musique s’est mise à remplir tout l’espace. Non qu’il y ait eu un chant particulier, ce qu’on appelle un thème, mais ce qui était sons épars est devenu fil où accrocher l’attention, pourtant fait des mêmes ingrédients : graves, flûtés, harmoniques, etc. Et Cleaver je ne dirai pas a emboîté le pas, mais l’a soutenu, dans toutes ses variances, ses inflexions, ses détours et ses retours. Et la dame d’un certain âge, à côté de moi, j’ai vu son pied basketté battre feutreusement le rythme, enfin, un rythme, puis un autre, puis un autre… Pour un peu, les chauve-souris qui sillonnaient la voûte pierreuse se seraient mises à danser !
La défense d’applaudir a été levée, la peur d’un improbable écroulement a modéré l’enthousiasme de la centaine de personnes ayant fait le déplacement pour écouter ce duo à hauts risques, complété pour un genre de rappel par l’aventureux Rob Mazurek au cornet et le grave Mathieu Sourisseau à la basse, l’un et l’autre échappés d’une non moins aventureuse tournée de The Bridge partie de Toulouse pour arriver à Brest le 15 octobre prochain, après Albi, Dijon, Lyon, Pantin, etc. (renseignements : www.acrossthebridges.org). Rassurez-vous, il y aura trace, l’an prochain, de ce moment inoubliable, grâce à Michel Dorbon et à son label RogueArt. Avec quelques échos d’un enregistrement réalisé la veille dans une grotte privée (mais Ludovic Florin rapportera plus en détail ces événements ultérieurement pour Jazz Magazine). Interrogé sur ce qu’il avait éprouvé à jouer dans ces lieux-là, Gerald Cleaver a répondu, avec la triple simplicité de l’évidence : « Je me suis senti humble, j’ai joué avec les esprits, et je me suis dit que peut-être au moment de mourir c’est l’image de cette grotte qui surgira ».
Photos Ludovic Florin|Les surréalistes avaient trouvé cette impeccable définition du rocher : une grotte retournée comme un gant. L’association toulousaine “Un pavé dans le jazz” l’a prise à son compte en transformant une grotte impressionnante de l’Ariège en abri pour un concert mémorable.
Cavern Project : Larry Ochs (ts, ss), Gerald Cleaver (dm). Grotte du Mas d’Azil, 2 octobre 2016.
Le lieu tout d’abord : un tunnel long de 500 mètres creusé au fil des ères préhistoriques par une rivière obstinée. L’Arize a tissé dans le calcaire un réseau de chambres et de galeries qu’ont occupées des hommes, des femmes et des animaux il y a bien plus de dix mille ans. Aujourd’hui, cet immense espace qui pourrait avaler une cathédrale est aménagé : escaliers, rambardes, éclairage permettent de passer de la Galerie des ours à celle des silex, du pont du Diable au Temple. C’est là que Larry Ochs et Gerald Cleaver ont dialogué autant entre eux qu’avec l’aube glacée de notre histoire. Ce qui a pourtant le plus frappé le saxophoniste, c’est moins la persistance fantomatique de nos ancêtres antédiluviens que le son répercuté par les parois labyrinthiques de la grotte : pas de résonance, pas de réverbération ni d’écho. Au contraire une matité – pour ne pas dire une matière – que le musicien a commencé par sculpter par à-coups sonores, de l’extrême grave au suraigu, d’harmoniques maîtrisés en souffles prolongés (c’est son vocabulaire), comme l’Arize a dû faire son lit et son nid dans la roche au fur et à mesure des temps d’avant l’humanité. Gerald Cleaver, à peaux feutrées, à cymbales délicates, a joué comme s’il ne fallait pas réveiller la pierre tout en assurant un martèlement discret, quelque chose comme l’ancêtre du rythme. Et puis, à 19 h 55 très précisément, Larry Ochs a joué mélodique. Et tous les cailloux qui jonchaient le sol de la grotte se sont réunis en un seul pour la combler, je veux dire la musique s’est mise à remplir tout l’espace. Non qu’il y ait eu un chant particulier, ce qu’on appelle un thème, mais ce qui était sons épars est devenu fil où accrocher l’attention, pourtant fait des mêmes ingrédients : graves, flûtés, harmoniques, etc. Et Cleaver je ne dirai pas a emboîté le pas, mais l’a soutenu, dans toutes ses variances, ses inflexions, ses détours et ses retours. Et la dame d’un certain âge, à côté de moi, j’ai vu son pied basketté battre feutreusement le rythme, enfin, un rythme, puis un autre, puis un autre… Pour un peu, les chauve-souris qui sillonnaient la voûte pierreuse se seraient mises à danser !
La défense d’applaudir a été levée, la peur d’un improbable écroulement a modéré l’enthousiasme de la centaine de personnes ayant fait le déplacement pour écouter ce duo à hauts risques, complété pour un genre de rappel par l’aventureux Rob Mazurek au cornet et le grave Mathieu Sourisseau à la basse, l’un et l’autre échappés d’une non moins aventureuse tournée de The Bridge partie de Toulouse pour arriver à Brest le 15 octobre prochain, après Albi, Dijon, Lyon, Pantin, etc. (renseignements : www.acrossthebridges.org). Rassurez-vous, il y aura trace, l’an prochain, de ce moment inoubliable, grâce à Michel Dorbon et à son label RogueArt. Avec quelques échos d’un enregistrement réalisé la veille dans une grotte privée (mais Ludovic Florin rapportera plus en détail ces événements ultérieurement pour Jazz Magazine). Interrogé sur ce qu’il avait éprouvé à jouer dans ces lieux-là, Gerald Cleaver a répondu, avec la triple simplicité de l’évidence : « Je me suis senti humble, j’ai joué avec les esprits, et je me suis dit que peut-être au moment de mourir c’est l’image de cette grotte qui surgira ».
Photos Ludovic Florin|Les surréalistes avaient trouvé cette impeccable définition du rocher : une grotte retournée comme un gant. L’association toulousaine “Un pavé dans le jazz” l’a prise à son compte en transformant une grotte impressionnante de l’Ariège en abri pour un concert mémorable.
Cavern Project : Larry Ochs (ts, ss), Gerald Cleaver (dm). Grotte du Mas d’Azil, 2 octobre 2016.
Le lieu tout d’abord : un tunnel long de 500 mètres creusé au fil des ères préhistoriques par une rivière obstinée. L’Arize a tissé dans le calcaire un réseau de chambres et de galeries qu’ont occupées des hommes, des femmes et des animaux il y a bien plus de dix mille ans. Aujourd’hui, cet immense espace qui pourrait avaler une cathédrale est aménagé : escaliers, rambardes, éclairage permettent de passer de la Galerie des ours à celle des silex, du pont du Diable au Temple. C’est là que Larry Ochs et Gerald Cleaver ont dialogué autant entre eux qu’avec l’aube glacée de notre histoire. Ce qui a pourtant le plus frappé le saxophoniste, c’est moins la persistance fantomatique de nos ancêtres antédiluviens que le son répercuté par les parois labyrinthiques de la grotte : pas de résonance, pas de réverbération ni d’écho. Au contraire une matité – pour ne pas dire une matière – que le musicien a commencé par sculpter par à-coups sonores, de l’extrême grave au suraigu, d’harmoniques maîtrisés en souffles prolongés (c’est son vocabulaire), comme l’Arize a dû faire son lit et son nid dans la roche au fur et à mesure des temps d’avant l’humanité. Gerald Cleaver, à peaux feutrées, à cymbales délicates, a joué comme s’il ne fallait pas réveiller la pierre tout en assurant un martèlement discret, quelque chose comme l’ancêtre du rythme. Et puis, à 19 h 55 très précisément, Larry Ochs a joué mélodique. Et tous les cailloux qui jonchaient le sol de la grotte se sont réunis en un seul pour la combler, je veux dire la musique s’est mise à remplir tout l’espace. Non qu’il y ait eu un chant particulier, ce qu’on appelle un thème, mais ce qui était sons épars est devenu fil où accrocher l’attention, pourtant fait des mêmes ingrédients : graves, flûtés, harmoniques, etc. Et Cleaver je ne dirai pas a emboîté le pas, mais l’a soutenu, dans toutes ses variances, ses inflexions, ses détours et ses retours. Et la dame d’un certain âge, à côté de moi, j’ai vu son pied basketté battre feutreusement le rythme, enfin, un rythme, puis un autre, puis un autre… Pour un peu, les chauve-souris qui sillonnaient la voûte pierreuse se seraient mises à danser !
La défense d’applaudir a été levée, la peur d’un improbable écroulement a modéré l’enthousiasme de la centaine de personnes ayant fait le déplacement pour écouter ce duo à hauts risques, complété pour un genre de rappel par l’aventureux Rob Mazurek au cornet et le grave Mathieu Sourisseau à la basse, l’un et l’autre échappés d’une non moins aventureuse tournée de The Bridge partie de Toulouse pour arriver à Brest le 15 octobre prochain, après Albi, Dijon, Lyon, Pantin, etc. (renseignements : www.acrossthebridges.org). Rassurez-vous, il y aura trace, l’an prochain, de ce moment inoubliable, grâce à Michel Dorbon et à son label RogueArt. Avec quelques échos d’un enregistrement réalisé la veille dans une grotte privée (mais Ludovic Florin rapportera plus en détail ces événements ultérieurement pour Jazz Magazine). Interrogé sur ce qu’il avait éprouvé à jouer dans ces lieux-là, Gerald Cleaver a répondu, avec la triple simplicité de l’évidence : « Je me suis senti humble, j’ai joué avec les esprits, et je me suis dit que peut-être au moment de mourir c’est l’image de cette grotte qui surgira ».
Photos Ludovic Florin|Les surréalistes avaient trouvé cette impeccable définition du rocher : une grotte retournée comme un gant. L’association toulousaine “Un pavé dans le jazz” l’a prise à son compte en transformant une grotte impressionnante de l’Ariège en abri pour un concert mémorable.
Cavern Project : Larry Ochs (ts, ss), Gerald Cleaver (dm). Grotte du Mas d’Azil, 2 octobre 2016.
Le lieu tout d’abord : un tunnel long de 500 mètres creusé au fil des ères préhistoriques par une rivière obstinée. L’Arize a tissé dans le calcaire un réseau de chambres et de galeries qu’ont occupées des hommes, des femmes et des animaux il y a bien plus de dix mille ans. Aujourd’hui, cet immense espace qui pourrait avaler une cathédrale est aménagé : escaliers, rambardes, éclairage permettent de passer de la Galerie des ours à celle des silex, du pont du Diable au Temple. C’est là que Larry Ochs et Gerald Cleaver ont dialogué autant entre eux qu’avec l’aube glacée de notre histoire. Ce qui a pourtant le plus frappé le saxophoniste, c’est moins la persistance fantomatique de nos ancêtres antédiluviens que le son répercuté par les parois labyrinthiques de la grotte : pas de résonance, pas de réverbération ni d’écho. Au contraire une matité – pour ne pas dire une matière – que le musicien a commencé par sculpter par à-coups sonores, de l’extrême grave au suraigu, d’harmoniques maîtrisés en souffles prolongés (c’est son vocabulaire), comme l’Arize a dû faire son lit et son nid dans la roche au fur et à mesure des temps d’avant l’humanité. Gerald Cleaver, à peaux feutrées, à cymbales délicates, a joué comme s’il ne fallait pas réveiller la pierre tout en assurant un martèlement discret, quelque chose comme l’ancêtre du rythme. Et puis, à 19 h 55 très précisément, Larry Ochs a joué mélodique. Et tous les cailloux qui jonchaient le sol de la grotte se sont réunis en un seul pour la combler, je veux dire la musique s’est mise à remplir tout l’espace. Non qu’il y ait eu un chant particulier, ce qu’on appelle un thème, mais ce qui était sons épars est devenu fil où accrocher l’attention, pourtant fait des mêmes ingrédients : graves, flûtés, harmoniques, etc. Et Cleaver je ne dirai pas a emboîté le pas, mais l’a soutenu, dans toutes ses variances, ses inflexions, ses détours et ses retours. Et la dame d’un certain âge, à côté de moi, j’ai vu son pied basketté battre feutreusement le rythme, enfin, un rythme, puis un autre, puis un autre… Pour un peu, les chauve-souris qui sillonnaient la voûte pierreuse se seraient mises à danser !
La défense d’applaudir a été levée, la peur d’un improbable écroulement a modéré l’enthousiasme de la centaine de personnes ayant fait le déplacement pour écouter ce duo à hauts risques, complété pour un genre de rappel par l’aventureux Rob Mazurek au cornet et le grave Mathieu Sourisseau à la basse, l’un et l’autre échappés d’une non moins aventureuse tournée de The Bridge partie de Toulouse pour arriver à Brest le 15 octobre prochain, après Albi, Dijon, Lyon, Pantin, etc. (renseignements : www.acrossthebridges.org). Rassurez-vous, il y aura trace, l’an prochain, de ce moment inoubliable, grâce à Michel Dorbon et à son label RogueArt. Avec quelques échos d’un enregistrement réalisé la veille dans une grotte privée (mais Ludovic Florin rapportera plus en détail ces événements ultérieurement pour Jazz Magazine). Interrogé sur ce qu’il avait éprouvé à jouer dans ces lieux-là, Gerald Cleaver a répondu, avec la triple simplicité de l’évidence : « Je me suis senti humble, j’ai joué avec les esprits, et je me suis dit que peut-être au moment de mourir c’est l’image de cette grotte qui surgira ».
Photos Ludovic Florin