Laurent de Wilde cinétriographique
Hier, Laurent de Wilde présentait son album “Life Is a Movie” devant un New Morning bondé, en compagnie de ses fidèles complices depuis ses aventures avec Jacques Gamblin : Jérôme Regard et Donald Kontomanou.
Il a fallu pour faufiler parmi le public arrivé trop tard pour trouver une chaise libre, et se glisser le long d’un pilier afin de trouver une place assise sur l’arrête d’une marche, de quoi rester en éveil, même à l’heure fatidique de 21h30 où j’ai l’habitude de faire un petit somme. Il faut dire que Laurent de Wilde sait tenir son public en éveil, commentant sa musique tout comme lorsqu’il raconte la musique de Thelonious Monk ou l’histoire des “Fous du son”, ces merveilleux inventeurs et leurs drôles de machines que sont le Telharmonium, l’orgue Hammond ou l’Oberheim OB-8. Ouvrages qu’il dédicacera abondamment en fin de concert en même temps que son album et un nouvel ouvrage consacré à Robert Moog.
Mais ce soir, il n’est question que de piano… et aussi un peu de cinéma et de la vie tout simplement puisque « Life is a movie ». Il a le sens du show et du récit et commence par commenter son premier morceau, La Vague, une évocation de la vie à travers ses hauts et ses bas. Puis après un climat laissant paraitre cet enracinement qui est le sien dans la culture afro-américaine et ses côté les plus funky, il nous surprend – en cette heure fatidique de 21h30 – avec un espace sonore qui me rappelle Bley, dans son introduction note à note à cette composition qui évoque tant la façon qu’a Carla de poser chaque note sur la partition et Paul de la ficher dans la table d’harmonie, bien au fond. Mais se doute-t-il que quelqu’un pense à Paul Bley dans la salle, croit entendre dans la partie improvisée par Jérôme Regard et Donald Kontomanou quelque chose s’apparentant à une partition de musique de chambre, s’attendrait presque à voir surgir un Jimmy Giuffre. Pour un hommage à Jean-Luc Godard, il fallait bien ça.
Retour au funk, au groove, joyeuse évocation de ses retrouvailles avec la station debout après une longue convalescence consécutive à un accident de moto : Back on the Beat. Les Paradis perdus nous entrainent ailleurs, plus loin, très loin, en des territoires où la musique est encore purement modale, affranchie des cadres rigides de l’harmonie tonale et du tempérament égal qu’il profane d’une bande de patafix déroulée sur les cordes. L’Afrique n’est pas loin et la voici avec Easy Come Easy introduit en un long solo de Donald Kontomanou, admirable édifice polyrythmique qu’il bâtit patiemment jusqu’à une sorte d’effondrement métrique d’où émerge le piano et la contrebasse pour quelque chose qui évoque les Inventions and Dimensions d’Herbie Hancock, sans en être moindrement la copie conforme, tant s’y mêlent des clartés gospelisantes, des aménagements à la Jamal et des jubilations à la Corea.
L’Afrique encore avec Inner Roads et ses délicatesses de joueur de kora. Tiens, j’ai entendu ça là ? Impression que je ne retrouve pas à l’écoute du disque. Fugacité de la musique, de son écoute, des impressions qui en découle ! Poulet bicyclette qui ne figure pas sur le disque s’enracine bien en Afrique, à travers la cosignature de Ray Lema, encore que le motif initial et récurent évoque joyeusement le New York des années 1920, au temps du ragtime, du charleston et du stomp. La suite, Liane et Banian, est également empruntée au duo avec Ray Lema et le final, Get Up and Dance, est une évocation inespérée avec un tel trio de l’univers de Fela. Avec tout au long de ces différents “films”, la constance des ces merveilleux directeur de l’image et éclairagiste que sont pour lui Jérôme Regard et Donald Kontomanou.
Triomphe, rappel ; parti faire une tour de pâté de maison pour me débarrasser de fourmis dans les jambes, je me retrouve au bar en grande discussion sacrilège avec un musicien dont je tairai le nom alors que, rappelé sur scène, l’écrivain Laurent de Wilde raconte, accompagné de son trio, Ses Insomnuits. Le public en veut encore, et le concert se clôture avec l’une des pièces les plus mystérieuses de Thelonious Monk réinventée dans un parfait respect de ce mystère admirablement renouvelé, Locomotive. Franck Bergerot