Le duo Makoto Ozone / Avishai Cohen à Toulouse
Il n’est pas si fréquent de pouvoir entendre Makoto Ozone sur notre sol héxagonal. L’association Grands Interprètes l’ayant invité à se produire en duo avec le contrebassiste Avishai Cohen à Toulouse, Jazz Magazine se devait d’y être.
The Amity Duet
Makoto Ozone (p), Avishai Cohen (cb, vx)
Mardi 6 février 2024, Toulouse, la Halle aux grains, 20h
Face à une salle quasi pleine – une performance pour un concert de jazz donné dans « la » salle de la musique classique toulousaine –, le duo débuta par un tour de chauffe en reprenant un standard, I Hear A Rhapsody. Tout de suite dans le vif du sujet, démontrant qu’à tous les niveaux ils sont bien de très grands interprètes, l’expression demeura « in the tradition », en un jazz impeccable, swinguant, brillant. L’originalité n’était cependant pas le propos, du moins pas encore : pour emmener loin un public, il faut d’abord l’apprivoiser. Après ce bon vieux jazz, le duo enchaîna avec une valse, Just Two, d’allure d’abord assez romantique – Makoto Ozone est l’un de ces rares pianistes menant de front une carrière de jazzman et d’interprète classique – avant de virer au blues. Un morceau au swing plus vif, Snapshot, conclut ce qui m’apparut a posteriori comme la fin d’une première partie.
En effet, lorsque le duo joua une pièce composée par Makoto Ozone (Oberek ?), la singularité des musiciens, jusqu’ici pas absolument manifeste, me sauta alors aux oreilles. Il faut dire que l’improvisation libre, par quoi ils débutèrent, est une pratique qui possède la vertu de mettre à nue l’inventivité d’un musicien. Cette phase initiale déboucha sur la partie écrite par le pianiste japonais, un 3/4 assez hargneux où l’on put sentir quelque peu la dette d’Ozone à Corea (placements et jeux rythmiques, couleurs harmoniques de sa composition, etc.). Le Japonais développa néanmoins une matière polytonale tout à fait savoureuse, démontrant au passage que cette approche harmonique a encore de beaux jours devant elle auprès des jazzmen.
Une reprise d’un autre standard, Ev’ry Thing Happens To Me, apporta ensuite une respiration bienvenue. Or, cette fois, comparé à l’ouverture du concert, l’état d’esprit des musiciens fut tout autre, la prise de risque maximale étant alors le mot d’ordre de leur interprétation, toute de sensibilité par ailleurs. Avishai Cohen, par exemple, n’hésita pas à proposer des notes de basse très éloignées de celle prévues sous la mélodie de Matt Dennis, amenant de la sorte Ozone à trouver dans l’instant des harmonies adaptées. Suivit de nouveau une improvisation libre qui se développa de façon inopinée sur la base du rhythm changes, et le duo conclut son concert par une reprise d’Ever Evolving Etude, un redoutable et fantastique morceau composé par Cohen, qu’il dédia à Chick Corea, l’un de ses mentors. À vrai dire, ce fut le clou du spectacle comme l’on dit dans le milieu du cirque. Sauf que, précisément, les artistes réalisèrent une prestation profonde, quoiqu’enthousiasmante parce qu’elle ne vira jamais à la démonstration gratuite.
En réponse à la standing ovation dont le public toulousain les gratifia, Ozone et Cohen donnèrent d’abord Remembering, l’un des succès du contrebassiste (succès mérité par le charme de sa ligne mélodique) puis I Didn’t Know What Time It Was en ballade, la mélodie chantée par
Cohen ; enfin, et pour clore la soirée en beauté, ce fut une improvisation libre tenue à un tempo d’enfer qui, d’un sujet de fugue de Bach, évolua insensiblement vers Les Feuilles mortes.
Et le tout, toujours avec le sourire !
Ludovic Florin