Avec Ramona Horvath, le jazz se déconfine au Sunset
La pianiste Ramona Horvath a magnifiquement réouvert le Sunset hier soir, après plus de deux mois de confinement.
Ramona Horvath (piano), Nicolas Rageau (contrebasse), Philippe Soirat (batterie) plus invités, le Sunset, 19 juin 2020
Ramona Horvath avait été la dernière à s’asseoir derrière le piano du Sunset. C’était le 14 mai. C’est donc logiquement à elle qu’il revenait de rouvrir le lieu: « J’étais partie avec les clés, je suis revenue avec! » . Et la musique a donc repris ses droits, dans une ambiance évidemment un peu particulière: on entre masqué mais l’on peut ensuite se démasquer pour écouter la musique… et pour consommer, le tout dans une jauge dégradée pour satisfaire aux distances de sécurité entre les personnes (ce qui permet, chose rare, d’allonger un peu les jambes). Le premier morceau, après toute cette disette de musique, est judicieusement choisi: le Just Squeeze me de Duke Ellington, un morceau d’une tendresse enjouée, distillé avec des block chords qui montrent que la pianiste connaît son Red Garland sur le bout des doigts. Ramona Horvath énonce ce Just Squeeze me avec beaucoup de douceur, comme si elle savourait un moment attendu depuis longtemps, puis avec de plus en plus de force, avec pour finir des accords plaqués sur le piano. Elle joue ensuite un autre morceau d’Ellington, beaucoup moins connu, Drop me off in Harlem (que l’on peut écouter sur son dernier disque Le sucrier Velours). Suivent d’autres standards, parmi lesquels des morceaux de Charlie Parker, et un morceau latin: et la pianiste, formée au conservatoire de Bucarest et installée en France depuis quelques années, se montre toujours aussi à l’aise quels que soient ces contextes.
Dès les premiers morceaux, on saisit ce qui fait le charme de ce trio: un ancrage dans la tradition dont Ramona Horvath n’a pas retenu seulement le swing, mais tout ce qu’il y a autour: la joie de jouer, la malice, la communication pétillante entre les musiciens, et avec le public (Ramona Horvath aime émailler ses solos de citations bien choisies).
Musicalement, la musique a des fondations très solides, avec cette imbrication très forte entre la contrebasse de Nicolas Rageau et le piano de Ramona Horvath. Les lignes mélodiques des deux musiciens s’enchâssent à merveille. Nicolas Rageau a beaucoup d’espace pour s’exprimer, presque comme un co-leader, et il utilise très bien cet espace, avec des solos toujours très bien construits, et une grande clarté d’énonciation. Le batteur Philipe Soirat, impeccable, ajoute des épices à cette musique, notamment en impulsant des 4/4 énergiques et entraînant.
Je ne connaissais pas le trio de Ramona Horvath, et c’est une belle découverte.
Au cours du second set, des invités de choix rejoignent le groupe, le guitariste , délicat et inspiré, Jean-Philippe Bordier, et le saxophoniste Eric Breton, à la magnifique sonorité, chaude, épaisse, au sax ténor.
C’est en écoutant celui-ci jouer Do Nothin Till you hear from me que tout à coup l’évidence m’a saisi: Bon sang, (je commence toujours mes phrases par Bon sang quand je me parle à moi-même) Bon sang, donc, comme c’est bon, cette sonorité qui va se cogner dans les verres, qui s’enroule autour des épidermes, qui ne s’offusque pas des conversations chuchotées entre les spectateurs, et cette communication décuplée qui en résulte, des musiciens aux spectateurs et des spectateurs aux musiciens….Cela a un nom: cela s’appelle la musique live. Décidément une belle invention.
Texte: JF Mondot
Dessins : AC Alvoët