Le jazz se livre
Dernière minute : trois livres viennent de parvenir à la rédaction de Jazz Magazine. Une idée de cadeau façon some like it hotte ? Ne cherchez pas plus loin. Sélection, par Doc Sillon.
Lors de la sortie du somptueux court-métrage Chet’s Romance, le réalisateur Bertrand Fèvre avait ainsi formulé sa brève présentation : « C’est l’histoire d’un faisceau de lumière qui tombe amoureux d’une note de musique… » Il souhaitait alors, confiait-il à Stéphane Ollivier en mars dernier, « traduire en images le choc émotionnel » que lui procurait la musique de Chet Baker. Bertrand Fèvre a d’abord vécu sa passion du jazz « sans soupçonner l’existence de Chet Baker ». Mais un soir, « au hasard d’une programmation de Jazz à FIP », c’est le coup de foudre, il découvre The Touch Of Your Lips [extrait du disque du même nom, avec le guitariste Doug Raney et le contrebassiste Niels-Henning Ørsted-Pedersen, SteepleChase, 1979, NDR]. Fasciné par le visage du trompettiste sur les pochettes, il commence de s’intéresser au personnage, achète des disques, cherche à en savoir plus.
My Romance With Chet, qui vient enfin de paraître (sa sortie prévue au printemps dernier avait été annulée pour cause de crise sanitaire), raconte la passion de Bertrand Fèvre pour l’art de Chet Baker, sa rencontre avec ce personnage extraordinaire. Et bien sûr le making of du court-métrage évoqué plus haut. My Romance With Chet est l’ouvrage indispensable pour tout savoir sur cette belle aventure, les secrets du tournage du film, où le trompettiste-chanteur joua une version à couper le souffle de I’m A Fool To Want You, dans un studio parisien, avec trois partenaires de haut vol : Alain Jean-Marie au piano, Riccardo Del Fra à la contrebasse et George Brown à la batterie. « J’ai tout de suite eu envie de concevoir ce film comme un double hommage, précisait Bertrand Fèvre à Stéphane Ollivier. À un certain cinéma d’abord, en noir et blanc, avec une lumière travaillée, et le recours au Scope, ce format très allongé typique de l’esthétique de films comme L’arnaqueur de Robert Rossen. Et au jazz, bien sûr, et plus précisément à la poésie crépusculaire de la musique de Chet Baker. C’est en travaillant simultanément ces deux axes que le film a peu à peu trouvé sa forme et sa vérité ». Dans Chet’s Romance, on voit un musicien qui arrive sur scène, se prépare, s’assoit et improvise sur un standard de jazz légendaire devant deux caméras, sans rien faire d’autre que livrer sa vérité à travers sa musique : « La vérité du dispositif sert la vérité de Chet, et sa propre vérité nourrit celle de mon film. C’est du donnant-donnant. Son émotion est réelle, palpable, il y a une sincérité bouleversante dans sa façon de se livrer à la musique, face au regard des caméras. Il n’est pas là pour faire le beau, pour “faire croire que”. Cette mise à nu est au cœur du film. »
Chet’s Romance (1987) obtint
de nombreux prix, dont le César du court-métrage documentaire en 1989. Les heureux possesseurs de My Romance With Chet pourront découvrir le journal de bord du réalisateur, de nombreuses photos inédites du tournage, superbement mises en page par François Plassat, mais aussi voir ou revoir le film – très rare – de Bertrand Fèvre sur DVD,
ainsi qu’un second documentaire, Chet By Claxton (2003), où le grand photographe américain William Claxton raconte sa rencontre avec le musicien dans les années 1950.
Ces deux courts-métrages sont réunis pour
la première fois dans ce livre-disque au formet très agréable à manipuler et à lire. Mais ce n’est pas tout : un vinyle 45-tours contenant une prise alternative de I’m A Fool To Want You et un extrait d’une interview inédite
de Chet Baker est aussi inclu dans My Romance With Chet. Attention, édition limitée !
Attention, livre culte à “lirécouter” d’urgence !
Sorti l’an dernier mais parvenu récemment à la rédaction de Jazz Magazine, le beau livre de Graham Marsh et Simon Whittle, Ronnie Scott’s 1959-69 – Photographs by Freddy Warren, s’attarde à travers de magnifiques clichés en noir & blanc sur l’âge d’or du célèbre club de jazz londonien. Quel bonheur que de (re)découvrir autant de musicien.ne.s auxquel.le.s nous sommes profondément attachés : Bill Evans (l’année où il donna la série de concerts qui viennent d’être édités sur le label Resonance Records), Count Basie, Art Blakey, Stan Getz, Jeanne Lee (jamais n’avions nous vu d’aussi belles photos d’elle), Sonny Rollins, Jimmy Smith (au piano !), Yusef Lateef, Miles Davis, Ella Fitzgerald, Wes Montgomery…
Préfacé par le Roi René, sa majesté René Urtreger, Une histoire du bebop revient sur l’incroyable aventure d’un genre musical révolutionnaire qui a profondément et radicalement altété le cours de l’histoire du jazz et changé à jamais son visage – le bebop, ce langage, est encore parlé-joué près de quatre-vingts après sa naissance au cœur de Harlem.
Comme en contrepoint du texte de Franck Médioni, le dessinateur Louis Joos, dont on sait l’amour pour le jazz (on ne compte plus ses ouvrages dédiés à ses plus grands héros, de Thelonious Monk à JohnColtrane en passant par Charles Mingus) distille ses images, magnifiques, d’une rare intensité, qui toutes bruissent via un coup de crayon habité du swing fiévreux du bebop et de l’élégance suprême de ses messagers. En prime, la reproduction, en fin d’ouvrage, d’un article mémorable paru dans Jazz Hot en 1950, Les faux prophètes du jazz, signés à six mains par, excusez du peu, Charles Delaunay, André Hodeir et Boris Vian.
Doc Sillon
Bertrand Fèvre : My Romance with Chet (Jazz & Cie, 132 pages, 29,90 €, exclusivement sur fnac.com et dans les magasins Fnac)
Graham Marsh / Simon Whittle : Ronnie Scott’s 1959-69 – Photographs by Freddy Warren (Real Art Press, 148 pages, 42 €).
Franck Médioni / Louis Joos : Une histoire du bebop (Éditions du Layeur, 140 pages, 29 €).