Le nouvel Orchestre national de jazz et les apparitions d’Ornette Coleman
Hier, 19 avril, les Banlieues Bleues 2O19 fermaient leurs portes à la MC 93 de Bobigny avec le premier concert du nouvel Orchestre national de jazz (ONJ) imaginé par Frédéric Maurin, sur un hommage à Ornette Coleman commandé à Fred Pallem. En première partie, le quartette Novembre et quelques invités présentaient également un hommage au défunt saxophoniste compositeur qui s’y livra à de troublantes apparitions ludiques et fantomatiques.
Novembre “Ornette / Apparitions” : Antonin-Tri Hoang (as), Romain Clerc-Renaud (p, claviers), Thibault Cellier (b), Elie Duris (dm) + Isabel Sörling (voc), Aymeric Avice (tp), Pierre Borel (as), Geoffroy Gesser (ts), Yann Joussein (dm, flûte à bec).
Xavier Prévost vous en touchera surement deux mots sur cette même adresse tant la plume semblait lui brûler la main au sortir de ce concert, mais au moment d’en évoquer la seconde partie, je ne peux taire les souvenirs qui remontent de ce premier hommage rendu à Ornette Coleman dont le fantôme ne cessa de survenir comme pour se rappeler au bon souvenir des musiciens qui honoraient sa mémoire : sous la forme de bribes comme injectées dans l’improvisation ou dans les partitions originales, d’impromptues fanfares d’abord invisibles faisant sonner en coulisses, en fond de scène ou dans les cintres quelques airs bien connus du compositeur, l’exposé d’un thème étant interrompu par une seconde batterie hors scène obligeant incessamment les interprètes à revenir à leur point de départ… Plus un pianiste dont je ne saurais dire si sa pratique des claviers est influencées par le syntheziser show de Paul Bley et Annette Peacock, mais dont le jeu de piano était en bien des points un vibrant hommage au plus ornettien des pianistes : Paul Bley. Et l’on n’était par très étonné de retrouver, parmi les invités du groupe, Pierre Borel qui au sein de Die Hochstapler promena les œuvres d’Anthony Braxton et d’Ornette Coleman dans l’étonnant palais des glaces du “Braxtornette Project” (Umlaut Records, 2013), et qui plus récemment revisitait Charlie Parker sous le prisme de la vitesse au sein du trio Schnell (“Live at Sowieso”, Clean Feed, 2018). Une famille de musiciens qui a fait preuve hier d’un exceptionnel sens de la forme musicale et de l’occupation scénique.
Orchestre national de jazz (ONJ) “Dancing In Your Head(s), La Galaxie Ornette” : Fred Maurin (dir, elg), Fred Pallem (arrt), Fabien Norbert (tp), Susana Santos Silva (tp, Daniel Zimmerman (tb), Judith Wekstein (tb b), Mathile Fèvre (cor), Jean-Michel Couchet (ss, as), Anna-Lenna Schnabel (as, fl), Fabien Debellefontaine (fl, ts), Morgane Carnet (sax baryton), Pierre Durand (elg), Bruno Ruder (Fender Rhodes, Clavia Nord), Sylvain Daniel (elb), Rafaël Koerner (dm).
Je ne me suis pas toujours rendu aux premières de l’ONJ avec un grand appétit, mais l’interview que l’on trouvera dans le numéro d’avril de Jazz Magazine complétant ce que l’on connaissait déjà de Fred Maurin à travers son Ping Machine avait de quoi donner faim. À quel endroit se placer dans une salle pour écouter un big band ? Plutôt vers la console, au plus près de ce qu’entend le sonorisateur ? Ou au pied de la scène, pour jouir pleinement et en direct de la pâte sonore, du velouté des anches, du gras des trombone, de l’upercut des trompettes, du relief orchestral ? À ce plaisir acquis, j’ai peut-être sacrifié une certaine exactitude, les deux amplis guitare face moi escamotant le détail des discours improvisés parmi les saxes (dont les pavillons sont souvent occultés par les pupitres) et même la conviction de Rafaël Koerner, au profit d’un Sylvain Daniel (à mon goût plus à sa place qu’à aucun des deux autres ONJ dont il fut le bassiste, ceux Daniel Yvinec et d’Olivier Benoît) et au profit des cuivres, en premier lieu Daniel Zimmerman prodigieusement émouvant dans Something Sweet, Something Tender d’Eric Dolphy, mais aussi Susana Santos Silva dans le difficile exercice consistant à s’emparer de Dogon AD de Julius Hemphill.
Ce qui nous amène à souligner deux points dont Fred Maurin (et Fred Pallem pour le premier) s’explique dans notre numéro d’avril : au-delà de la synthèse très réussie entre l’Ornette acoustique et l’Ornette électrique (merci notamment à la constante activité du quadrilatère constitué par la basse, les deux guitares et le clavier), au-delà de la trame orchestrale imaginée par Pallem pour restituer la brume harmolodique, revisiter Ornette, c’est aussi revisiter une famille, une descendance, une galaxie : Eric Dolphy, Julius Hemphill (et Tim Berne, absent hier, mais que l’on retrouvera sur les partition lors de prochains concerts et même en chair et en os) ; le deuxième point, c’est le pari de la parité hommes-femmes quasi gagné, avec un orchestre qui compte à lui seul plus de femmes que n’en ont compté la totalité des ONJ précédents. Un orchestre dores et déjà historique, avec un chef dont les autres projets nous rendent fort impatients. À suivre… Franck Bergerot (photo © Monsieur Wang)