Le pianiste qui venait du froid
A l’ambassade de Finlande, le pianiste finlandais Iiro Rantala a donné un concert rigoureusement inclassable.
Iiro Rantala (piano, machines, commentaires), Ambassade de Finlande, 6 novembre 2019
Le pianiste finlandais a les doigts déliés et la langue bien pendue. Il s’est révélé aussi à l’aise au micro qu’au clavier, avec des commentaires irrésistiblement pince-sans rire qui accompagnaient chaque morceau. Le thème de son dernier album (My finnish calendar, chez ACT) se prêtait bien, il faut dire, à l’exégèse sarcastique. Il se compose de douze compositions conçues comme des traductions musicales de chaque mois de l’année (car les années comportent aussi douze mois en Finlande, malgré le décalage horaire). Sur la petite scène de l’ambassade de Finlande, Iiro Rantala a donc commenté chacun de ces morceaux, donnant une vision férocement drôle de son pays, d’où il découle, pour résumer, que la Finlande est remplie de neurasthéniques qui ont des oursins dans les poches, qu’il n’y fait beau que quelques heures par an, mais pas de chance, ce n’est jamais au moment des vacances. Heureusement, il reste quand même la possibilité de profiter un peu de la vie, par exemple en février, en se livrant à l’occupation poétique qui consiste à inscrire son prénom sur la neige par des mictions adroitement ciblées (en Anglais c’est plus joli et plus direct : To pee one’s name) ou à roucouler au mois de septembre, qui en Finlande est le mois romantique par excellence : « C’est là que j’ai rencontré ma femme. Et ça se passe bien. N’allez pas lui demander. Mais en tous cas pour moi ça se passe bien…».
Incontestablement drôle, cet Iiro Rantala. Et sur le plan musical ? Eh bien, Rantala a des doigts en acier, qui voltigent sur le clavier, c’est un virtuose doté d’une solide culture pianistique qui en jazz a manifestement beaucoup écouté Art Tatum et James P.Johnson, et bien sûr Oscar Peterson. Mais derrière ce classicisme jazzistique se cachent heureusement quelques bizarreries et particularités intéressantes, comme l’utilisation de l’ordinateur pour appuyer son discours à une pulsation lourde, presque techno, ou cette manière de plaquer, entre deux traits perlés, de violents accords sur le piano. « C’est l’école russe du piano, où l’on fait corps avec l’instrument » apprécie Arnaud Merlin, de France Musique, en connaisseur. A la fin du concert, on ne sait toujours pas quelle est la bonne période pour aller en Finlande, mais on sait au moins qu’on pourra y pisser sur la neige. Et écouter Iiro Rantala.
JF Mondot