Les passages secrets de Marion Rampal et Pierre-François Blanchard
Hier, 16 février à l’Ecuje (Espace culturel et universitaire juif d’Europe), dans le cadre d’une programmation jazz conçue par le pianiste Olivier Hutman, triomphait la chanteuse Marion Rampal et le pianiste Pierre-François Blanchard.
On avait adoré leur disque ”Le Secret” signé à deux mains. Il avait motivé un long entretien de la chanteuse dans notre numéro 729 de juillet 2020. Mais nous ne les avions pas encore vus à l’épreuve de la scène, l’épreuve de vérité. Encore une chanteuse de jazz ? Beaucoup mieux. Elle nous emmène au cabaret. Elle a ce métier de la scène – le ton juste, le sens de chaque mot, la diction, le geste, le port de tête, la posture, le pas de côté, tout un art qui fait trop souvent défaut au “jazz vocal”… Elle nous apporte sur un même plateau, sans anachronisme aucun, un blues créole collecté par Lomax père et fils en Louisiane en 1934, La Complainte de Mackie de Kurt Weill, Sans amour de Joséphine Baker, La Java partout de Léo Ferré, Je suis décadente de Brigitte Fontaine, Les Ronds dans l’eau de Pierre Barouh… Elle les fait siens sans les trahir, et nous les fait redécouvrir.
Elle fait de même avec une mélodie de Fauré. La mélodie française, les paroles fussent-elles de Verlaine, ça m’a toujours barbé. Un côté salon de la mère Verdurin que Marion Rampal nous épargne en nous conduisant par quelque passage secret au plus intime de l’art mélodique du compositeur débarrassé de tout ce “mondanisme” fin de siècle assez bien épinglé par Roland Barthes dans son article sur Gérard Souzay et l’art vocal bourgeois (Mythologies, que je convoque ici, penserons certains, au risque d’une généralisation excessive). Et lorsqu’elle chante Auf dem Wasser zu singen de Franz Schubert, elle nous en fait redécouvrir les enivrantes arabesques sans nullement faire injure au souvenir que nous en ont laissé Dietrich Fischer-Diskau et Gerald Moore, tirant même un fil sensible et continu jusqu’au cœur d’une reprise de Colette Magny de laquelle, faute d’en avoir retenu le titre, je garde en tête – à l’heure de rédiger cette chronique – les accents schubertiens.
C’est que Pierre-François Blanchard, son complice, son frère de scène et de musique, lui tient ici tout du long la main, avec un mélange confondant de grâce, d’humour et d’autorité. Jazzman, il l’est sans aucun doute, improvisateur formé à cette école, mais aussi à cette toute autre école qu’il revendique pour avoir longtemps accompagné Pierre Barouh. Voyez comment – or peu de jazzmen ont à l’esprit de le faire – prenant son chorus improvisé entre deux couplets de Mon amie la rose immortalisé par François Hardy, il ne fait qu’en rajouter un, poursuivant, développant la chanson sans en trahir le scénario. Lorsque survient le saxophoniste Raphaël Imbert, en lieu et place – et plus encore – d’Archie Shepp sur le disque, on est tellement bien que l’on craint l’intrusion. Or lui aussi nous embarque, entièrement à l’écoute de ses deux hôtes, et bientôt nous rappelle qu’il est leur ami de longue date, adoptant leur “tutti d’orchestre” (analogie que m’autorise la précision et l’efficacité de leur pas de deux musical), solidaire de la moindre intention dramatique ou humoristique comme s’il faisait partie intégrante de la distribution. Franck Bergerot
Retrouvons le duo le 14 avril au Théâtre 71 de Malakoff. Prochains “Jazz à L’Ecuje” : Michah Thomas le 8 mars, Pierrick Pedron Quartet le 23 mars.