Longue deuxième vie au label Pee Wee!
Je bats les records du monde de retard de la chronique de concert, mais tant pis, je la fais quand même, c’est pour une bonne cause : la renaissance du Label Pee Wee.
C’était donc le 31 janvier (je sais, je sais…) au théâtre des Nouveautés. Une soirée dédiée au Label Pee Wee qui vient de renaître sous l’égide de Vincent Mahey, avec d’ambitieux projets et de magnifiques artistes dans son écurie. Franck Bergerot a publié un compte-rendu à chaud de cette soirée (consultable sur le site). Il a raconté cette soirée où chacun des artistes du label présentait deux ou trois morceaux avant de laisser la place au suivant. Nous pûmes écouter ainsi un duo délicat et fragile entre Hubert Dupont et Phil Reptil, puis le violoniste Mathias Levy aussi à l’aise dans les ambiances africaines de Patrick Bebey que dans celles, raveliennes, d’Andy Emler, entente magique, conversation à demi-mots, et cette sonorité de violon de Mathias Lévy, acérée et fragile, une sonorité de givre, bouleversante dans les aigus, et avec des nuances magnifiques dans les attaques. L’autre grand moment de cette première partie de soirée, ce fut Kartet, où Antonin-Tri Hoang remplaçait Guillaume Orti. Ces quatre musiciens (Benoit Delbecq, Samuel Ber, Hubert Dupont, Antonin-Tri Hoang) jouent une musique qui arrivent à donner le sentiment de l’inouï, à travers des intervalles de contorsionnistes, des structures rythmiques soigneusement bancales.
C’est biscornu, élégant, et même, par moment, lyrique. Une musique sous les auspices de Thelonious et de Steve Coleman. Au piano Benoît Delbecq joue des choses qui évoquent du Debussy vrillé. Le travail sur le son d’Antonin-Tri Hoang est admirable, fragile, subtile, fuligineux. Franck Bergerot a restitué cette musique en écrivant : « ça joue comme les arbres s’égouttent sous la pluie » (voilà une image que j’aurais bien aimé trouver, mais j’habite près du métro Jules Joffrin où les arbres ne s’épanouissent guère, très désavantagé par rapport à Bergerot qui a fait son nid dans une petite cabane en branchages à côté d’une rivière, entouré de chemins creux et d’un petit près où viennent paître des vaches flegmatiques. ).
En deuxième partie, un Bireli Lagrène impressionnant en solo, d’une concentration impressionnante, d’une grande liberté aussi, avec des associations d’idées qui passent directement de sa rêverie aux cordes, beaucoup de voix, de rythmes, seul mais incroyablement multiple. Et enfin deux musiciens que je n’avais jamais vus jouer ensemble, Sophia Domancich et Simon Goubert.
Le moment le plus bouleversant de cette soirée fut cette version de Django donnée par le duo. Des belles versions de Django j’en ai entendu plusieurs ces dernières années, comme si les pianistes se donnaient le mot (versions merveilleuses de Marc Benham et de Yonathan Avishai…). Celle de Sophia Domancich se caractérise par un tempo assez vif (on sait que John Lewis prenait ce thème à un rythme lentissime de marche funèbre) qui ne lui fait rien perdre de son intériorité et de sa profondeur. Simon Goubert, à la batterie, installe un rapport très particulier avec la pianiste. Il ne donne pas le tempo, il réagit émotionnellement à ce qui vient d’être jouer. Frémissements, emballements, palpitations. C’est un cœur qui bat. Quant à Sophia Domancich, c’est une merveille de voir à quel point son jeu est décanté de tous les plans, de tous les clichés qui encombrent certains de ses confrères. Elle donne l’impression d’être au cœur de la musique. Tout ça est d’une grande pureté.
Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures, à consulter sur son site www.annie-claire.com)