Près de 12 ans après l’enregistrement de ‘Looking For Parker’, le trio initial est rejoint par le saxophone baryton de Jean-Charles Richard. Annoncé sur l’affichette et le tract comme le quartette de Géraldine Laurent, c’est avant tout un acte musical collectif. D’ailleurs la saxophoniste l’explique (ou pas, selon son expression favorite….) dans un court préambule : le choix des thèmes empruntés au corpus du ‘Grand Charles’ (il détestait qu’on l’appelle Charlie) a été collectif, tout comme les arrangements/dérangements qui fondent cette appropriation amoureuse d’une œuvre. En ces temps où les hommages pullulent, souvent par opportunisme ou manque d’imagination, la fraîcheur, la passion, l’audace et le niveau d’élaboration de celui-ci forcent l’admiration. Il faut de l’audace en effet pour aborder en quartette, et qui plus est sans contrebasse, un répertoire souvent conçu pour des quintettes, sextettes, voire plus….
LOOKING FOR MINGUS
Géraldine Laurent (saxophone alto), Jean-Charles Richard (saxophone baryton), Manu Codjia (guitare), Christophe Marguet (batterie)
Les Lilas, Le Triton, 31 mai 2024, 20h30
L’essentiel des titres proviendra de la fin des années 50, mais l’entrée en matière empruntera aux années 70, à commencer par O.P. , un hommage à Oscar Pettiford. On a l’impression d’écouter du bebop arrangé façon West Coast : dès le début cohabitent du tuilage et des échanges, dans une élaboration musicale sophistiquée qui jamais n’étouffe la flamme de la spontanéité. Le ton est donné pour toute la durée du concert. Puis vient Farewell, Farewell, plus loin dans les années 70. C’est là que va commencer à s’exprimer cette forme d’effervescence contrôlée, jusque dans ses dérapages, qui fut la marque de Mingus, et dont la quartette fait son miel, avec un mélange d’invention, de virtuosité et d’absolue immersion dans la musique. Le public est plus qu’attentif, et ne cède pas forcément au réflexe pavlovien de saluer d’une salve d’applaudissements une fin de solo, car tout s’enchaîne avec fluidité. Mais quand vient la fin d’un morceau, l’enthousiasme s’exprime avec chaleur. Nous aurons ensuite une plongée dans les thèmes de la fin des années 50, avec Haitian Fightsong (la légendaire ligne de basse introductive circule du sax baryton aux cordes graves de la guitare….), Reincarnation Of A Lovebird (avec ses méandres jouissifs), Goodbye Pork Pie Hat, et une plongée dans les explosions mingusiennes : ma mémoire (altérée par les ans, je dois l’avouer) ne sait plus si on était du côté de Better Get It In Your Soul, Boogie Stop Shuffle ou Wednesday Night Prayer Meeting, mais on était au plein cœur du maelström façon Mingus : des breaks insensés, des échanges torrides et des précisions diaboliques, qui jamais n’étouffent l’incandescence de l’expression. Duke Ellington’s Sound Of Love saura aussi, à un moment du concert, fait baisser la pression. Public chamboulé, et qui fait entendre son émotion, votre serviteur itou. En rappel, une plongée dans le versant latino du Grand Mingus. Quelle soirée ! Je ne suis pas près de l’oublier…. C’était la première pour ce groupe et ce programme : une réussite dont on espère qu’elle va retentir sur bien des scènes.
Xavier Prévost