Jazz live
Publié le 13 Fév 2022

L’ORCHESTRE NATIONAL de JAZZ au festival ‘Présences’

Le chroniqueur est dans le bus qui le conduit à la Maison de la Radio (et de la Musique) pour la soirée ‘jazz’ de ‘Présences 2022’. Né provincial, provincial il demeure, après 40 années de vie parisienne, et il ne résiste jamais au plaisir de contempler la Tour Eiffel depuis les encombrements de l’Avenue Kennedy.

Présences est le festival de création musicale de Radio France, et il a régulièrement accueilli, depuis sa création en 1991, le jazz. Le thème de cette année, c’est Tristan Murail, grande figure de la musique spectrale. Frédéric Maurin, le directeur artistique de l’ONJ, s’est toujours passionné pour ce courant. Et il a eu la belle idée de convier Steve Lehman, saxophoniste de jazz, mais qui fut aussi l’élève de Tristan Murail à l’Université Columbia de New York. Et ils ont co-signé une œuvre intitulée Ex Machina, qui confronte l’orchestre de jazz et ses solistes au traitement du son en temps réel par les équipes de l’IRCAM. Franck Bergerot vous a fait le récit de l’ultime répétition de cette composition, à la veille du concert, dans ces mêmes colonnes (suivre ce lien). Quant à moi j’assistais à ce concert (diffusé en direct sur France Musique), avec en première partie une autre œuvre, pour deux harpes et orchestre de jazz. C’est l’ensemble de cette soirée que je vais tenter de vous narrer.

Christophe de Coudenhove

En Blanc and Blue, Concerto pour deux harpes et orchestre de jazz

Nouvelle version, commande de Radio France, création mondiale

 

Ghislaine Petit-Volta (blue harp)

Isabelle Moretti (harpe)

L’Orchestre National de Jazz, direction artistique Frédéric Maurin

Camille Durand (voix), Fanny Ménégoz (flûtes), Catherine Delaunay (clarinette), Fabien Norbert, Quentin Lourties (trompettes), Christiane Bopp, Balthazar Bodin (trombones), Fanny Meteier (tuba), Jean-Charles Richard, Hugo Afettouche, Florent Dupuis (saxophones), Aubérie Dimpre (vibraphone), Stéphan Caracci (marimba), Grégoire Letouvet (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Julie Saury (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 11 février 2022, 22h30

La partition jouée ce soir est la création d’une nouvelle version, très remaniée, d’un pièce pour deux harpes et un orchestre d’effectif plus modeste, et qui s’intitulait à l’origine En Blanc et Bleu (un enregistrement de cette première version est accessible sur https://soundcloud.com/cdecoudenhove). Cette nouvelle mouture est une sorte de dialogue à voix multiples entre les harpes (la harpe de concert d’Isabelle Moretti, et la blue harp, harpe électrique avec effets électroniques, de Ghislaine Petit-Volta), la voix de Camille Durand (connue aussi comme compositrice, arrangeuse et cheffe d’orchestre sous le pseudonyme d’Ellinoa), et l’orchestre, dans sa masse ou dans les improvisations des solistes. Dialogue aussi entre des langages qui ne sont pas étanches les uns aux autres (jazz, musique dite contemporaine….). La musique circule de manière fluide et ductile d’un univers à l’autre. L’écriture est serrée, mais l’improvisation y a sa part belle. Les intervalles tendus mettent à rude épreuve la vocaliste, et l’ensemble se révèle comme un objet musical riche, qui draine l’attention et le plaisir des mélomanes sans œillères, sensibles aux attraits de ces deux univers qui dialoguent et, d’une certaine manière, se fondent dans ce creuset de création.

 

Steve Lehman / Frédéric Maurin

Ex Machina

Commande IRCAM – Centre Pompidou, création mondiale

 

L’Orchestre National de Jazz, direction artistique Frédéric Maurin

Jérôme Nika (électronique générative), Dionysios Papanicolaou (réalisation musicale Ircam), Axel Roebel (collaboration scientifique Ircam-SMTS

Fanny Ménégoz (flûtes), Catherine Delaunay (clarinette, cor de basset), Steve Lehman (saxophone alto), Julien Soro (saxophone ténor, clarinette), Fabien Debellefontaine (saxophone baryton, clarinette, flûte), Fabien Norbert (trompette, bugle), Jonathan Finlayson (trompette), Christiane Bopp & Daniel Zimmermann (trombones), Fanny Meteier (tuba), Chris Dingman (vibraphone), Stéphan Caracci (marimba, vibraphone, glockenspiel), Bruno Ruder (piano, synthétiseur), Sarah Murcia (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie)

Pour la seconde partie du concert, on entre dans le vif du programme de ‘Présences 2022′, avec la référence à Tristan Murail, et au courant de la musique spectrale. Dès le début de cette œuvre co-composée par Frédéric Maurin et Steve Lehman, la musique se situe dans le chant de la confrontation-collaboration entre l’humain (les compositeurs et les interprètes) et les machines (les ordinateurs de l’IRCAM, pilotés par des experts en cet art singulier). Dans la salle, Gérard Assayag, qui avait voici plus de dix ans imaginé dans le cadre de l’IRCAM des concerts-performances avec des improvisateurs (Beñat Achiary, Médéric Collignon, Michel Doneda, Brice Martin….) et un logiciel qui traitait en temps réel le discours musical et entrait en dialogue avec les solistes. Cette fois les machines sont en dialogue non seulement avec les solistes mais avec l’orchestre, traitant les sons, et superposant au son direct ces sons traités, ce qui confère à l’ensemble un caractère jusque là inouï. Le dispositif se montre esthétiquement fécond, dans le traitement des masses orchestrales comme dans celui du discours soliste. Avec des moment saisissants de créativité : quand par exemple la clarinette de Catherine Delaunay ou le trombone de Christiane Bopp, opposent pied à pied, à ce que produit la machine, une expressivité foncièrement humaine, incarnée, comme une vocalité inimitable face à l’imagination de la machine. Et puis aussi le contraste entre différents moments où le soliste-compositeur invité, Steve Lehman, nous apparaît tantôt dans la virulence purement instrumentale de son saxophone, tantôt dans un discours exacerbé par le traitement informatique. Sans oublier l’éclat d’un dialogue entre lui et le trompettiste Jonathan Finlayson, qui remet un instant les pendules à l’heure de «la musique de musicien, entièrement faite à la main» (selon l’expression d’un Ami regretté, le batteur-chanteur Jacques Mahieux). Bref ce fut intense et fascinant, d’un bout à l’autre, et je me sens peu capable d’évoquer avec précision toute la singularité d’Ex Machina. Ce n’est pas grave : vous pouvez écouter le concert, qui était en direct, mais aussi à la réécoute ici sur le site de France Musique.

Xavier Prévost

infos

https://www.onj.org/programme/ex-machina/

https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/musique-contemporaine/festival-presences-5/ex-machina