Luxembourg Jazz Meeting
Luxembourg Jazz Meeting. Luxembourg, Abbaye de Neumünster, 28 -30/09.
Comme c’est la première année que — grâce à la récente création de music :LX, le Bureau Export de la Musique Luxembourgeoise — les responsables du jazz du Grand-Duché ont la possibilité d’organiser un Luxembourg Jazz Meeting (il existe déjà un Dutch Jazz Meeting à Amsterdam, un Belgian Jazz Meeting à Bruges, un German Jazz Meting à Brème…), ils ont mis les petits plats dans les grands, invité plusieurs dizaines de journalistes et décideurs européens (France, Allemagne, République Tchèque, Royaume-Uni, Belgique, Japon…) et convoqué jusqu’à une demi-douzaine de musiciens locaux par soirée (à raison d’un showcase d’une demi-heure chacun).
Un programme copieux et varié, donc, qui débutait par un duo de contrebasses inédit entre Marc Demuth et le Québécois Alain Bédard. Un duo à l’ancienne (qui aurait d’ailleurs pu se faire dans des conditions totalement acoustiques), mélodique à souhait, où la rondeur sonore des « grand-mères » alternant solos et accompagnement servit de hors-d’œuvre tout en sérénité veloutée à cette soirée inaugurale. 4s — David Ascani (s), Jérome Klein (p), Pol Belardi (bass), Niels Engel (dm) —, le quartet qui suivait était nettement plus dans l’air du temps : courtes cellules mélodico-rythmiques, frappe volontiers binaire du batteur et accords ou single lines d’influence classique du piano derrière un sax qui fait monter la tension sans éviter quelques clichés du genre tandis que la basse électrique distille un groove souple. Mais il y a, par-delà ce côté juvénile, un son de groupe, une énergie et une volonté de proposer des arrangements qui tirent parti de combinaisons sonores originales. Tout cela est plutôt prometteur de la part d’un jeune quartet qui n’a pas encore enregistré. Le trio du pianiste Michel Reis (au sein duquel on retrouve Marc Demuth et qui vient d’enregistrer pour le label Laborie un disque à paraître en janvier prochain) affiche aussi de nettes influences classiques ainsi qu’une virtuosité instrumentale qui pourrait devenir envahissante si le propos mélodique et harmonique n’était aussi dense et d’une intensité émotionnelle aussi forte. On se laisse facilement entraîner par ce flot de notes et de rythmes aux accents accrocheurs, puis on attend que ça respire un peu… mais ce ne sera pas vraiment le cas durant la courte demi-heure impartie à la prestation de chaque groupe. Dommage, car les qualités de ce trio mériteraient autre chose que cet effet de trop plein. Reis, Demuth et le batteur Paul Wiltgen sont tous trois d’excellents musiciens au potentiel indéniable, qui pourraient se permettre d’intégrer le silence comme quatrième partenaire. C’est d’ailleurs ce que fit Michel Reis un peu plus tard au cours d’un solo d’un seul tenant, sans pour autant se départir d’une approche très classique de l’instrument (toucher subtil, phrasés acrobatiques, belles conduites de voix…) où la part de l’improvisation semblait minime et sur laquelle planait l’ombre de Keith Jarrett. Le quartet de Maxime Bender (ts, ss) a commencé depuis quelque temps à se faire un nom par-delà les frontières du Luxembourg. Il faut dire que la sonorité chaleureuse et le phrasé intelligemment post-coltranien de son leader peuvent difficilement laisser insensibles, d’autant que le discours du saxophoniste est constamment inventif. Secondé par les voicings originaux et le placement rythmique impeccable de l’excellent pianiste allemand Max Sternal, épaulé par une paire rythmique de premier ordre — Markus Braun (b), Silvio Morger (dm) —, Bender n’eut aucune peine à convaincre, en quelques dizaines de minutes, que sa formation était une des plus intéressantes que le Grand-Duché ait à proposer.
Que dire de Saxitude, le quartet de saxes 100% luxembourgeois qui inaugurait la seconde soirée, sinon qu’il s’agit d’un ensemble sympathique au répertoire varié (Bird, standards, funk, compos perso) qui joue avec enthousiasme et savoir-faire des arrangements assez carrés et laissant peu de place à l’improvisation. Pas de quoi effrayer la concurrence internationale, donc, ni pousser le public dans ses retranchements. Le duo de Pascal Schumacher et de Sylvain Rifflet , quant à lui, possède d’emblée une identité sonore unique. Le timbre du ténor — qui multiplie effets de souffles, bruitages et explorations de l’aigu de sa tessiture — et celui du vibraphone, tout en résonances et suspensions harmoniques, se marient de belle manière sur des thèmes mélodiques d’une grande simplicité auxquels s’ajoutent quelques percussions pour créer un univers très personnel et fascinant. Autre duo franco/luxembourgeois (Apfelbaum), autre vibraphoniste (Jérôme Klein, qu’on avait entendu comme pianiste la veille au sein de 4s), flanqué de la chanteuse Célia Tranchand, et autre ambiance intimiste où la voix encore un peu verte module paroles ou syllabes avec un phrasé tout en délicatesse tandis que son partenaire tisse de subtiles trames harmoniques et rythmiques parfois doublées de lignes de basse grâce à un système électronique. Un contexte épuré où le minimalisme n’empêche en rien la musique de déployer ses charmes. Suivait un trio en apparence free mené par un alto au débit fluide et véloce où affleurent — sur un « Lennie’s Pennie » de Tristano qui se dévoile petit à petit — des bribes de phrases parkériennes, soutenu par une rythmique souple et flexible qui épouse les moindres variations d’intensité ou de tempo du souffleur : c’est Roby Glod, quadragénaire, quasi vétéran de la scène luxembourgeoise et toujours formidable saxophoniste (je l’avais découvert voici quelque 25 ans à Metz et il fit longtemps partie du Jazztet de Bernard Struber à Strasbourg) revenu au pays. Au soprano, le leader affiche une liberté encore plus grande sur un de ses thèmes et la rythmique — Christian Ramon (b), Klaus Kugek (dm) — atteint un niveau d’intensité optimal. Puis retour à l’alto et à une composition de Lee Konitz que le trio s’approprie magistralement. Il n’est bien sûr pas indifférent qu’il s’agisse là des musiciens les plus âgés entendus depuis la veille au soir. Les premiers, donc, à puiser dans des racines (cool, free…) que leurs cadets semblent ignorer, sans en faire leur religion mais en y ancrant leur mode de jeu, leur interaction, leur rapport au son… Belle leçon, donc, mais la jeune génération (luxembourgeoise) du jazz est-elle là pour l’entendre ? Pas pour en tirer encore profit, en tout cas, comme le montra juste après le trio luxembourgo/franco/allemand formé par Maxime Bender, Oliver Lutz (b) et Anne Pacéo (dm) qui, en comparaison, sembla franchement propret (quelles que soient par ailleurs les qualités de ses membres). Malgré la belle énergie déployée, le peu d’intérêt des compositions et l’impression que le jeu du sax et de la batterie reposait essentiellement sur des plans bien rôdés plutôt que sur une véritable interaction finirent par engendrer l’ennui.
Le lendemain, c’est en fin de matinée et en tout début d’après-midi que se terminait ce Luxembourg Jazz Meeting avec deux formations hautes en couleur. Le Benoît Martiny Band est un quintet à deux saxes, contrebasse et guitare au son très rock, mené par un batteur leader à l’énergie inépuisable, et qui distille une sorte de rock/blues puissant et lyrique
strié de solos flamboyants des souffleurs et du guitariste. Tout cela flirte joyeusement avec le jazz, le funk et se déguste avec grand plaisir à l’heure de l’apéritif. Toujours dans le festif, mais nettement plus jazz, le Cubop de Ernie Hammes (featuring entre autres le pianiste français Pierre-Alain Goualch et le ténor allemand Johannes Müller) était chargé de clore ce meeting. Virtuose de la trompette à la réputation internationale, Hammes mène ce sextet afro-cubain et paneuropéen avec une maestria remarquable, perpétuant sans passéisme une tradition qu’il a apprise auprès de Dizzy Gillespie ou Maynard Ferguson. Inutile de dire que le niveau de cohésion du groupe comme celui des solos était d’un niveau hautement professionnel et cette musique chaleureuse ouvrait idéalement une après-midi douce et ensoleillée dans le Grund, cette étroite vallée qui coupe en deux la capitale du Luxembourg et où se niche l’abbaye de Neumünster. Au total ce « meeting » peut donc être considéré comme une belle réussite qui montra au reste de l’Europe que l’un de ses plus petits pays recèle d’excellents musiciens dont les groupes sont souvent largement ouverts aux instrumentistes des pays voisins, ce qui est loin d’être le cas partout. Thierry Quénum
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Luxembourg Jazz Meeting. Luxembourg, Abbaye de Neumünster, 28 -30/09.
Comme c’est la première année que — grâce à la récente création de music :LX, le Bureau Export de la Musique Luxembourgeoise — les responsables du jazz du Grand-Duché ont la possibilité d’organiser un Luxembourg Jazz Meeting (il existe déjà un Dutch Jazz Meeting à Amsterdam, un Belgian Jazz Meeting à Bruges, un German Jazz Meting à Brème…), ils ont mis les petits plats dans les grands, invité plusieurs dizaines de journalistes et décideurs européens (France, Allemagne, République Tchèque, Royaume-Uni, Belgique, Japon…) et convoqué jusqu’à une demi-douzaine de musiciens locaux par soirée (à raison d’un showcase d’une demi-heure chacun).
Un programme copieux et varié, donc, qui débutait par un duo de contrebasses inédit entre Marc Demuth et le Québécois Alain Bédard. Un duo à l’ancienne (qui aurait d’ailleurs pu se faire dans des conditions totalement acoustiques), mélodique à souhait, où la rondeur sonore des « grand-mères » alternant solos et accompagnement servit de hors-d’œuvre tout en sérénité veloutée à cette soirée inaugurale. 4s — David Ascani (s), Jérome Klein (p), Pol Belardi (bass), Niels Engel (dm) —, le quartet qui suivait était nettement plus dans l’air du temps : courtes cellules mélodico-rythmiques, frappe volontiers binaire du batteur et accords ou single lines d’influence classique du piano derrière un sax qui fait monter la tension sans éviter quelques clichés du genre tandis que la basse électrique distille un groove souple. Mais il y a, par-delà ce côté juvénile, un son de groupe, une énergie et une volonté de proposer des arrangements qui tirent parti de combinaisons sonores originales. Tout cela est plutôt prometteur de la part d’un jeune quartet qui n’a pas encore enregistré. Le trio du pianiste Michel Reis (au sein duquel on retrouve Marc Demuth et qui vient d’enregistrer pour le label Laborie un disque à paraître en janvier prochain) affiche aussi de nettes influences classiques ainsi qu’une virtuosité instrumentale qui pourrait devenir envahissante si le propos mélodique et harmonique n’était aussi dense et d’une intensité émotionnelle aussi forte. On se laisse facilement entraîner par ce flot de notes et de rythmes aux accents accrocheurs, puis on attend que ça respire un peu… mais ce ne sera pas vraiment le cas durant la courte demi-heure impartie à la prestation de chaque groupe. Dommage, car les qualités de ce trio mériteraient autre chose que cet effet de trop plein. Reis, Demuth et le batteur Paul Wiltgen sont tous trois d’excellents musiciens au potentiel indéniable, qui pourraient se permettre d’intégrer le silence comme quatrième partenaire. C’est d’ailleurs ce que fit Michel Reis un peu plus tard au cours d’un solo d’un seul tenant, sans pour autant se départir d’une approche très classique de l’instrument (toucher subtil, phrasés acrobatiques, belles conduites de voix…) où la part de l’improvisation semblait minime et sur laquelle planait l’ombre de Keith Jarrett. Le quartet de Maxime Bender (ts, ss) a commencé depuis quelque temps à se faire un nom par-delà les frontières du Luxembourg. Il faut dire que la sonorité chaleureuse et le phrasé intelligemment post-coltranien de son leader peuvent difficilement laisser insensibles, d’autant que le discours du saxophoniste est constamment inventif. Secondé par les voicings originaux et le placement rythmique impeccable de l’excellent pianiste allemand Max Sternal, épaulé par une paire rythmique de premier ordre — Markus Braun (b), Silvio Morger (dm) —, Bender n’eut aucune peine à convaincre, en quelques dizaines de minutes, que sa formation était une des plus intéressantes que le Grand-Duché ait à proposer.
Que dire de Saxitude, le quartet de saxes 100% luxembourgeois qui inaugurait la seconde soirée, sinon qu’il s’agit d’un ensemble sympathique au répertoire varié (Bird, standards, funk, compos perso) qui joue avec enthousiasme et savoir-faire des arrangements assez carrés et laissant peu de place à l’improvisation. Pas de quoi effrayer la concurrence internationale, donc, ni pousser le public dans ses retranchements. Le duo de Pascal Schumacher et de Sylvain Rifflet , quant à lui, possède d’emblée une identité sonore unique. Le timbre du ténor — qui multiplie effets de souffles, bruitages et explorations de l’aigu de sa tessiture — et celui du vibraphone, tout en résonances et suspensions harmoniques, se marient de belle manière sur des thèmes mélodiques d’une grande simplicité auxquels s’ajoutent quelques percussions pour créer un univers très personnel et fascinant. Autre duo franco/luxembourgeois (Apfelbaum), autre vibraphoniste (Jérôme Klein, qu’on avait entendu comme pianiste la veille au sein de 4s), flanqué de la chanteuse Célia Tranchand, et autre ambiance intimiste où la voix encore un peu verte module paroles ou syllabes avec un phrasé tout en délicatesse tandis que son partenaire tisse de subtiles trames harmoniques et rythmiques parfois doublées de lignes de basse grâce à un système électronique. Un contexte épuré où le minimalisme n’empêche en rien la musique de déployer ses charmes. Suivait un trio en apparence free mené par un alto au débit fluide et véloce où affleurent — sur un « Lennie’s Pennie » de Tristano qui se dévoile petit à petit — des bribes de phrases parkériennes, soutenu par une rythmique souple et flexible qui épouse les moindres variations d’intensité ou de tempo du souffleur : c’est Roby Glod, quadragénaire, quasi vétéran de la scène luxembourgeoise et toujours formidable saxophoniste (je l’avais découvert voici quelque 25 ans à Metz et il fit longtemps partie du Jazztet de Bernard Struber à Strasbourg) revenu au pays. Au soprano, le leader affiche une liberté encore plus grande sur un de ses thèmes et la rythmique — Christian Ramon (b), Klaus Kugek (dm) — atteint un niveau d’intensité optimal. Puis retour à l’alto et à une composition de Lee Konitz que le trio s’approprie magistralement. Il n’est bien sûr pas indifférent qu’il s’agisse là des musiciens les plus âgés entendus depuis la veille au soir. Les premiers, donc, à puiser dans des racines (cool, free…) que leurs cadets semblent ignorer, sans en faire leur religion mais en y ancrant leur mode de jeu, leur interaction, leur rapport au son… Belle leçon, donc, mais la jeune génération (luxembourgeoise) du jazz est-elle là pour l’entendre ? Pas pour en tirer encore profit, en tout cas, comme le montra juste après le trio luxembourgo/franco/allemand formé par Maxime Bender, Oliver Lutz (b) et Anne Pacéo (dm) qui, en comparaison, sembla franchement propret (quelles que soient par ailleurs les qualités de ses membres). Malgré la belle énergie déployée, le peu d’intérêt des compositions et l’impression que le jeu du sax et de la batterie reposait essentiellement sur des plans bien rôdés plutôt que sur une véritable interaction finirent par engendrer l’ennui.
Le lendemain, c’est en fin de matinée et en tout début d’après-midi que se terminait ce Luxembourg Jazz Meeting avec deux formations hautes en couleur. Le Benoît Martiny Band est un quintet à deux saxes, contrebasse et guitare au son très rock, mené par un batteur leader à l’énergie inépuisable, et qui distille une sorte de rock/blues puissant et lyrique
strié de solos flamboyants des souffleurs et du guitariste. Tout cela flirte joyeusement avec le jazz, le funk et se déguste avec grand plaisir à l’heure de l’apéritif. Toujours dans le festif, mais nettement plus jazz, le Cubop de Ernie Hammes (featuring entre autres le pianiste français Pierre-Alain Goualch et le ténor allemand Johannes Müller) était chargé de clore ce meeting. Virtuose de la trompette à la réputation internationale, Hammes mène ce sextet afro-cubain et paneuropéen avec une maestria remarquable, perpétuant sans passéisme une tradition qu’il a apprise auprès de Dizzy Gillespie ou Maynard Ferguson. Inutile de dire que le niveau de cohésion du groupe comme celui des solos était d’un niveau hautement professionnel et cette musique chaleureuse ouvrait idéalement une après-midi douce et ensoleillée dans le Grund, cette étroite vallée qui coupe en deux la capitale du Luxembourg et où se niche l’abbaye de Neumünster. Au total ce « meeting » peut donc être considéré comme une belle réussite qui montra au reste de l’Europe que l’un de ses plus petits pays recèle d’excellents musiciens dont les groupes sont souvent largement ouverts aux instrumentistes des pays voisins, ce qui est loin d’être le cas partout. Thierry Quénum
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Luxembourg Jazz Meeting. Luxembourg, Abbaye de Neumünster, 28 -30/09.
Comme c’est la première année que — grâce à la récente création de music :LX, le Bureau Export de la Musique Luxembourgeoise — les responsables du jazz du Grand-Duché ont la possibilité d’organiser un Luxembourg Jazz Meeting (il existe déjà un Dutch Jazz Meeting à Amsterdam, un Belgian Jazz Meeting à Bruges, un German Jazz Meting à Brème…), ils ont mis les petits plats dans les grands, invité plusieurs dizaines de journalistes et décideurs européens (France, Allemagne, République Tchèque, Royaume-Uni, Belgique, Japon…) et convoqué jusqu’à une demi-douzaine de musiciens locaux par soirée (à raison d’un showcase d’une demi-heure chacun).
Un programme copieux et varié, donc, qui débutait par un duo de contrebasses inédit entre Marc Demuth et le Québécois Alain Bédard. Un duo à l’ancienne (qui aurait d’ailleurs pu se faire dans des conditions totalement acoustiques), mélodique à souhait, où la rondeur sonore des « grand-mères » alternant solos et accompagnement servit de hors-d’œuvre tout en sérénité veloutée à cette soirée inaugurale. 4s — David Ascani (s), Jérome Klein (p), Pol Belardi (bass), Niels Engel (dm) —, le quartet qui suivait était nettement plus dans l’air du temps : courtes cellules mélodico-rythmiques, frappe volontiers binaire du batteur et accords ou single lines d’influence classique du piano derrière un sax qui fait monter la tension sans éviter quelques clichés du genre tandis que la basse électrique distille un groove souple. Mais il y a, par-delà ce côté juvénile, un son de groupe, une énergie et une volonté de proposer des arrangements qui tirent parti de combinaisons sonores originales. Tout cela est plutôt prometteur de la part d’un jeune quartet qui n’a pas encore enregistré. Le trio du pianiste Michel Reis (au sein duquel on retrouve Marc Demuth et qui vient d’enregistrer pour le label Laborie un disque à paraître en janvier prochain) affiche aussi de nettes influences classiques ainsi qu’une virtuosité instrumentale qui pourrait devenir envahissante si le propos mélodique et harmonique n’était aussi dense et d’une intensité émotionnelle aussi forte. On se laisse facilement entraîner par ce flot de notes et de rythmes aux accents accrocheurs, puis on attend que ça respire un peu… mais ce ne sera pas vraiment le cas durant la courte demi-heure impartie à la prestation de chaque groupe. Dommage, car les qualités de ce trio mériteraient autre chose que cet effet de trop plein. Reis, Demuth et le batteur Paul Wiltgen sont tous trois d’excellents musiciens au potentiel indéniable, qui pourraient se permettre d’intégrer le silence comme quatrième partenaire. C’est d’ailleurs ce que fit Michel Reis un peu plus tard au cours d’un solo d’un seul tenant, sans pour autant se départir d’une approche très classique de l’instrument (toucher subtil, phrasés acrobatiques, belles conduites de voix…) où la part de l’improvisation semblait minime et sur laquelle planait l’ombre de Keith Jarrett. Le quartet de Maxime Bender (ts, ss) a commencé depuis quelque temps à se faire un nom par-delà les frontières du Luxembourg. Il faut dire que la sonorité chaleureuse et le phrasé intelligemment post-coltranien de son leader peuvent difficilement laisser insensibles, d’autant que le discours du saxophoniste est constamment inventif. Secondé par les voicings originaux et le placement rythmique impeccable de l’excellent pianiste allemand Max Sternal, épaulé par une paire rythmique de premier ordre — Markus Braun (b), Silvio Morger (dm) —, Bender n’eut aucune peine à convaincre, en quelques dizaines de minutes, que sa formation était une des plus intéressantes que le Grand-Duché ait à proposer.
Que dire de Saxitude, le quartet de saxes 100% luxembourgeois qui inaugurait la seconde soirée, sinon qu’il s’agit d’un ensemble sympathique au répertoire varié (Bird, standards, funk, compos perso) qui joue avec enthousiasme et savoir-faire des arrangements assez carrés et laissant peu de place à l’improvisation. Pas de quoi effrayer la concurrence internationale, donc, ni pousser le public dans ses retranchements. Le duo de Pascal Schumacher et de Sylvain Rifflet , quant à lui, possède d’emblée une identité sonore unique. Le timbre du ténor — qui multiplie effets de souffles, bruitages et explorations de l’aigu de sa tessiture — et celui du vibraphone, tout en résonances et suspensions harmoniques, se marient de belle manière sur des thèmes mélodiques d’une grande simplicité auxquels s’ajoutent quelques percussions pour créer un univers très personnel et fascinant. Autre duo franco/luxembourgeois (Apfelbaum), autre vibraphoniste (Jérôme Klein, qu’on avait entendu comme pianiste la veille au sein de 4s), flanqué de la chanteuse Célia Tranchand, et autre ambiance intimiste où la voix encore un peu verte module paroles ou syllabes avec un phrasé tout en délicatesse tandis que son partenaire tisse de subtiles trames harmoniques et rythmiques parfois doublées de lignes de basse grâce à un système électronique. Un contexte épuré où le minimalisme n’empêche en rien la musique de déployer ses charmes. Suivait un trio en apparence free mené par un alto au débit fluide et véloce où affleurent — sur un « Lennie’s Pennie » de Tristano qui se dévoile petit à petit — des bribes de phrases parkériennes, soutenu par une rythmique souple et flexible qui épouse les moindres variations d’intensité ou de tempo du souffleur : c’est Roby Glod, quadragénaire, quasi vétéran de la scène luxembourgeoise et toujours formidable saxophoniste (je l’avais découvert voici quelque 25 ans à Metz et il fit longtemps partie du Jazztet de Bernard Struber à Strasbourg) revenu au pays. Au soprano, le leader affiche une liberté encore plus grande sur un de ses thèmes et la rythmique — Christian Ramon (b), Klaus Kugek (dm) — atteint un niveau d’intensité optimal. Puis retour à l’alto et à une composition de Lee Konitz que le trio s’approprie magistralement. Il n’est bien sûr pas indifférent qu’il s’agisse là des musiciens les plus âgés entendus depuis la veille au soir. Les premiers, donc, à puiser dans des racines (cool, free…) que leurs cadets semblent ignorer, sans en faire leur religion mais en y ancrant leur mode de jeu, leur interaction, leur rapport au son… Belle leçon, donc, mais la jeune génération (luxembourgeoise) du jazz est-elle là pour l’entendre ? Pas pour en tirer encore profit, en tout cas, comme le montra juste après le trio luxembourgo/franco/allemand formé par Maxime Bender, Oliver Lutz (b) et Anne Pacéo (dm) qui, en comparaison, sembla franchement propret (quelles que soient par ailleurs les qualités de ses membres). Malgré la belle énergie déployée, le peu d’intérêt des compositions et l’impression que le jeu du sax et de la batterie reposait essentiellement sur des plans bien rôdés plutôt que sur une véritable interaction finirent par engendrer l’ennui.
Le lendemain, c’est en fin de matinée et en tout début d’après-midi que se terminait ce Luxembourg Jazz Meeting avec deux formations hautes en couleur. Le Benoît Martiny Band est un quintet à deux saxes, contrebasse et guitare au son très rock, mené par un batteur leader à l’énergie inépuisable, et qui distille une sorte de rock/blues puissant et lyrique
strié de solos flamboyants des souffleurs et du guitariste. Tout cela flirte joyeusement avec le jazz, le funk et se déguste avec grand plaisir à l’heure de l’apéritif. Toujours dans le festif, mais nettement plus jazz, le Cubop de Ernie Hammes (featuring entre autres le pianiste français Pierre-Alain Goualch et le ténor allemand Johannes Müller) était chargé de clore ce meeting. Virtuose de la trompette à la réputation internationale, Hammes mène ce sextet afro-cubain et paneuropéen avec une maestria remarquable, perpétuant sans passéisme une tradition qu’il a apprise auprès de Dizzy Gillespie ou Maynard Ferguson. Inutile de dire que le niveau de cohésion du groupe comme celui des solos était d’un niveau hautement professionnel et cette musique chaleureuse ouvrait idéalement une après-midi douce et ensoleillée dans le Grund, cette étroite vallée qui coupe en deux la capitale du Luxembourg et où se niche l’abbaye de Neumünster. Au total ce « meeting » peut donc être considéré comme une belle réussite qui montra au reste de l’Europe que l’un de ses plus petits pays recèle d’excellents musiciens dont les groupes sont souvent largement ouverts aux instrumentistes des pays voisins, ce qui est loin d’être le cas partout. Thierry Quénum
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Luxembourg Jazz Meeting. Luxembourg, Abbaye de Neumünster, 28 -30/09.
Comme c’est la première année que — grâce à la récente création de music :LX, le Bureau Export de la Musique Luxembourgeoise — les responsables du jazz du Grand-Duché ont la possibilité d’organiser un Luxembourg Jazz Meeting (il existe déjà un Dutch Jazz Meeting à Amsterdam, un Belgian Jazz Meeting à Bruges, un German Jazz Meting à Brème…), ils ont mis les petits plats dans les grands, invité plusieurs dizaines de journalistes et décideurs européens (France, Allemagne, République Tchèque, Royaume-Uni, Belgique, Japon…) et convoqué jusqu’à une demi-douzaine de musiciens locaux par soirée (à raison d’un showcase d’une demi-heure chacun).
Un programme copieux et varié, donc, qui débutait par un duo de contrebasses inédit entre Marc Demuth et le Québécois Alain Bédard. Un duo à l’ancienne (qui aurait d’ailleurs pu se faire dans des conditions totalement acoustiques), mélodique à souhait, où la rondeur sonore des « grand-mères » alternant solos et accompagnement servit de hors-d’œuvre tout en sérénité veloutée à cette soirée inaugurale. 4s — David Ascani (s), Jérome Klein (p), Pol Belardi (bass), Niels Engel (dm) —, le quartet qui suivait était nettement plus dans l’air du temps : courtes cellules mélodico-rythmiques, frappe volontiers binaire du batteur et accords ou single lines d’influence classique du piano derrière un sax qui fait monter la tension sans éviter quelques clichés du genre tandis que la basse électrique distille un groove souple. Mais il y a, par-delà ce côté juvénile, un son de groupe, une énergie et une volonté de proposer des arrangements qui tirent parti de combinaisons sonores originales. Tout cela est plutôt prometteur de la part d’un jeune quartet qui n’a pas encore enregistré. Le trio du pianiste Michel Reis (au sein duquel on retrouve Marc Demuth et qui vient d’enregistrer pour le label Laborie un disque à paraître en janvier prochain) affiche aussi de nettes influences classiques ainsi qu’une virtuosité instrumentale qui pourrait devenir envahissante si le propos mélodique et harmonique n’était aussi dense et d’une intensité émotionnelle aussi forte. On se laisse facilement entraîner par ce flot de notes et de rythmes aux accents accrocheurs, puis on attend que ça respire un peu… mais ce ne sera pas vraiment le cas durant la courte demi-heure impartie à la prestation de chaque groupe. Dommage, car les qualités de ce trio mériteraient autre chose que cet effet de trop plein. Reis, Demuth et le batteur Paul Wiltgen sont tous trois d’excellents musiciens au potentiel indéniable, qui pourraient se permettre d’intégrer le silence comme quatrième partenaire. C’est d’ailleurs ce que fit Michel Reis un peu plus tard au cours d’un solo d’un seul tenant, sans pour autant se départir d’une approche très classique de l’instrument (toucher subtil, phrasés acrobatiques, belles conduites de voix…) où la part de l’improvisation semblait minime et sur laquelle planait l’ombre de Keith Jarrett. Le quartet de Maxime Bender (ts, ss) a commencé depuis quelque temps à se faire un nom par-delà les frontières du Luxembourg. Il faut dire que la sonorité chaleureuse et le phrasé intelligemment post-coltranien de son leader peuvent difficilement laisser insensibles, d’autant que le discours du saxophoniste est constamment inventif. Secondé par les voicings originaux et le placement rythmique impeccable de l’excellent pianiste allemand Max Sternal, épaulé par une paire rythmique de premier ordre — Markus Braun (b), Silvio Morger (dm) —, Bender n’eut aucune peine à convaincre, en quelques dizaines de minutes, que sa formation était une des plus intéressantes que le Grand-Duché ait à proposer.
Que dire de Saxitude, le quartet de saxes 100% luxembourgeois qui inaugurait la seconde soirée, sinon qu’il s’agit d’un ensemble sympathique au répertoire varié (Bird, standards, funk, compos perso) qui joue avec enthousiasme et savoir-faire des arrangements assez carrés et laissant peu de place à l’improvisation. Pas de quoi effrayer la concurrence internationale, donc, ni pousser le public dans ses retranchements. Le duo de Pascal Schumacher et de Sylvain Rifflet , quant à lui, possède d’emblée une identité sonore unique. Le timbre du ténor — qui multiplie effets de souffles, bruitages et explorations de l’aigu de sa tessiture — et celui du vibraphone, tout en résonances et suspensions harmoniques, se marient de belle manière sur des thèmes mélodiques d’une grande simplicité auxquels s’ajoutent quelques percussions pour créer un univers très personnel et fascinant. Autre duo franco/luxembourgeois (Apfelbaum), autre vibraphoniste (Jérôme Klein, qu’on avait entendu comme pianiste la veille au sein de 4s), flanqué de la chanteuse Célia Tranchand, et autre ambiance intimiste où la voix encore un peu verte module paroles ou syllabes avec un phrasé tout en délicatesse tandis que son partenaire tisse de subtiles trames harmoniques et rythmiques parfois doublées de lignes de basse grâce à un système électronique. Un contexte épuré où le minimalisme n’empêche en rien la musique de déployer ses charmes. Suivait un trio en apparence free mené par un alto au débit fluide et véloce où affleurent — sur un « Lennie’s Pennie » de Tristano qui se dévoile petit à petit — des bribes de phrases parkériennes, soutenu par une rythmique souple et flexible qui épouse les moindres variations d’intensité ou de tempo du souffleur : c’est Roby Glod, quadragénaire, quasi vétéran de la scène luxembourgeoise et toujours formidable saxophoniste (je l’avais découvert voici quelque 25 ans à Metz et il fit longtemps partie du Jazztet de Bernard Struber à Strasbourg) revenu au pays. Au soprano, le leader affiche une liberté encore plus grande sur un de ses thèmes et la rythmique — Christian Ramon (b), Klaus Kugek (dm) — atteint un niveau d’intensité optimal. Puis retour à l’alto et à une composition de Lee Konitz que le trio s’approprie magistralement. Il n’est bien sûr pas indifférent qu’il s’agisse là des musiciens les plus âgés entendus depuis la veille au soir. Les premiers, donc, à puiser dans des racines (cool, free…) que leurs cadets semblent ignorer, sans en faire leur religion mais en y ancrant leur mode de jeu, leur interaction, leur rapport au son… Belle leçon, donc, mais la jeune génération (luxembourgeoise) du jazz est-elle là pour l’entendre ? Pas pour en tirer encore profit, en tout cas, comme le montra juste après le trio luxembourgo/franco/allemand formé par Maxime Bender, Oliver Lutz (b) et Anne Pacéo (dm) qui, en comparaison, sembla franchement propret (quelles que soient par ailleurs les qualités de ses membres). Malgré la belle énergie déployée, le peu d’intérêt des compositions et l’impression que le jeu du sax et de la batterie reposait essentiellement sur des plans bien rôdés plutôt que sur une véritable interaction finirent par engendrer l’ennui.
Le lendemain, c’est en fin de matinée et en tout début d’après-midi que se terminait ce Luxembourg Jazz Meeting avec deux formations hautes en couleur. Le Benoît Martiny Band est un quintet à deux saxes, contrebasse et guitare au son très rock, mené par un batteur leader à l’énergie inépuisable, et qui distille une sorte de rock/blues puissant et lyrique
strié de solos flamboyants des souffleurs et du guitariste. Tout cela flirte joyeusement avec le jazz, le funk et se déguste avec grand plaisir à l’heure de l’apéritif. Toujours dans le festif, mais nettement plus jazz, le Cubop de Ernie Hammes (featuring entre autres le pianiste français Pierre-Alain Goualch et le ténor allemand Johannes Müller) était chargé de clore ce meeting. Virtuose de la trompette à la réputation internationale, Hammes mène ce sextet afro-cubain et paneuropéen avec une maestria remarquable, perpétuant sans passéisme une tradition qu’il a apprise auprès de Dizzy Gillespie ou Maynard Ferguson. Inutile de dire que le niveau de cohésion du groupe comme celui des solos était d’un niveau hautement professionnel et cette musique chaleureuse ouvrait idéalement une après-midi douce et ensoleillée dans le Grund, cette étroite vallée qui coupe en deux la capitale du Luxembourg et où se niche l’abbaye de Neumünster. Au total ce « meeting » peut donc être considéré comme une belle réussite qui montra au reste de l’Europe que l’un de ses plus petits pays recèle d’excellents musiciens dont les groupes sont souvent largement ouverts aux instrumentistes des pays voisins, ce qui est loin d’être le cas partout. Thierry Quénum