Magnifique Yoann Loustalot au Studio de l’Ermitage!
Yoann Loustalot présentait au Studio de l’Ermitage son dernier disque, Slow, qui est une superbe réussite.
Yoann Loustalot (trompette et bugle), Julien Touéry (piano), Eric Surmenian (basse), Laurent Paris (batterie), Studio de l’Ermitage, 30 mai 2019
Ecoutant Yoann Loustalot ce soir au Studio de l’Ermitage, je me disais que le trompettiste-bugliste était sans doute au sommet de son art. Il semble avoir élargi le registre de sa trompette, avec des aigus déchirants et des graves encore plus riches (les deux marchent ensemble) mais il me semble surtout que le son qu’il produit est plus large.
On sent que Loustalot met sa chair dans chaque note. Ses notes ont plus de poids,plus de densité, plus de corps. Elles semblent se matérialiser devant nous pendant qu’il les travaille comme un sculpteur. Sur le premier morceau, Table rase, il est au bugle. Sur le deuxième, Fjords, à la trompette. Loustalot, trompettiste-bugliste, emploie les deux instruments à part égales, ce qui est assez rare dans la corporation des soufflants. Du reste, le son qui sort de son bugle n’est pas si éloigné de celui qu’il produit avec la trompette.
Il travaille volontiers dans les graves et dans les médiums, un peu à l’étouffée, aime voiler et nasaliser sa sonorité, en particulier par un jeu sur les demi-piston qui efface la brutalité des attaques et donne un effet de brouillard à son phrasé. Tout cela lui confère un style expressif, poétique, un peu nuageux: mais pas des nuages éthérés genre cirrus, non plutôt des nuages charnus que l’on pourrait toucher, des nuages avec charpente métallique (j’ai pas fumé). Et au milieu de cette ouate, des stridences soudaines qui tombent comme la foudre.
Au piano, Julien Touery le suit comme son ombre, avec une manière de développer ou de prolonger les phrases de la trompette qui fonctionne très bien, car ses virevoltes debussystes complètent superbement la densité des phrases de Loustalot. C’est d’ailleurs Touery qui a composé ce qui est à mon avis le morceau le plus réussi de l’album, le très beau Fjords, avec sa mélodie lente, répétitive, prenante qu’il est impossible d’oublier après l’avoir entendue. Evidemment, une musique aussi contemplative ne saurait tolérer un frappeur d’enclumes.
Laurent Paris, à la batterie, montre toute la subtilité requise (quelle remarquable palette de frottements, grincements, éraflures!) . Le contrebassiste Eric Surmenian est lui aussi sur cette même longueur d’ondes poétiques (il nous gratifie pour le cinquième ou sixième morceau, Vers le nord, d’une bouleversante introduction à l’archet). A la fin je me dis que cette musique contemplative n’est finalement pas si lente. Quand c’est beau, ça passe vite…
Post-scriptum: En première partie, l’incroyable Joseph Dumoulin a montré tout ce qu’il pouvait faire, tout seul, avec son fender rhodes augmenté de machines diverses. Jouant une musique pleine de péripéties sonores, ressemblant tantôt à des chants bouddistes distordus, tantôt à des chants ethniques passés à la moulinette, tantôt à des échos de techno dans la nuit berlinoise, avec des moments troublants aussi de sérénité poétique. C’est étrange et fascinant. Il ne cesse de visser et de dévisser ses boutons de règlage avec une imperturbable concentration. Il sait obtenir aussi d’étonnantes lignes de percussions à base de sons technoïdes crépitants et distordus, malaxés, étirés. Il sait admirablement faire se faufiler des bribes de mélodies entre des sons qui m’évoquent une crise d’épilepsie de R2-D2 le petit robot de la guerre des étoiles. Après l’avoir écouté pendant une heure, on à l’impression d’avoir fait quatorze fois le tour de la galaxie Andromède. Joseph Dumoulin, c’est un voyage à lui tout seul.
Texte: JF Mondot
Dessins : Annie-Claire Alvoët (On peut découvrir ses autres dessins, peintures, gravures sur son site www.annie-claire.com, ou aller au Sunset-Sunside où une exposition est en cours sur les deux niveaux du club)