Malguenac 2023 : l’année de l’Octopus, 2ème chapitre
Hier, Malguenac, Arts des villes, Arts des champs, Jazz et alentours, 26 édition, 2ème journée, le Grand Jazz incarné par le trio d’Antonio Farao. On oublie les alentours.
On a trainé à table. Même pas une deuxième galette, mais laissé le temps s’écouler sur le bord du Blavet. Le jazz attendrait bien un peu. Antonio Farao, un nom parmi la liste de la multitude des pianistes qui se sont succédés dans nos pages depuis qu’il a remporté, déjà trentenaire en 1998 (il est né en 1965), le 1er prix du Concours de piano jazz Martial Solal, et enregistré dans la foulée en trio avec Ira Coleman et Jeff “Tain” Watts (“Black Inside” chez Enja) et avec Jean-Jacques Avenel et Daniel Humair (“Borderlines” chez Sketch). On en oubliai presque qu’il avait été dès 1997 le pianiste d’André Ceccarelli (“West Side Story” chez Cristal). Puis s’ensuivrait “Thorn” avec Chris Potter, Drew Gress et Jack DeJohnette (Enja) et pour n’en citer que quelques uns “Takes of Pasolini” avec Miroslav Vitous et Daniel Humair (CamJazz)… Quelques disques dormant probablement et discrètement parmi mes quelques 20 000 CD.
En outre, on avait appris que la rythmique annoncée – Ira Coleman et Billy Hart – ne serait pas là… Et l’on avait d’autant plus pris son temps.
Lorsque l’on est arrivé, une saveur s’est imposée, comme à la porte des grands cuisiniers quand ils travaillent un classique de tous les jours, mais tellement à leur manière qu’on hésite à en réduire les arômes à ce que l’on en connaît déjà sur la table de Maman… Et la mélodie de Les Feuilles mortes ne s’impose à l’évidence qu’au retour de l’exposé qui vient trahir le méconnaissable. Alors on s’en veut d’arriver ainsi à la sauvette au milieu d’un tel festin qui se poursuit par une suite d’originaux exaltant tantôt par leur vivacité, tantôt par leur tendresse, jusqu’à un sprint final foudroyant sur le Steps de Chick Corea qui nous paraissait intouchable depuis “Now He Sings Now He Sobs”.
Et, en effet, si Farao s’autorise le tempo lent de la ballade sous un toucher admirable (et l’on pense ici plus à Bill Evans qu’à Jarrett), sa vivacité et son audace nous évoquera plutôt une oscillation entre Martial et Keith, si l’on nous permet cette facilité faute d’arguments. En fait, on ne pense à aucun des deux, pas plus que ça n’oscille… C’est franc, c’est ferme, jusque dans l’expression de mille ambiguïtés qui nous ravissent dans cette relation des mains tantôt, voire tout à la fois, autonomes et solidaires, l’une nourrissant l’autre. Et si ça joue vite, et si ça joue beaucoup, ça n’est pas trop, ça n’est pas trop plein, c’est une plénitude d’impatience devant les idées qui se présentent, d’ailleurs sans se bousculer, tant la fougue est tenue ici par d’une part une discipline très sportive du piano et d’autre part une pensée pianistique et musicale très clairvoyante quant aux décisions et directions qu’elle prend.
Tout ça dans une discours collectif très cohérent, en partenariat avec une rythmique régulière, – Yuri Goulubev (contrebasse) et Vladimir Kostadinovic (batterie) –, réactive, interactive comme on dit, avec un beau sens de l’espace, un son de contrebasse hélas un peu loin du bois, une batterie musicale de la répartie au solo. Mais quelle idée d’avoir ainsi la fine bouche ?
On s’est laissé embarquer par ce grand jazz, et l’on a oublié le reste et les “alentours” pour filer ensuite heureux dans la campagne mouillée, préférant les grillons de nos chers acouphènes aux sonorisations apocalyptiques et à l’aberrant light show* de la suite du programme. Franck Bergerot
* Étonnante et infantile obsession de beaucoup d’éclairagistes de coller à des musiques dont il ne savent rien, courant après l’événement dont ils ne comprennent pas la chronologie, poursuivant à la va comme je te pousse le tempo, lorsqu’ils le saisissent, avec des clignotements qui ne relèvent même pas du contretemps et qui viennent aveugler les spectateurs, non seulement obligés de se protéger les oreilles mais en outre de fermer les yeux.