Malguenac 2023 : l’année de l’Octopus, 3ème chapitre
Ce samedi 19 août, pour la dernière soirée de concerts du festival de Malguénac sous-titré “Jazz et alentours”, les alentours avaient pris le dessus et l’on ne s’en est pas plaint.
Traditionnellement, la soirée du samedi à Malguenac est une soirée festive, dans cet équilibre perpétuellement réajusté entre le jazz et ses alentours, parfois lointains, dont résulte ce mélange générationnel qui en constitue le public. Si je me suis souvent abstenu d’assister à cette troisième soirée par absence tantôt d’appétence, tantôt de compétence, parfois les deux, parfois ni l’un ni l’autre, c’est néanmoins souvent dans cette délicate balance que j’ai trouvé mon compte de musique dans ce petit village du Centre Bretagne, entre Chris Potter et Erwan Keravec, Brian Blade et Jacques Pellen, Hélène Labarrière et Selamnesh Zemene, Marc Ducret et Charka, Craig Taborn et Gangbé Brass Band, Oli Steidle et Pauline Willerval.
Hier, j’étais reparti fâché par la sonorisation éléphantesque du groupe Sarab et peut-être par le bric-à-brac de ce répertoire bien intentionné (peut-être gâché à mes oreilles par cette sonorisation) et j’ai regretté de n’avoir pas attendu l’intermède de Gerald, quartette adolescent dont les musiciens ne se présentent que sous leurs seuls prénoms, et qui n’a pas dû faire dans la dentelle au niveau sonorisation. Mais ce “rock” s’affichant comme “expérimental”, m’interpelait par une remise en cause revendiquée des fonctions instrumentales et l’influence d’“alentours” aussi divers que Miles Davis, King Crimson, Michel Sardou et Claude Debussy. Leur Fire in a Madhouse sur Youtube n’est pas ce que j’écouterais le plus spontanément, mais à l’échelle de ce que l’on entend aujourd’hui par “alentours” dans les festivals de jazz qui n’en sont plus, ce groupe est probablement à suivre.
Mais venons-en à cette soirée du 19 août qui commença très “alentours”, voire “au-delà” (mais tout près de cet ici qu’est Malguenac puisque sur le registre bretonnant), avec un quintette de cinq femmes Kaolila : on aurait envie de recourir à toutes les ressources de l’argot de comptoir pour désigner ces fortes en gueule, belles et puissantes, arrogantes, insolentes, effrontées, irrévérencieuses, facétieuses, fripouilles, drôlesses et hilarantes… dans un troublant double jeu oscillant entre le drame et la farce, entre la Bretagne de toujours et le monde contemporain vu par Shakespeare ou Goldoni. Deux voix – Arzela Abiven et Marion Guen – comme au festnoz pour chanter le kan ha diskan, qu’elles ont pratiqué, mais qu’elles tiennent à distance, car si elles l’évoquent par leur répartie musicale et leur recours à la langue bretonne, leur penchant naturel les portent à la polyphonie et à l’art dramatique. De leurs commentaires en français à leurs textes chantés en breton, ces deux commères ne sont pas sans évoquer la gouaille des deux lavandières d’Anna Livia Plurabelle, celle d’un James Joyce à l’heure de « Balance ton porc », où l’esprit de la jazz cantata d’André Hodeir aurait été supplanté par un mélange de punk music et de progressive rock, tendance Canterbury, sans batterie : la guitare électro-acoustique d’Hélène Brunet y suffit, vive, puissante et, comme à son habitude sans cliché, complice de la basse de Faustine Audebert d’une efficacité concise, précise et affranchie. L’archet louisano-irlando-appalachien de Nicola Haynes tisse une toile de fond sonore iconoclaste à ce répertoire de tragédies bouffe. Rappel enthousiaste, les deux chanteuses viennent au pied de l’estrade chanter sans micro et a capella avec la troisième chanteuse du groupe, Faustine Audebert, jusque-là discrète et qui vient timbrer admirablement les voix de ses deux consœurs en un splendide trio vocal évoquant les grandes heures du folk anglo-irlandais.
Après cette orage musical, on s’est laissé bercer à l’écoute soyeuse du chant, des lectures, de la contrebasse de Sélène Sainte-Aimé, des peaux lyriques de Boris Reine-Adélaïde (tambour bélé) et d’Adrien Sanchez (saxophone ténor), un formule audacieuse et courageuse où le nouveau venu, l’admirable Sanchez donnait cette impression passionnante de se trouver.
Puis l’heure est venue du bal poussière animé par Jupiter & Owkess, entendez par-là le groupe survolté du chanteur et animateur Jupiter Bokondji. Une énergie joyeuse et éreintante qui m’a englouti dans la foule des danseurs se pressant au pied de la scène et d’où, à un moment donné, sans attendre les deux groupes programmés respectivement à 23h (Dynamite Shakers) et 0h15 (Casey & Ausgang), j’ai dû être expulsé jusqu’à ma maisonnette. Je m’y suis réveillé à quinze kilomètres de Malguenac, pour découvrir ce compte rendu déjà tout rédigé sur mon ordinateur. Franck Bergerot