Malguénac 20ème, avec Leïla Martial, Mark Guiliana et Freaks
À Malguénac, à l’est de Pontivy, le festival “Arts des villes / Arts des champs”, enraciné dans son territoire, loin des grosses machine touristiques, rejoue sa dominante “jazz” mais pas “jazzy”. Hier soir Leïla Martial invitait Emile Parisien, Mark Guiliana présentait son Jazz Quartet et Théo Ceccaldi ses Freaks. Ce soir : le duo Madeleine et Salomon, le quartette de Vincent Lê Quang et Sons Of Kemet de Shabka Hutchings.
Je n’étais pas à la première édition, mais je me souviens avoir un beau soir de fin août quitté ma maisonnette bretonne pour ce qui – au bout d’une route tortueuse et déserte – me semblait être un pays inconnu, dont la plaque m’est apparu à l’extrémité d’une longue dernière ligne droite, sous le couvert de grands arbres, qui m’avait semblé interminable, comme menant au bout du monde: Malguénac. J’ai raconté depuis, chaque été sur ce blog, ces programmations se recoupant souvent avec les coups de cœur de Jazz Magazine, cette ambiance, cette proximité et cet accueil des artistes qui ne veulent plus partir, comme Leïla Martial présente cette année pour les trois jours (elle l’annonce sur scène comme une adhésion), qui renvoient leur cachet l’année où le président comble le déficit en puisant dans son compte d’épargne, ou encore comme Hélène Labarrière qui vient camper sur place pour se joindre à l’équipe des bénévoles. Tarte à la crème que le couplet sur les bénévoles… Lorsqu’un Mark Guiliana passé par Montréal, Malte, le North Sea et Middelheim avant de se rendre à Jazz à La Villette, prend le temps de saluer ces même qualités, on sait qu’ici l’accueil, c’est pas de la tarte et que la musique s’en ressent.
Leïla Martial Baa Box : Leïla Martial (chant, électronique), Eric Perez (batterie, chœurs, électronique), Pierre Tereygeol (guitare électrique, électronique, chœurs). Invité : Emile Parisien (sax soprano).
Dans les comptes rendus que j’ai déjà pu faire sur ce blog, j’ai insisté sur l’élan, la spontanéité, la fraîcheur, la folle fantaisie de Leïla Martial… ce qui pourrait presque laisser entendre qu’on excuse là une forme d’immaturité. Ce n’était pas mon propos qui était plutôt déjà celui d’un certain aboutissement et même d’une promesse. Hier soir, sans rien retirer aux qualités énoncées ci-dessus, c’est la mot de “maîtrise” qui me vient à l’esprit, dans l’art vocal, dans l’art d’inventer un langage d’onomatopées qui lui appartient en propre, voire des langues imaginaires, des présentations (lorsqu’elle appelle Emile Parisien à la rejoindre sur scène) dont le sens se dérègle progressivement pour n’être plus que son et rythme, dans cet usage très savant de l’électronique et cette façon de chanter avec elle-même où l’on ne sait plus qui chante quoi, elle-en-vrai ou le séquenceur-sampleur-générateur-je-ne-sais-quoi qu’elle semble guider des gestes de sa main comme si elle jouait d’une sorte de Theremin… Jouer avec elle-même ? Mais elle joue aussi avec les autres, qui jouent avec elle. Car cette art de se multiplier s’intègre à un son orchestral d’une grande cohésion, des instruments réels aux virtuels en passant par les chœurs ajoutés de ses partenaires avec un goût très sûr. Plus l’Emile qui débarque là en ami, en complice, comme s’il était chez lui… Emile Parisien habite toujours intensément le présent, quel qu’il soit, mais entre le saxophoniste et la chanteuse, il y a en plus une vieille amitié.
Soit un grand art, très en main au profit d’une émotion à fleur de peau, d’une magie qu’hélas, la sonorisation met à mal. C’est très fort. Emile Parisien rencontré au bar en conviendra. D’une part, c’est physiquement trop fort, et à cette habitude on le paiera tous (j’ai déjà bien commencé), d’autre part, c’est la musique qui paie, de sa proximité, de sa magie, de sa tendresse, de ses nuances. Lorsqu’un pianissimo sonne d’emblée triple forte, c’est la musique et ses charmes que l’on écrase et que l’on éloigne, alors que rien dans la musique de Leïla Martial rien ne justifie, ni cette puissance, ni cette disproportion des basses (notamment entre la corde grave de la guitare et les autres cordes), alors que la qualité de Malguénac, c’est justement ce sens de la proximité et des proportions.
Petite parenthèse: chez l’ORL
Acouphènes (rien de bien grave, de gentils grillons, l’impression qu’une voix parle dans un poste de radio allumé dans la pièce d’à côté… Dieu soit loué qui ne m’a pas encore ordonné de bouter les Anglais hors du Royaume de France) , difficultés croissantes à suivre une conversation à plus de trois personnes… Visite chez l’ORL muni d’un audiogramme : « Qu’est-ce qui vous arrive ? Je vois une perte générale normale à votre âge… mais là où habituellement, la perte s’accentue dans l’aigu, c’est le medium aigu qui est exagérément affecté – J’évite d’écouter au casque, je ne fréquente pas les concerts de rock et je préfère les clubs de jazz aux grosse sonos des grands festivals [je n’ose avouer le concours biniou bombarde de Saint-Yves-en-Bubry, lorsque la pluie impose de se réfugier en intérieur] – Ah ! les clubs je les fréquente aussi beaucoup, j’ai à peu près votre âge et je porte des filtres depuis 10 ans. Je vais vous en prescrire. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est ce trou à droite. » Resurgit le souvenir très précis d’un concert de Quest au Sunset où l’on m’avait accordé une place privilégié, tout contre l’une des cymbales de Billy Hart… Et s’il sait jouer pianissimo, le Billy a aussi des fortissimo redoutables. Bref, je ne me déplace plus sans mes protections moulées sur mesure, que je rechigne à mettre… Par comparaison, le préservatif c’est le comble de la sensualité. Ce soir, je m’y résous à regret, au risque d’accentuer encore cet écart entre basse et aigu qui devient grotesque.
Entracte et buvette au son de DeuJeuReu sur la scène extérieure, duo de Jeff Alluin (claviers, machines, casque, oreilles de chien [sic]), Raphaël Cheve (batterie, voix, mulet, chat peau [resic]) : entre rock progressif et drum’n’bass, un exercice d’improvisation drôle et joyeux.
Mark Guiliana Jazz Quartet : Josh Arcocelo (sax ténor), Sam Crowe (piano), Jasper Hoiby (contrebasse), Mark Guiliana (batterie).
Il me semble me souvenir que c’est à Malguénac que j’ai entendu pour la première fois Mark Guiliana au sein du trio d’Avishai Cohen, lors d’un concert qui m’avait passablement agacé et dont je n’avais retenu que la partie de batterie, fascinante, de Guiliana. Hier soir, le quartette annoncé nous promettait Fabian Almazan qu’il me tardait de réentendre après l’avoir découvert auprès de Terence Blanchard. Las, c’est un tout autre personne qui constitue ce Jazz Quartet. Ténor au lyrisme brut, qui impose quelque chose de tranquille sur ces ostinatos de transe et cette frénésie de décomposition rythmique… Encore qu’ici tout soit relatif, si je compare à ce que jouait Guiliana chez Cohen ou ce qu’il joue avec Brad Mehldau. Et le mot “jazz” n’est pas vain, tant on sent la volonté de se couler dans cette tradition de rythme et de son (sonorisation encore trop puissante à mon goût, mais nettement plus raisonnable… je n’en mets pas moins mes “préservatifs”). Je reste cependant un peu sur ma fin, car si le bassiste et le batteur jouent dans un mouchoir de poche, le pianiste semble très lointain, en tout cas extérieur à cette musique dont il semble planter les clous, à quelques échappées raveliennes près “a capella”. Et lorsqu’ils reprennent le Where We Are Now de David Bowie (que Guiliana rejouera surement à Jazz à La Villette le 7 septembre et le 8 à Chanaz sur le Batojazz, avec Donny McCaslin, Jason Linder, Tim Lefebvre et le Black Star Band), c’est vers un autre artiste que mes pensées se tournent et j’imagine ce que cette mélodie donnerait sous les doigts d’Ambrose Akinmusire, Sam Harris, Harish Raghavan, Justin Brown. Mais c’est évidemment une très mauvaise idée critique que de vouloir entendre un autre concert que celui que l’on est en train d’écouter.
Théo Ceccaldi & Freaks : Théo Ceccaldi (violon, compositions), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Quentin Biardeau (sax ténor, claviers), Giani Caserotto (guitare électrique), Valentin Ceccaldi (violoncelle, horizoncelle, basse électrique), Etienne Ziemniak (batterie).
Là aussi, ça joue très fort. Moins fort me semble-t-il que Leïla Martial. « Non, beaucoup plus fort » me souffle Emile Parisien. J’ai dû m’habituer ou avoir encore perdu ce soir quelques fréquences (on nous promet de vivre vieux, aveugle et débile… il va bien falloir s’y résoudre, mais sourd, plutôt mourir !). Peut-être aussi la puissance ici se justifie-telle plus et avec des basses de proportions moins caricaturales, même les oreilles protégées (ce qui reste un façon d’écouter assez pathétique). Théo Ceccalid, sorte de Paganini post-industriel évoquant tout à la fois Frank Zappa, Dashiel Hedayat, Meshuggah, Brigitte Fontaine et Dada, soit un mélange de sauvagerie et de douceur, de sarcasme et de tendresse, mené de mains de maître (baguette, plume et archet) avec une section de saxes aux ensembles étonnamment onctueux coulés sur une rythmique soudée comme le granit. Le public, venu nombreux pour faire honneur à cette vingtième édition, en redemande et l’on s’éloigne sur un tango, tendre bouffonnerie de celles dont la réussite n’est donnée qu’aux grands.
J’ai l’habitude de terminer mes comptes rendus de Malguénac par les animaux rencontrés sur la route du retour, le plus souvent vus, parfois inventés… Je ne résisterai pas à l’envie de raconter, et cette fois je n’invente rien, que j’ai commencé ma journée en petit déjeunant dans une clairière normande devant le spectacle de deux écureuils galopins jouant à chat perché et qu’elle se termine dans la ligne droite quittant Malguénac avec un insolent derrière blanc de lapin qui, narguant mes phares sur une bonne centaine de mètres, semblait prolonger l’espièglerie narquoise de Théo Ceccaldi et ses Freaks. • Franck Bergerot|À Malguénac, à l’est de Pontivy, le festival “Arts des villes / Arts des champs”, enraciné dans son territoire, loin des grosses machine touristiques, rejoue sa dominante “jazz” mais pas “jazzy”. Hier soir Leïla Martial invitait Emile Parisien, Mark Guiliana présentait son Jazz Quartet et Théo Ceccaldi ses Freaks. Ce soir : le duo Madeleine et Salomon, le quartette de Vincent Lê Quang et Sons Of Kemet de Shabka Hutchings.
Je n’étais pas à la première édition, mais je me souviens avoir un beau soir de fin août quitté ma maisonnette bretonne pour ce qui – au bout d’une route tortueuse et déserte – me semblait être un pays inconnu, dont la plaque m’est apparu à l’extrémité d’une longue dernière ligne droite, sous le couvert de grands arbres, qui m’avait semblé interminable, comme menant au bout du monde: Malguénac. J’ai raconté depuis, chaque été sur ce blog, ces programmations se recoupant souvent avec les coups de cœur de Jazz Magazine, cette ambiance, cette proximité et cet accueil des artistes qui ne veulent plus partir, comme Leïla Martial présente cette année pour les trois jours (elle l’annonce sur scène comme une adhésion), qui renvoient leur cachet l’année où le président comble le déficit en puisant dans son compte d’épargne, ou encore comme Hélène Labarrière qui vient camper sur place pour se joindre à l’équipe des bénévoles. Tarte à la crème que le couplet sur les bénévoles… Lorsqu’un Mark Guiliana passé par Montréal, Malte, le North Sea et Middelheim avant de se rendre à Jazz à La Villette, prend le temps de saluer ces même qualités, on sait qu’ici l’accueil, c’est pas de la tarte et que la musique s’en ressent.
Leïla Martial Baa Box : Leïla Martial (chant, électronique), Eric Perez (batterie, chœurs, électronique), Pierre Tereygeol (guitare électrique, électronique, chœurs). Invité : Emile Parisien (sax soprano).
Dans les comptes rendus que j’ai déjà pu faire sur ce blog, j’ai insisté sur l’élan, la spontanéité, la fraîcheur, la folle fantaisie de Leïla Martial… ce qui pourrait presque laisser entendre qu’on excuse là une forme d’immaturité. Ce n’était pas mon propos qui était plutôt déjà celui d’un certain aboutissement et même d’une promesse. Hier soir, sans rien retirer aux qualités énoncées ci-dessus, c’est la mot de “maîtrise” qui me vient à l’esprit, dans l’art vocal, dans l’art d’inventer un langage d’onomatopées qui lui appartient en propre, voire des langues imaginaires, des présentations (lorsqu’elle appelle Emile Parisien à la rejoindre sur scène) dont le sens se dérègle progressivement pour n’être plus que son et rythme, dans cet usage très savant de l’électronique et cette façon de chanter avec elle-même où l’on ne sait plus qui chante quoi, elle-en-vrai ou le séquenceur-sampleur-générateur-je-ne-sais-quoi qu’elle semble guider des gestes de sa main comme si elle jouait d’une sorte de Theremin… Jouer avec elle-même ? Mais elle joue aussi avec les autres, qui jouent avec elle. Car cette art de se multiplier s’intègre à un son orchestral d’une grande cohésion, des instruments réels aux virtuels en passant par les chœurs ajoutés de ses partenaires avec un goût très sûr. Plus l’Emile qui débarque là en ami, en complice, comme s’il était chez lui… Emile Parisien habite toujours intensément le présent, quel qu’il soit, mais entre le saxophoniste et la chanteuse, il y a en plus une vieille amitié.
Soit un grand art, très en main au profit d’une émotion à fleur de peau, d’une magie qu’hélas, la sonorisation met à mal. C’est très fort. Emile Parisien rencontré au bar en conviendra. D’une part, c’est physiquement trop fort, et à cette habitude on le paiera tous (j’ai déjà bien commencé), d’autre part, c’est la musique qui paie, de sa proximité, de sa magie, de sa tendresse, de ses nuances. Lorsqu’un pianissimo sonne d’emblée triple forte, c’est la musique et ses charmes que l’on écrase et que l’on éloigne, alors que rien dans la musique de Leïla Martial rien ne justifie, ni cette puissance, ni cette disproportion des basses (notamment entre la corde grave de la guitare et les autres cordes), alors que la qualité de Malguénac, c’est justement ce sens de la proximité et des proportions.
Petite parenthèse: chez l’ORL
Acouphènes (rien de bien grave, de gentils grillons, l’impression qu’une voix parle dans un poste de radio allumé dans la pièce d’à côté… Dieu soit loué qui ne m’a pas encore ordonné de bouter les Anglais hors du Royaume de France) , difficultés croissantes à suivre une conversation à plus de trois personnes… Visite chez l’ORL muni d’un audiogramme : « Qu’est-ce qui vous arrive ? Je vois une perte générale normale à votre âge… mais là où habituellement, la perte s’accentue dans l’aigu, c’est le medium aigu qui est exagérément affecté – J’évite d’écouter au casque, je ne fréquente pas les concerts de rock et je préfère les clubs de jazz aux grosse sonos des grands festivals [je n’ose avouer le concours biniou bombarde de Saint-Yves-en-Bubry, lorsque la pluie impose de se réfugier en intérieur] – Ah ! les clubs je les fréquente aussi beaucoup, j’ai à peu près votre âge et je porte des filtres depuis 10 ans. Je vais vous en prescrire. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est ce trou à droite. » Resurgit le souvenir très précis d’un concert de Quest au Sunset où l’on m’avait accordé une place privilégié, tout contre l’une des cymbales de Billy Hart… Et s’il sait jouer pianissimo, le Billy a aussi des fortissimo redoutables. Bref, je ne me déplace plus sans mes protections moulées sur mesure, que je rechigne à mettre… Par comparaison, le préservatif c’est le comble de la sensualité. Ce soir, je m’y résous à regret, au risque d’accentuer encore cet écart entre basse et aigu qui devient grotesque.
Entracte et buvette au son de DeuJeuReu sur la scène extérieure, duo de Jeff Alluin (claviers, machines, casque, oreilles de chien [sic]), Raphaël Cheve (batterie, voix, mulet, chat peau [resic]) : entre rock progressif et drum’n’bass, un exercice d’improvisation drôle et joyeux.
Mark Guiliana Jazz Quartet : Josh Arcocelo (sax ténor), Sam Crowe (piano), Jasper Hoiby (contrebasse), Mark Guiliana (batterie).
Il me semble me souvenir que c’est à Malguénac que j’ai entendu pour la première fois Mark Guiliana au sein du trio d’Avishai Cohen, lors d’un concert qui m’avait passablement agacé et dont je n’avais retenu que la partie de batterie, fascinante, de Guiliana. Hier soir, le quartette annoncé nous promettait Fabian Almazan qu’il me tardait de réentendre après l’avoir découvert auprès de Terence Blanchard. Las, c’est un tout autre personne qui constitue ce Jazz Quartet. Ténor au lyrisme brut, qui impose quelque chose de tranquille sur ces ostinatos de transe et cette frénésie de décomposition rythmique… Encore qu’ici tout soit relatif, si je compare à ce que jouait Guiliana chez Cohen ou ce qu’il joue avec Brad Mehldau. Et le mot “jazz” n’est pas vain, tant on sent la volonté de se couler dans cette tradition de rythme et de son (sonorisation encore trop puissante à mon goût, mais nettement plus raisonnable… je n’en mets pas moins mes “préservatifs”). Je reste cependant un peu sur ma fin, car si le bassiste et le batteur jouent dans un mouchoir de poche, le pianiste semble très lointain, en tout cas extérieur à cette musique dont il semble planter les clous, à quelques échappées raveliennes près “a capella”. Et lorsqu’ils reprennent le Where We Are Now de David Bowie (que Guiliana rejouera surement à Jazz à La Villette le 7 septembre et le 8 à Chanaz sur le Batojazz, avec Donny McCaslin, Jason Linder, Tim Lefebvre et le Black Star Band), c’est vers un autre artiste que mes pensées se tournent et j’imagine ce que cette mélodie donnerait sous les doigts d’Ambrose Akinmusire, Sam Harris, Harish Raghavan, Justin Brown. Mais c’est évidemment une très mauvaise idée critique que de vouloir entendre un autre concert que celui que l’on est en train d’écouter.
Théo Ceccaldi & Freaks : Théo Ceccaldi (violon, compositions), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Quentin Biardeau (sax ténor, claviers), Giani Caserotto (guitare électrique), Valentin Ceccaldi (violoncelle, horizoncelle, basse électrique), Etienne Ziemniak (batterie).
Là aussi, ça joue très fort. Moins fort me semble-t-il que Leïla Martial. « Non, beaucoup plus fort » me souffle Emile Parisien. J’ai dû m’habituer ou avoir encore perdu ce soir quelques fréquences (on nous promet de vivre vieux, aveugle et débile… il va bien falloir s’y résoudre, mais sourd, plutôt mourir !). Peut-être aussi la puissance ici se justifie-telle plus et avec des basses de proportions moins caricaturales, même les oreilles protégées (ce qui reste un façon d’écouter assez pathétique). Théo Ceccalid, sorte de Paganini post-industriel évoquant tout à la fois Frank Zappa, Dashiel Hedayat, Meshuggah, Brigitte Fontaine et Dada, soit un mélange de sauvagerie et de douceur, de sarcasme et de tendresse, mené de mains de maître (baguette, plume et archet) avec une section de saxes aux ensembles étonnamment onctueux coulés sur une rythmique soudée comme le granit. Le public, venu nombreux pour faire honneur à cette vingtième édition, en redemande et l’on s’éloigne sur un tango, tendre bouffonnerie de celles dont la réussite n’est donnée qu’aux grands.
J’ai l’habitude de terminer mes comptes rendus de Malguénac par les animaux rencontrés sur la route du retour, le plus souvent vus, parfois inventés… Je ne résisterai pas à l’envie de raconter, et cette fois je n’invente rien, que j’ai commencé ma journée en petit déjeunant dans une clairière normande devant le spectacle de deux écureuils galopins jouant à chat perché et qu’elle se termine dans la ligne droite quittant Malguénac avec un insolent derrière blanc de lapin qui, narguant mes phares sur une bonne centaine de mètres, semblait prolonger l’espièglerie narquoise de Théo Ceccaldi et ses Freaks. • Franck Bergerot|À Malguénac, à l’est de Pontivy, le festival “Arts des villes / Arts des champs”, enraciné dans son territoire, loin des grosses machine touristiques, rejoue sa dominante “jazz” mais pas “jazzy”. Hier soir Leïla Martial invitait Emile Parisien, Mark Guiliana présentait son Jazz Quartet et Théo Ceccaldi ses Freaks. Ce soir : le duo Madeleine et Salomon, le quartette de Vincent Lê Quang et Sons Of Kemet de Shabka Hutchings.
Je n’étais pas à la première édition, mais je me souviens avoir un beau soir de fin août quitté ma maisonnette bretonne pour ce qui – au bout d’une route tortueuse et déserte – me semblait être un pays inconnu, dont la plaque m’est apparu à l’extrémité d’une longue dernière ligne droite, sous le couvert de grands arbres, qui m’avait semblé interminable, comme menant au bout du monde: Malguénac. J’ai raconté depuis, chaque été sur ce blog, ces programmations se recoupant souvent avec les coups de cœur de Jazz Magazine, cette ambiance, cette proximité et cet accueil des artistes qui ne veulent plus partir, comme Leïla Martial présente cette année pour les trois jours (elle l’annonce sur scène comme une adhésion), qui renvoient leur cachet l’année où le président comble le déficit en puisant dans son compte d’épargne, ou encore comme Hélène Labarrière qui vient camper sur place pour se joindre à l’équipe des bénévoles. Tarte à la crème que le couplet sur les bénévoles… Lorsqu’un Mark Guiliana passé par Montréal, Malte, le North Sea et Middelheim avant de se rendre à Jazz à La Villette, prend le temps de saluer ces même qualités, on sait qu’ici l’accueil, c’est pas de la tarte et que la musique s’en ressent.
Leïla Martial Baa Box : Leïla Martial (chant, électronique), Eric Perez (batterie, chœurs, électronique), Pierre Tereygeol (guitare électrique, électronique, chœurs). Invité : Emile Parisien (sax soprano).
Dans les comptes rendus que j’ai déjà pu faire sur ce blog, j’ai insisté sur l’élan, la spontanéité, la fraîcheur, la folle fantaisie de Leïla Martial… ce qui pourrait presque laisser entendre qu’on excuse là une forme d’immaturité. Ce n’était pas mon propos qui était plutôt déjà celui d’un certain aboutissement et même d’une promesse. Hier soir, sans rien retirer aux qualités énoncées ci-dessus, c’est la mot de “maîtrise” qui me vient à l’esprit, dans l’art vocal, dans l’art d’inventer un langage d’onomatopées qui lui appartient en propre, voire des langues imaginaires, des présentations (lorsqu’elle appelle Emile Parisien à la rejoindre sur scène) dont le sens se dérègle progressivement pour n’être plus que son et rythme, dans cet usage très savant de l’électronique et cette façon de chanter avec elle-même où l’on ne sait plus qui chante quoi, elle-en-vrai ou le séquenceur-sampleur-générateur-je-ne-sais-quoi qu’elle semble guider des gestes de sa main comme si elle jouait d’une sorte de Theremin… Jouer avec elle-même ? Mais elle joue aussi avec les autres, qui jouent avec elle. Car cette art de se multiplier s’intègre à un son orchestral d’une grande cohésion, des instruments réels aux virtuels en passant par les chœurs ajoutés de ses partenaires avec un goût très sûr. Plus l’Emile qui débarque là en ami, en complice, comme s’il était chez lui… Emile Parisien habite toujours intensément le présent, quel qu’il soit, mais entre le saxophoniste et la chanteuse, il y a en plus une vieille amitié.
Soit un grand art, très en main au profit d’une émotion à fleur de peau, d’une magie qu’hélas, la sonorisation met à mal. C’est très fort. Emile Parisien rencontré au bar en conviendra. D’une part, c’est physiquement trop fort, et à cette habitude on le paiera tous (j’ai déjà bien commencé), d’autre part, c’est la musique qui paie, de sa proximité, de sa magie, de sa tendresse, de ses nuances. Lorsqu’un pianissimo sonne d’emblée triple forte, c’est la musique et ses charmes que l’on écrase et que l’on éloigne, alors que rien dans la musique de Leïla Martial rien ne justifie, ni cette puissance, ni cette disproportion des basses (notamment entre la corde grave de la guitare et les autres cordes), alors que la qualité de Malguénac, c’est justement ce sens de la proximité et des proportions.
Petite parenthèse: chez l’ORL
Acouphènes (rien de bien grave, de gentils grillons, l’impression qu’une voix parle dans un poste de radio allumé dans la pièce d’à côté… Dieu soit loué qui ne m’a pas encore ordonné de bouter les Anglais hors du Royaume de France) , difficultés croissantes à suivre une conversation à plus de trois personnes… Visite chez l’ORL muni d’un audiogramme : « Qu’est-ce qui vous arrive ? Je vois une perte générale normale à votre âge… mais là où habituellement, la perte s’accentue dans l’aigu, c’est le medium aigu qui est exagérément affecté – J’évite d’écouter au casque, je ne fréquente pas les concerts de rock et je préfère les clubs de jazz aux grosse sonos des grands festivals [je n’ose avouer le concours biniou bombarde de Saint-Yves-en-Bubry, lorsque la pluie impose de se réfugier en intérieur] – Ah ! les clubs je les fréquente aussi beaucoup, j’ai à peu près votre âge et je porte des filtres depuis 10 ans. Je vais vous en prescrire. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est ce trou à droite. » Resurgit le souvenir très précis d’un concert de Quest au Sunset où l’on m’avait accordé une place privilégié, tout contre l’une des cymbales de Billy Hart… Et s’il sait jouer pianissimo, le Billy a aussi des fortissimo redoutables. Bref, je ne me déplace plus sans mes protections moulées sur mesure, que je rechigne à mettre… Par comparaison, le préservatif c’est le comble de la sensualité. Ce soir, je m’y résous à regret, au risque d’accentuer encore cet écart entre basse et aigu qui devient grotesque.
Entracte et buvette au son de DeuJeuReu sur la scène extérieure, duo de Jeff Alluin (claviers, machines, casque, oreilles de chien [sic]), Raphaël Cheve (batterie, voix, mulet, chat peau [resic]) : entre rock progressif et drum’n’bass, un exercice d’improvisation drôle et joyeux.
Mark Guiliana Jazz Quartet : Josh Arcocelo (sax ténor), Sam Crowe (piano), Jasper Hoiby (contrebasse), Mark Guiliana (batterie).
Il me semble me souvenir que c’est à Malguénac que j’ai entendu pour la première fois Mark Guiliana au sein du trio d’Avishai Cohen, lors d’un concert qui m’avait passablement agacé et dont je n’avais retenu que la partie de batterie, fascinante, de Guiliana. Hier soir, le quartette annoncé nous promettait Fabian Almazan qu’il me tardait de réentendre après l’avoir découvert auprès de Terence Blanchard. Las, c’est un tout autre personne qui constitue ce Jazz Quartet. Ténor au lyrisme brut, qui impose quelque chose de tranquille sur ces ostinatos de transe et cette frénésie de décomposition rythmique… Encore qu’ici tout soit relatif, si je compare à ce que jouait Guiliana chez Cohen ou ce qu’il joue avec Brad Mehldau. Et le mot “jazz” n’est pas vain, tant on sent la volonté de se couler dans cette tradition de rythme et de son (sonorisation encore trop puissante à mon goût, mais nettement plus raisonnable… je n’en mets pas moins mes “préservatifs”). Je reste cependant un peu sur ma fin, car si le bassiste et le batteur jouent dans un mouchoir de poche, le pianiste semble très lointain, en tout cas extérieur à cette musique dont il semble planter les clous, à quelques échappées raveliennes près “a capella”. Et lorsqu’ils reprennent le Where We Are Now de David Bowie (que Guiliana rejouera surement à Jazz à La Villette le 7 septembre et le 8 à Chanaz sur le Batojazz, avec Donny McCaslin, Jason Linder, Tim Lefebvre et le Black Star Band), c’est vers un autre artiste que mes pensées se tournent et j’imagine ce que cette mélodie donnerait sous les doigts d’Ambrose Akinmusire, Sam Harris, Harish Raghavan, Justin Brown. Mais c’est évidemment une très mauvaise idée critique que de vouloir entendre un autre concert que celui que l’on est en train d’écouter.
Théo Ceccaldi & Freaks : Théo Ceccaldi (violon, compositions), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Quentin Biardeau (sax ténor, claviers), Giani Caserotto (guitare électrique), Valentin Ceccaldi (violoncelle, horizoncelle, basse électrique), Etienne Ziemniak (batterie).
Là aussi, ça joue très fort. Moins fort me semble-t-il que Leïla Martial. « Non, beaucoup plus fort » me souffle Emile Parisien. J’ai dû m’habituer ou avoir encore perdu ce soir quelques fréquences (on nous promet de vivre vieux, aveugle et débile… il va bien falloir s’y résoudre, mais sourd, plutôt mourir !). Peut-être aussi la puissance ici se justifie-telle plus et avec des basses de proportions moins caricaturales, même les oreilles protégées (ce qui reste un façon d’écouter assez pathétique). Théo Ceccalid, sorte de Paganini post-industriel évoquant tout à la fois Frank Zappa, Dashiel Hedayat, Meshuggah, Brigitte Fontaine et Dada, soit un mélange de sauvagerie et de douceur, de sarcasme et de tendresse, mené de mains de maître (baguette, plume et archet) avec une section de saxes aux ensembles étonnamment onctueux coulés sur une rythmique soudée comme le granit. Le public, venu nombreux pour faire honneur à cette vingtième édition, en redemande et l’on s’éloigne sur un tango, tendre bouffonnerie de celles dont la réussite n’est donnée qu’aux grands.
J’ai l’habitude de terminer mes comptes rendus de Malguénac par les animaux rencontrés sur la route du retour, le plus souvent vus, parfois inventés… Je ne résisterai pas à l’envie de raconter, et cette fois je n’invente rien, que j’ai commencé ma journée en petit déjeunant dans une clairière normande devant le spectacle de deux écureuils galopins jouant à chat perché et qu’elle se termine dans la ligne droite quittant Malguénac avec un insolent derrière blanc de lapin qui, narguant mes phares sur une bonne centaine de mètres, semblait prolonger l’espièglerie narquoise de Théo Ceccaldi et ses Freaks. • Franck Bergerot|À Malguénac, à l’est de Pontivy, le festival “Arts des villes / Arts des champs”, enraciné dans son territoire, loin des grosses machine touristiques, rejoue sa dominante “jazz” mais pas “jazzy”. Hier soir Leïla Martial invitait Emile Parisien, Mark Guiliana présentait son Jazz Quartet et Théo Ceccaldi ses Freaks. Ce soir : le duo Madeleine et Salomon, le quartette de Vincent Lê Quang et Sons Of Kemet de Shabka Hutchings.
Je n’étais pas à la première édition, mais je me souviens avoir un beau soir de fin août quitté ma maisonnette bretonne pour ce qui – au bout d’une route tortueuse et déserte – me semblait être un pays inconnu, dont la plaque m’est apparu à l’extrémité d’une longue dernière ligne droite, sous le couvert de grands arbres, qui m’avait semblé interminable, comme menant au bout du monde: Malguénac. J’ai raconté depuis, chaque été sur ce blog, ces programmations se recoupant souvent avec les coups de cœur de Jazz Magazine, cette ambiance, cette proximité et cet accueil des artistes qui ne veulent plus partir, comme Leïla Martial présente cette année pour les trois jours (elle l’annonce sur scène comme une adhésion), qui renvoient leur cachet l’année où le président comble le déficit en puisant dans son compte d’épargne, ou encore comme Hélène Labarrière qui vient camper sur place pour se joindre à l’équipe des bénévoles. Tarte à la crème que le couplet sur les bénévoles… Lorsqu’un Mark Guiliana passé par Montréal, Malte, le North Sea et Middelheim avant de se rendre à Jazz à La Villette, prend le temps de saluer ces même qualités, on sait qu’ici l’accueil, c’est pas de la tarte et que la musique s’en ressent.
Leïla Martial Baa Box : Leïla Martial (chant, électronique), Eric Perez (batterie, chœurs, électronique), Pierre Tereygeol (guitare électrique, électronique, chœurs). Invité : Emile Parisien (sax soprano).
Dans les comptes rendus que j’ai déjà pu faire sur ce blog, j’ai insisté sur l’élan, la spontanéité, la fraîcheur, la folle fantaisie de Leïla Martial… ce qui pourrait presque laisser entendre qu’on excuse là une forme d’immaturité. Ce n’était pas mon propos qui était plutôt déjà celui d’un certain aboutissement et même d’une promesse. Hier soir, sans rien retirer aux qualités énoncées ci-dessus, c’est la mot de “maîtrise” qui me vient à l’esprit, dans l’art vocal, dans l’art d’inventer un langage d’onomatopées qui lui appartient en propre, voire des langues imaginaires, des présentations (lorsqu’elle appelle Emile Parisien à la rejoindre sur scène) dont le sens se dérègle progressivement pour n’être plus que son et rythme, dans cet usage très savant de l’électronique et cette façon de chanter avec elle-même où l’on ne sait plus qui chante quoi, elle-en-vrai ou le séquenceur-sampleur-générateur-je-ne-sais-quoi qu’elle semble guider des gestes de sa main comme si elle jouait d’une sorte de Theremin… Jouer avec elle-même ? Mais elle joue aussi avec les autres, qui jouent avec elle. Car cette art de se multiplier s’intègre à un son orchestral d’une grande cohésion, des instruments réels aux virtuels en passant par les chœurs ajoutés de ses partenaires avec un goût très sûr. Plus l’Emile qui débarque là en ami, en complice, comme s’il était chez lui… Emile Parisien habite toujours intensément le présent, quel qu’il soit, mais entre le saxophoniste et la chanteuse, il y a en plus une vieille amitié.
Soit un grand art, très en main au profit d’une émotion à fleur de peau, d’une magie qu’hélas, la sonorisation met à mal. C’est très fort. Emile Parisien rencontré au bar en conviendra. D’une part, c’est physiquement trop fort, et à cette habitude on le paiera tous (j’ai déjà bien commencé), d’autre part, c’est la musique qui paie, de sa proximité, de sa magie, de sa tendresse, de ses nuances. Lorsqu’un pianissimo sonne d’emblée triple forte, c’est la musique et ses charmes que l’on écrase et que l’on éloigne, alors que rien dans la musique de Leïla Martial rien ne justifie, ni cette puissance, ni cette disproportion des basses (notamment entre la corde grave de la guitare et les autres cordes), alors que la qualité de Malguénac, c’est justement ce sens de la proximité et des proportions.
Petite parenthèse: chez l’ORL
Acouphènes (rien de bien grave, de gentils grillons, l’impression qu’une voix parle dans un poste de radio allumé dans la pièce d’à côté… Dieu soit loué qui ne m’a pas encore ordonné de bouter les Anglais hors du Royaume de France) , difficultés croissantes à suivre une conversation à plus de trois personnes… Visite chez l’ORL muni d’un audiogramme : « Qu’est-ce qui vous arrive ? Je vois une perte générale normale à votre âge… mais là où habituellement, la perte s’accentue dans l’aigu, c’est le medium aigu qui est exagérément affecté – J’évite d’écouter au casque, je ne fréquente pas les concerts de rock et je préfère les clubs de jazz aux grosse sonos des grands festivals [je n’ose avouer le concours biniou bombarde de Saint-Yves-en-Bubry, lorsque la pluie impose de se réfugier en intérieur] – Ah ! les clubs je les fréquente aussi beaucoup, j’ai à peu près votre âge et je porte des filtres depuis 10 ans. Je vais vous en prescrire. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est ce trou à droite. » Resurgit le souvenir très précis d’un concert de Quest au Sunset où l’on m’avait accordé une place privilégié, tout contre l’une des cymbales de Billy Hart… Et s’il sait jouer pianissimo, le Billy a aussi des fortissimo redoutables. Bref, je ne me déplace plus sans mes protections moulées sur mesure, que je rechigne à mettre… Par comparaison, le préservatif c’est le comble de la sensualité. Ce soir, je m’y résous à regret, au risque d’accentuer encore cet écart entre basse et aigu qui devient grotesque.
Entracte et buvette au son de DeuJeuReu sur la scène extérieure, duo de Jeff Alluin (claviers, machines, casque, oreilles de chien [sic]), Raphaël Cheve (batterie, voix, mulet, chat peau [resic]) : entre rock progressif et drum’n’bass, un exercice d’improvisation drôle et joyeux.
Mark Guiliana Jazz Quartet : Josh Arcocelo (sax ténor), Sam Crowe (piano), Jasper Hoiby (contrebasse), Mark Guiliana (batterie).
Il me semble me souvenir que c’est à Malguénac que j’ai entendu pour la première fois Mark Guiliana au sein du trio d’Avishai Cohen, lors d’un concert qui m’avait passablement agacé et dont je n’avais retenu que la partie de batterie, fascinante, de Guiliana. Hier soir, le quartette annoncé nous promettait Fabian Almazan qu’il me tardait de réentendre après l’avoir découvert auprès de Terence Blanchard. Las, c’est un tout autre personne qui constitue ce Jazz Quartet. Ténor au lyrisme brut, qui impose quelque chose de tranquille sur ces ostinatos de transe et cette frénésie de décomposition rythmique… Encore qu’ici tout soit relatif, si je compare à ce que jouait Guiliana chez Cohen ou ce qu’il joue avec Brad Mehldau. Et le mot “jazz” n’est pas vain, tant on sent la volonté de se couler dans cette tradition de rythme et de son (sonorisation encore trop puissante à mon goût, mais nettement plus raisonnable… je n’en mets pas moins mes “préservatifs”). Je reste cependant un peu sur ma fin, car si le bassiste et le batteur jouent dans un mouchoir de poche, le pianiste semble très lointain, en tout cas extérieur à cette musique dont il semble planter les clous, à quelques échappées raveliennes près “a capella”. Et lorsqu’ils reprennent le Where We Are Now de David Bowie (que Guiliana rejouera surement à Jazz à La Villette le 7 septembre et le 8 à Chanaz sur le Batojazz, avec Donny McCaslin, Jason Linder, Tim Lefebvre et le Black Star Band), c’est vers un autre artiste que mes pensées se tournent et j’imagine ce que cette mélodie donnerait sous les doigts d’Ambrose Akinmusire, Sam Harris, Harish Raghavan, Justin Brown. Mais c’est évidemment une très mauvaise idée critique que de vouloir entendre un autre concert que celui que l’on est en train d’écouter.
Théo Ceccaldi & Freaks : Théo Ceccaldi (violon, compositions), Benjamin Dousteyssier (saxes alto et baryton), Quentin Biardeau (sax ténor, claviers), Giani Caserotto (guitare électrique), Valentin Ceccaldi (violoncelle, horizoncelle, basse électrique), Etienne Ziemniak (batterie).
Là aussi, ça joue très fort. Moins fort me semble-t-il que Leïla Martial. « Non, beaucoup plus fort » me souffle Emile Parisien. J’ai dû m’habituer ou avoir encore perdu ce soir quelques fréquences (on nous promet de vivre vieux, aveugle et débile… il va bien falloir s’y résoudre, mais sourd, plutôt mourir !). Peut-être aussi la puissance ici se justifie-telle plus et avec des basses de proportions moins caricaturales, même les oreilles protégées (ce qui reste un façon d’écouter assez pathétique). Théo Ceccalid, sorte de Paganini post-industriel évoquant tout à la fois Frank Zappa, Dashiel Hedayat, Meshuggah, Brigitte Fontaine et Dada, soit un mélange de sauvagerie et de douceur, de sarcasme et de tendresse, mené de mains de maître (baguette, plume et archet) avec une section de saxes aux ensembles étonnamment onctueux coulés sur une rythmique soudée comme le granit. Le public, venu nombreux pour faire honneur à cette vingtième édition, en redemande et l’on s’éloigne sur un tango, tendre bouffonnerie de celles dont la réussite n’est donnée qu’aux grands.
J’ai l’habitude de terminer mes comptes rendus de Malguénac par les animaux rencontrés sur la route du retour, le plus souvent vus, parfois inventés… Je ne résisterai pas à l’envie de raconter, et cette fois je n’invente rien, que j’ai commencé ma journée en petit déjeunant dans une clairière normande devant le spectacle de deux écureuils galopins jouant à chat perché et qu’elle se termine dans la ligne droite quittant Malguénac avec un insolent derrière blanc de lapin qui, narguant mes phares sur une bonne centaine de mètres, semblait prolonger l’espièglerie narquoise de Théo Ceccaldi et ses Freaks. • Franck Bergerot