Jazz live
Publié le 19 Août 2017

Malguénac avec Madeleine & Salomon, Vincent Lê Quang et Sons of Kemet

Douleurs et tendresse avec Madeleine & Salomon, recueillement et fascination avec le quartette de Vincent Lê Quang, transe festive avec les Sons of Kemet de Sahabaka Hutchings, et trois fois la même ferveur du public de Malguénac.

Malguénac 20 AfficheLe temps, thème de ce festival, le temps qui passe, notamment qui s’est écoulé entre la première et cette vingtième édition, le temps qu’il fait, l’air du temps, le temps multiple qu’évoque Cécile Even dans l’éditorial du programme et sur lequel elle invitait à débattre en début de soirée, comme elle le fait chaque année autour du thème de l’édition. Comme les années précédentes, j’y étais attendu et, distrait, j’ai posé un lapin. Honte ! Il En restera sur ce blog ce crâne de vache fleuri qui défie la mort sur l’affiche du festival . Longue vie à Malguenac et à sa vache qui gambade éternellement entre les ombrelles lumineuses surplombant le public de l’espace Claude Nougaro.

Madeleine & Salomon : Clotilde Rullaud (chant, flûte), Alexandre Saada (piano, claviers).

Le disque avait constitué pour moi une révélation pour deux musiciens que j’avais déjà entendu avec une sympathie réservée dans des projets précédents, mais je n’avais pas eu l’occasion d’entendre sur scène ce programme, de ceux que l’on sent conçu pour le disque. Est-ce pour cela qu’on l’a peu entendu en France (bien qu’il ait beaucoup tourné à l’étranger) ? S’il y a quelque chose de préalablement très fixé dans le déroulement du programme, dans la distribution des rôles, dans la répartition des parties improvisées très réduites et très cadrées, dans l’enchaînement des morceaux, sans pause (ni présentation, ni autre commentaire qu’une projection vidéo intermittente), certains reliés entre eux comme sous forme de suite, on ne souffre là d’aucune rigidité. Seule la dignité s’impose, avec une voix qui sait voltiger sans exagération d’un beau registre grave avec des aigus gracieux ou vindicatifs, dignité qu’impose le sujet central (chants de lutte, chants de femmes), et qui s’accorde une détente vers une fin plus souriante avec l’apparition d’une standard de Cole Porter en partie traduit par Joséphine Baker (I’ve Got You Under My Skin).

Je suis mal à l’aise pour commenter plus avant ce répertoire que je connais mal (très impressionnant Strange Fruit, un Ellington instrumental de piano formidablement “monkisé”, sur lequel je ne suis pas foutu de mettre un titre !), mais en l’absence revendiquée de présentations et de commentaires, vu le dispositif vidéo mis en place on peut regretter l’absence de sous-titres. Un choix que Clotilde Rullaud justifie par la volonté de ne pas distraire d’une dimension musicale (“texte original” des auteurs-compositeurs-créateurs de ces chansons et “dramaturgie” du tandem voix-piano signé Madeleine & Salomon) qui porte en elle, et j’en témoigne, la gravité du propos, mais un titre, un auteur, une date, quelques extraits en soutiendraient utilement le message. Reste que je me suis joint volontiers à l’attention fervente d’un public en or, aidé à l’être par les techniciens lumières (Sylvain Hervé et Caroline Boyer), façade (Arnaud Le Breton), retours (Yanna Barbay) et plateau (Hugo Jan) dont se réjouit encore en coulisse Clotilde Rullaud.

Vincent Lê Quang Quartet : Vincent Lê Quang (saxes soprano et ténor), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Joe Quitzke (batterie).

L’un des secrets les mieux gardés de la scène française et néanmoins parrain de cette 20ème édition (à Malguénac, on a des convictions et le sens de la fidélité, qui programma Bruno Ruder en solo, avec Annie Ebrel, Jacques Pellen et One Shot, avec Nicolas Folmer, avec Eric Prost, avec Magma), Bruno Ruder avait été pressenti pour présenter son quintette “Billy” créé à l’opéra de Lyon en janvier 2015 avec Billy Hart, Guido Zorn, Rémi Dumoulin et Aymeric Avice. Hélas, Billy Hart était déjà sur la route avec d’autres projets. Alors quoi de mieux que de réunir Bruno Ruder à l’un de ses plus vieux complices, Vincent Lê Quang, notamment au sein du trio Yes Is A Pleasant Country qui vit éclore le talent de Jeanne Added. Alors, je me fais parfois charrier : « ouais, Bergerot, y va en voisin se faire payer des coups à Malguénac… ». Mais Bruno Ruder et Vincent Le Quang, moi, j’irai en char à bœufs jusqu’à Sarreguemines pour les écouter.

À vrai dire, je ne connais ce quartette que depuis sa recréation le 11 février 2016 au Triton des Lilas. « Ce quartette a dix ans et a joué dix fois », aime plaisanter Bruno Ruder. Un projet de disque avait été mis en route, lorsque Vincent Lê Quang fut victime en cours de répétition d’un deuxième pneumo-thorax, problème récurent qui a durement affecté sa carrière. Dix ans, dix concerts, cet orchestre pourrait en avoir donné dix par mois pendant dix ans. Tant la musique est fluide, passant sans couture visible de l’écriture à l’improvisation, du standard (I Concentrate On You où soudain le ténor de Le Quang a des accents de Coltrane getzien), de l’abstraction formelle et sonore à la ligne claire de la mélodie. Sans partition apparente, tout peut survenir me confie Bruno Ruder, y compris ces solos de piano où il semble s’affranchir du temps (grille et battue) sans jamais perdre ce groove qu’aiment sous-entendre en pointillé Guido Zorn et Joe Quitzke. Motian me revient à l’esprit, comme souvent à l’écoute de ce dernier, pour cet onirisme du son frappé et de la battue rythmique. Bruno Ruder évoque toujours Bley, avec ce rapport à l’espace et ces basses magnifiques, plus quelque chose qui le rapproche de Fred Hersch dans la solidarité-autonomie des deux mains. Au soprano, Lê Quang est une sorte d’anti-Emile Parisien, très droit, très zen, avec quelque chose de Steve Lacy qui n’exclue cependant pas le lâcher prise, un lâcher prise où je crois percevoir la conséquence de l’improvisation générative tant tout ici, du sax au piano et à l’ensemble de l’orchestre, semble s’autogénérer mesure après mesure avec une logique discursive qui fait cette absence de couture entre écriture et improvisation. Musique en or, public en or, recueilli, sensible, visiblement heureux.

Sons of Kemet : Shabaka Hutchings (sax ténor), Oren Marshall (tuba), Seb Rochford, Tom Skinner (batteries).

Ici, il me faudrait passer la main. Qu’il s’agisse de The Ancestors entendu à Vienne ou de ces Sons of Kemet, ce n’est pas mon truc. C’est certes réjouissant, dansant, formidablement énergique, avec un puissant et chatoyant tandem de batterie, un tuba qui participe de cette énorme marmite à groover, mais dont les solos et même les lignes mélodiques me barbent rapidement. Devant, Shabaka Hutchings fait monter la sauce d’un groove à l’autre, toujours avec la même énergie et ce gros son sur de petites ritournelles de quelques notes, mais d’un groove à l’autre, c’est toujours un peu la même recette. Certes, il y a des moments explosifs mais qui finissent par ne plus surprendre. Alors, j’ai fini par filer en catimini et sur la route… je vous le jure, j’ai croisé l’âne culotte qui m’attendait à l’entrée d’un bar, Chez Cyprien. Mais j’ai passé mon chemin, fier comme une hostie, et j’ai rejoint mon ordinateur pour rédiger ce compte rendu.

Ce soir, je me serai consacré à d’autres activités, mais le festival continue. Dès ce matin le traditionnel vide-greniers ; à 11h30, l’extra-bal avec d’autres fidèle de Malguénac (Philippe Gleizes, Daniel Jeand’heur, Jeff Alluin, Antonin Volson, Boris Blanchet…) ; à 16h, musique latine au Café Le Ty Lou ; puis à partir de 20h30 dans l’enceint du festival Hasse Poulsen et son The Man They Call Ass, Lo’jo, le Brésil de Bel Air de Forro, l’improbable duo Knower de Los Angeles parrainé dans les festivals de l’été par Quincy Jones et final dancefloor avec DJ Poly. • Franck Bergerot

 

 |Douleurs et tendresse avec Madeleine & Salomon, recueillement et fascination avec le quartette de Vincent Lê Quang, transe festive avec les Sons of Kemet de Sahabaka Hutchings, et trois fois la même ferveur du public de Malguénac.

Malguénac 20 AfficheLe temps, thème de ce festival, le temps qui passe, notamment qui s’est écoulé entre la première et cette vingtième édition, le temps qu’il fait, l’air du temps, le temps multiple qu’évoque Cécile Even dans l’éditorial du programme et sur lequel elle invitait à débattre en début de soirée, comme elle le fait chaque année autour du thème de l’édition. Comme les années précédentes, j’y étais attendu et, distrait, j’ai posé un lapin. Honte ! Il En restera sur ce blog ce crâne de vache fleuri qui défie la mort sur l’affiche du festival . Longue vie à Malguenac et à sa vache qui gambade éternellement entre les ombrelles lumineuses surplombant le public de l’espace Claude Nougaro.

Madeleine & Salomon : Clotilde Rullaud (chant, flûte), Alexandre Saada (piano, claviers).

Le disque avait constitué pour moi une révélation pour deux musiciens que j’avais déjà entendu avec une sympathie réservée dans des projets précédents, mais je n’avais pas eu l’occasion d’entendre sur scène ce programme, de ceux que l’on sent conçu pour le disque. Est-ce pour cela qu’on l’a peu entendu en France (bien qu’il ait beaucoup tourné à l’étranger) ? S’il y a quelque chose de préalablement très fixé dans le déroulement du programme, dans la distribution des rôles, dans la répartition des parties improvisées très réduites et très cadrées, dans l’enchaînement des morceaux, sans pause (ni présentation, ni autre commentaire qu’une projection vidéo intermittente), certains reliés entre eux comme sous forme de suite, on ne souffre là d’aucune rigidité. Seule la dignité s’impose, avec une voix qui sait voltiger sans exagération d’un beau registre grave avec des aigus gracieux ou vindicatifs, dignité qu’impose le sujet central (chants de lutte, chants de femmes), et qui s’accorde une détente vers une fin plus souriante avec l’apparition d’une standard de Cole Porter en partie traduit par Joséphine Baker (I’ve Got You Under My Skin).

Je suis mal à l’aise pour commenter plus avant ce répertoire que je connais mal (très impressionnant Strange Fruit, un Ellington instrumental de piano formidablement “monkisé”, sur lequel je ne suis pas foutu de mettre un titre !), mais en l’absence revendiquée de présentations et de commentaires, vu le dispositif vidéo mis en place on peut regretter l’absence de sous-titres. Un choix que Clotilde Rullaud justifie par la volonté de ne pas distraire d’une dimension musicale (“texte original” des auteurs-compositeurs-créateurs de ces chansons et “dramaturgie” du tandem voix-piano signé Madeleine & Salomon) qui porte en elle, et j’en témoigne, la gravité du propos, mais un titre, un auteur, une date, quelques extraits en soutiendraient utilement le message. Reste que je me suis joint volontiers à l’attention fervente d’un public en or, aidé à l’être par les techniciens lumières (Sylvain Hervé et Caroline Boyer), façade (Arnaud Le Breton), retours (Yanna Barbay) et plateau (Hugo Jan) dont se réjouit encore en coulisse Clotilde Rullaud.

Vincent Lê Quang Quartet : Vincent Lê Quang (saxes soprano et ténor), Bruno Ruder (piano), Guido Zorn (contrebasse), Joe Quitzke (batterie).

L’un des secrets les mieux gardés de la scène française et néanmoins parrain de cette 20ème édition (à Malguénac, on a des convictions et le sens de la fidélité, qui programma Bruno Ruder en solo, avec Annie Ebrel, Jacques Pellen et One Shot, avec Nicolas Folmer, avec Eric Prost, avec Magma), Bruno Ruder avait été pressenti pour présenter son quintette “Billy” créé à l’opéra de Lyon en janvier 2015 avec Billy Hart, Guido Zorn, Rémi Dumoulin et Aymeric Avice. Hélas, Billy Hart était déjà sur la route avec d’autres projets. Alors quoi de mieux que de réunir Bruno Ruder à l’un de ses plus vieux complices, Vincent Lê Quang, notamment au sein du trio Yes Is A Pleasant Country qui vit éclore le talent de Jeanne Added. Alors, je me fais parfois charrier : « ouais, Bergerot, y va en voisin se faire payer des coups à Malguénac… ». Mais Bruno Ruder et Vincent Le Quang, moi, j’irai en char à bœufs jusqu’à Sarreguemines pour les écouter.

À vrai dire, je ne connais ce quartette que depuis sa recréation le 11 février 2016 au Triton des Lilas. « Ce quartette a dix ans et a joué dix fois », aime plaisanter Bruno Ruder. Un projet de disque avait été mis en route, lorsque Vincent Lê Quang fut victime en cours de répétition d’un deuxième pneumo-thorax, problème récurent qui a durement affecté sa carrière. Dix ans, dix concerts, cet orchestre pourrait en avoir donné dix par mois pendant dix ans. Tant la musique est fluide, passant sans couture visible de l’écriture à l’improvisation, du standard (I Concentrate On You où soudain le ténor de Le Quang a des accents de Coltrane getzien), de l’abstraction formelle et sonore à la ligne claire de la mélodie. Sans partition apparente, tout peut survenir me confie Bruno Ruder, y compris ces solos de piano où il semble s’affranchir du temps (grille et battue) sans jamais perdre ce groove qu’aiment sous-entendre en pointillé Guido Zorn et Joe Quitzke. Motian me revient à l’esprit, comme souvent à l’écoute de ce dernier, pour cet onirisme du son frappé et de la battue rythmique. Bruno Ruder évoque toujours Bley, avec ce rapport à l’espace et ces basses magnifiques, plus quelque chose qui le rapproche de Fred Hersch dans la solidarité-autonomie des deux mains. Au soprano, Lê Quang est une sorte d’anti-Emile Parisien, très droit, très zen, avec quelque chose de Steve Lacy qui n’exclue cependant pas le lâcher prise, un lâcher prise où je crois percevoir la conséquence de l’improvisation générative tant tout ici, du sax au piano et à l’ensemble de l’orchestre, semble s’autogénérer mesure après mesure avec une logique discursive qui fait cette absence de couture entre écriture et improvisation. Musique en or, public en or, recueilli, sensible, visiblement heureux.

Sons of Kemet : Shabaka Hutchings (sax ténor), Oren Marshall (tuba), Seb Rochford, Tom Skinner (batteries).

Ici, il me faudrait passer la main. Qu’il s’agisse de The Ancestors entendu à Vienne ou de ces Sons of Kemet, ce n’est pas mon truc. C’est certes réjouissant, dansant, formidablement énergique, avec un puissant et chatoyant tandem de batterie, un tuba qui participe de cette énorme marmite à groover, mais dont les solos et même les lignes mélodiques me barbent rapidement. Devant, Shabaka Hutchings fait monter la sauce d’un groove à l’autre, toujours avec la même énergie et ce gros son sur de petites ritournelles de quelques notes, mais d’un groove à l’autre, c’est toujours un peu la même recette. Certes, il y a des moments explosifs mais qui finissent par ne plus surprendre. Alors, j’ai fini par filer en catimini et sur la route… je vous le jure, j’ai croisé l’âne culotte qui m’attendait à l’entrée d’un bar, Chez Cyprien. Mais j’ai passé mon chemin, fier comme une hostie, et j’ai rejoint mon ordinateur pour rédiger ce compte rendu.

Ce soir, je me serai consacré à d’autres activités, mais le festival continue. Dès ce matin le traditionnel vide-greniers ; à 11h30, l’extra-bal avec d’autres fidèle de Malguénac (Philippe Gleizes, Daniel Jeand’heur, Jeff Alluin, Antonin Volson, Boris Blanchet…) ; à 16h, musique latine au Café Le Ty Lou ; puis à partir de 20h30 dans l’enceint du festival Hasse Poulsen et son The Man They Call Ass, Lo’jo, le Brésil de Bel Air de Forro, l’improbable duo Knower de Los Angeles parrainé dans les festivals de l’été par Quincy Jones et final dancefloor avec DJ Poly. • Franck Bergerot