Malguénac : révélations alentours
Le festival Malguénac a donc réouvert ses portes. Au programme de cette première soirée : le trio Triphase d’Anne Pacéo ; Sylvain Barou, Étienne Callac et Karim Ziad invitent Nguyên Lê et Annie Ebrel pour un hommage à Jacques Pellen… et Pauline Willerval dans tous ses états.
Rituel vernissage de l’exposition d’arts plastiques au Boulodrome, cette année autour du thème de la danse qui est aussi celui de l’édition 2021, la 24ème, et démonstration de danse entre animations urbaines et danses rituelles d’Amérique latine par le danseuse d’origine chilienne et le DJ péruvien Huachuma.
Puis on se dirige vers la nouvelle enceinte du festival autour de la nouvelle salle Résonnance, avec ses buvettes et sa restauration toujours imaginative plus, ouverte à tout vent sur l’un de ses côté latéraux, le Bal monté remplaçant désormais l’ancien chapiteau accueillant traditionnellement des musiques « debout ». Y sont annoncés à 19h30 Jack Titley, le banjoïste, nourri à l’herbe bleue (entendez bluegrass dont il maîtrise le 3 fingers picking comme on pétrit la patte à modeler) avec Pauline Willerval, violoncelliste jouant également de la vièle à archet bulgare dite gadulka – on l’avait déjà entendue dans différents projets, à commencer par la Kreizbreizh Akademi d’Erik Marchand, mais aussi avec ce dernier et Rodolph Burger, et l’on dit qu’elle travaille à un projet en trio avec le violoniste Jacky Molard et le violoncelliste Bruno Ducret, belle délégation à venir de la république des cordes.
Horla : Jack Titley (chant, banjo 5 cordes), Pauline Willeval (chant, gadulka, violoncelle).
J’entre poussé par une curiosité certes vive, mais avec la ferme intention de retourner à la restauration pour compléter la crêpe dont une moitié s’est écrasée au sol sur le chemin vers ce Bal monté… et je reste bouche bée, puis vais m’asseoir parterre, au plus près. Leur programme intitulé Horla n’est pas une relecture de textes de Guy de Maupassant, mais une reprise du répertoire de Skip James (1902-1969), le fameux bluesman du Mississippi enregistré pour une poignée de dollars par le label Paramount (aujourd’hui au catalogue Columia-Sony Music) que son succès radiophonique non rémunéré poussa à abandonner le musique pour se faire pasteur. Redécouvert dans un hôpital en 1964 par des amateurs de blues, il réapparaît au Newport Blues Festival et devient l’une des figures canonique du blues revival, avant de gagner les charts peu avant sa mort grâce à la reprise de son bouleversant I’m so Glad par le groupe Cream.
Autant dire que le pari de la reprise d’un tel répertoire, attaché à un tel personnage, est toujours une peu risqué. Mais voilà, Jack Titley et Pauline Willeval s’y prennent avec une telle pudeur, une telle justesse, plus une telle inventivité avec leur petits moyens, le picking banjo et l’alternance de gadulka et de violoncelle, d’unisson ou d’homophonie harmonisée, de petits riffs inspirés de ceux de Skip James, de contrechants, de walking bass jazz ou boogie du violoncelle de ou tournures appalachiennes du violon, que l’on se laisse surprendre à chaque nouvelle chanson, notamment lorsque la tessiture féminine de Pauline Willeval, entre voix de poitrine et falsetto, endosse le Devil Got my Woman. Et l’on se dit que si le groupe Nose annoncé à 22h au même endroit est du même tonneau, et bien on se passera de seconde crêpe.
La Nose : Pauline Willerval (chant, gadulka, violoncelle, compositions, textes), Lisa Langlois-Garrigue (chant), Aurélien Arnoux (guitare électrique), François Rossi (batterie).
Ce qui arrivera, car là, on comprend que l’on a encore rien vu. Et j’en oublie de prendre des notes. Et comme le temps passe et que l’heure approche de repartir pour Malguénac, je m’en remets, un peu contraint, aux notes de programme, d’ailleurs fort bien tournées : « Deux femmes aux vois dénudées, plus sorcières que rosières. Elles chantent ensemble un français qui détone, tantôt gorgé de l’héritage crémeux de Brel [Jacques évidemment], ou Fontaine [à ce que j’entends, l’auteur.rice doit penser plus à Brigitte qu’à Jean de la], tantôt tapé du sceau des forges phoniques de Minvielle [André, vous le savez] ou Novarina [Valère, dramaturge suisse dont je découvre qu’il a dit “Les mots sont des animaux semi-sauvages” credo que semble avoir fait sien Pauline Willerval]. Danseuse populaire, tisserande méticuleuse d’un rock orchestré autant que pélerine des terrains libertaires de l’improvisation, la Nose [authentique collectif, notamment pour ce qui est de l’endossement des arrangements, c’est moi qui précise dans tous ces crochets] joue la curieuse. » Je souscris épaté par la malice tendre et cruelle des mots chantés et des musiques qui lorgne entre hard rock, « école de Canterburry », Mothers of Invention… soudain ici un faux chœur bulgare ou une pulse cajun. C’était le concert de sortie du disque “La Nose” à retrouver sur lanose.fr et – on en faisait le pari avec le Bertrand Dupont (l’aubergiste culturel de Langonnet, aujourd’hui à la retraite, mais pèlerin toujours en marche pour la promotion de la culture musicale en Bretagne dont il n’a cessé de jeter des ponts des Balkans à l’Afrique), le pari donc que l’on retrouverait ce groupe aux Tombées de la nuit et au Printemps de Bourges. Ou alors, que penser ?
Anne Paceo “Triphase” : Leaonardo Montana (piano), Joan Eche-Puig (contrebasse), Anne Paceo (batterie).
Et le jazz dans tout ça ? Hé bien, l’on aura entendu quelque chose d’approchant (du jazz, pas de La None) à l’occasion des retrouvailles d’Anne Paceo avec le premier trio qu’elle a présenté dans les clubs parisiens dans les années 2005-2010: Triphase. Jazz roboratif, jolies mélodies limpides cuites en épaisse et complexe confiture rythmique, on pense un peu à E.S.T. (dont on retrouvera ce soir la rythmique avec Bugge Wesseltoft au sein de Rymden), beaucoup à The Bad Plus, énergie rock, complicité motrice de la contrebasse circulant entre piano et batterie de lapin tambour en surchauffe sur des mises en places espiègles, le piano s’autorisant quelques belles échappées de cette densité hypnotique, notamment dans la longue introduction-respiration d’une espèce de gospel. Un peu d’espace encore lorsqu’en rappel, la batteuse chante un hommage au peuple birman, qu’elle visita et d’où elle ramena « Fables of Shwedagon ». Standing ovation.
Hommage à Jacques Pellen : Sylvain Barou (flûtes), Nguyên Lê (guitare électrique), Étienne Callac (basse électrique), Karim Ziad (batterie), Annie Ebrel (chant).
Retour à la bourre, après La Nose, dans la nouvelle salle Résonance où la peinture des murs où je me suis adossé, tous les sièges étant déjà pris, paraît à peine sèche si j’en crois les intéressants dessins blancs laissés sur ma veste imperméable. 500 places, une jauge un peu réduite par rapport l’ancienne salle Nougaro, mais tout le confort moderne comparé à ce qui n’était qu’un gymnase habillé pour l’occasion. On y perd peut-être une qualité acoustique que nous valait cet habillage, mais ça peut encore s’arranger et j’en juge “collé” au mur. Avec en outre une basse transformée en bombardier par la sonorisation… que j’en retournerai presque écouter le disque à la maison, c’est-à-dire « Standing on the Shore » signé à titre posthume par Jacques Pellen (mort de la Covid 19 le 9 avril 2020) et le trio Offshore dont il s’entoura sur ses deux dernier disques. Sur scène la musique, moins (post)produite, puis straight, gagne en énergie, toute comparaison s’arrête-là en l’absence du principal protagoniste. Mais quoi de plus naturel que de l’avoir “remplacé” par un autre guitariste reconnaissable d’entre mille, Nguyên Lê. D’autant plus qu’il est peu de guitaristes en pareille sympathie avec Karim Ziad.
Parfaitement homogène, propulsé par le tandem Callac-Ziad, on navigue entre imaginaires celtique, raga indien et pulse gnaoua jusqu’à l’irruption à deux reprises (plus un fervent rappel) d’Annie Ebrel pour chanter deux mélodies de celle qui avait été la compagne de Pellen, la harpiste Kristen Nogues, dont il portait le deuil depuis 2007. Rappel de la création donnée à Malguénac par Annie Ebrel et Jacques Pellen en 2011 sur un programme que ce dernier avait imaginé avec Kristen Nogues, créé donc en compagnie de One-Shot. Et autre hommage au guitariste de ce groupe, James Mac Gaw victime lui aussi d’une longue malagie en mars dernier. Une pensée lui sera très certainement à nouveau adressée ce soir par Faustine, le groupe de Faustine Audebert, dont il avait parrainé le travail.
Mais comme en Bretagne tout se termine en dansant, Annie Ebrel a lancé une petit gavotte conclusive dont Bertrand Dupont a emmené la chaîne sur un solo débridé de Nguyên Lê. C’est ça aussi Malguénac.
1h30. Après une route d’une quinzaine de kilomètres sans rencontrer âme qui vive, je pousse la porte de mon portail dans une obscurité sans lune « Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La Terre pourrait être inhabitée. » (Samuel Becket, La Dernière Bande). Mais, non! Ils sont encore tous à Malguénac à finir leur dernier verre, peut-être même l’avant-dernier au bal monté où le duo voix & accordéon/boîte à rythmes de Paco et Pouppette donne son programme VTT (Variété tout terrain). Au bar des artistes, bénévole du festival, dans un rôle où l’on a déjà croisé la contrebassiste Hélène Labarrière ou le saxophoniste Éric Prost, un saxophoniste-compositeur, à cheval sur les domaines “contemporains” et “improvisés” et dont j’ai déjà parlé dans ces pages, Baptiste Boiron, qui vient de s’installer à Melrand traversé lorsque je me rends à ou rentre de Malguénac. Franck Bergerot