Après la parenthèse olympique, reprise du festival Pianissimo au Sunside, avec un orfèvre : Manuel Rocheman. Le chroniqueur a quitté sa banlieue, mais il constate que si, pendant les jeux, il y avait sur sa ligne des RER en soirée, on est cette fois revenu au régime de pénurie qui s’impose depuis plus de 4 ans. La soirée du jazzophile sera donc écourtée, et le retour laborieux….
Qu’à cela ne tienne : l’amateur est heureux de venir écouter le pianiste qu’il admire depuis des décennies
MANUEL ROCHEMAN ‘MisTeRio’
Manuel Rocheman (piano), Yoni Zelnik (contrebasse), Matthieu Chazarenc (batterie)
Paris, Sunside, 13 août, 21h
Le concert commence par une intro-mystère du pianiste. Un instant je crois qu’il va jouer It Might As Well Be Spring (autrement appelé chez nous C’est le printemps) : je suis victime du phantasme de l’auditeur : ce sera Just Love, qu’il a enregistré en solo en 2021. Yoni Zelnik n’est pas le bassiste régulier du trio, mais comme toujours il fait merveille de musicalité. Et Matthieu Chazarenc, fidèle partenaire de Manuel Rocheman, va comme toujours animer le débat avec une grande finesse. Le thème qui suit nous ramène vers le répertoire du disque ‘MisTeRio’, enregistré en 2015, et une composition intitulée Promenade : un phrasé en accords va nous montrer le chemin vers ce thème d’une grande délicatesse où la mélodie et l’harmonie semblent se jouer l’une de l’autre, dans un subtil ballet. Dans le thème suivant une introduction aussi mystérieuse que sinueuse va nous égarer, mais pour mieux nous ramener à l’évidence de la mélodie. Le public est concentré dans l’écoute, et libère son enthousiasme après chaque titre. Puis vient une valse jazz issue d’un disque antérieur, et ce sera un moment de grâce pour les trois solistes. Un autre thème va s’ouvrir par un accord parfait, porte ouverte vers une escapade harmonique en direction d’autres cieux. Vient ensuite un standard de Stepen Sondheim, Send In The Clowns , avec une exploration des méandres de ce thème d’où Manuel Rocheman va faire surgir quelques pépites. Le set se conclura avec MisTeRio.
Après l’entracte on repart avec un thème très segmenté qui nous embarque dans une sorte de vertige, jusqu’à une coda abrupte qui conclut dans le vif du sujet. Vient ensuite une sorte de douceur ‘à la Bill Evans’ : il ne faut pas s’y fier. Le lyrisme s’enflamme jusqu’à l’incandescence. C’est la Valse des chipirons, un thème ancien du pianiste, allusion à ces petits calamars dont on se délecte au Pays Basque, d’où la mère de Manuel est originaire. Cela me rappelle une autre des ses compositions, Ciboure, inspirée elle aussi par cette région : c’est la ville natale de Maurice Ravel. Mon esprit s’égare dans les réminiscences. Un standard me ramène dans l’écoute : Noboby Else But Me. Je regarde ma montre : il est déjà trop tard pour le dernier RER. Je reste encore un peu, et après un métro, puis un autre, je me retrouve à Bobigny où les deux bus (le régulier, et celui qui supplée à l’absence de RER) viennent de partir. Et comme ils sont synchro, il me faut attendre près d’une demi-heure les départs suivants. Il n’est apparemment venu à l’idée d’aucun responsable de les décaler : de quoi me faire regretter, une fois de plus, les temps anciens où sur la ligne ‘E’ du RER il y avait un train tous les quarts d’heure jusqu’à une heure du matin. Le lamento du chroniqueur banlieusard n’aura donc pas de fin ?
Xavier Prévost (texte et photos)